Le Temps de la Strategie

3.14.A Approche systémique de la Qualité de Service aux clients (Etude de cas)


1. Rien ne va plus à l’hôtel IBIS : Ce cas n'est hélas pas une fiction...

Nous sommes le 31 Décembre 2007. Il est 23 h. Monsieur et Madame Dubois, négociants en gros de produits alimentaires tropicaux arrivent, après un long voyage de 15 h en Afrique à l'hôtel IBIS près d'Orly Sud pour prendre un repos avant de repartir le lendemain vers leur domicile qui se trouve dans une province assez éloignée de la capitale.

Devant l'entrée une file d'attente d'une dizaine de personnes piétine devant un comptoir. Aie ! La réception va être longue. En effet ça avance plutôt lentement. Visiblement le personnel est en nombre insuffisant. Il n'y a que 2 réceptionnistes seulement alors que les voyageurs arrivent en flux nombreux. Il y a un car de polonais qui a dû débarquer et cela fait beaucoup de brouhaha dans la salle. Au bout de 15 minutes ça n'a pas beaucoup avancé. Le temps semble très long à cause de la fatigue liée à l'heure tardive et au décalage horaire.

Enfin Monsieur et Madame Dubois arrivent devant la réceptionniste..... Elle a la tête plongée devant son ordinateur marmonnant quelques formules comptables qu'elle peine visiblement à appliquer. Elle n'en finit pas de faire ses opérations. Le temps est encore plus long quand on a la curieuse impression de ne pas exister. Ce premier contact avec l’entreprise aurait dû être un bon moment. En fait c’est surtout un grand moment de solitude. Ils ont l’impression de déranger et cela est assez désagréable quand on a le statut de client. On a en général quelques attentes...

Monsieur et Madame Dubois restent silencieux, espérant que la culpabilité pourrait réveiller leur interlocutrice de cette hypnose procédurale dans laquelle elle a été placée, mais malgré les minutes qui passent, elle ne semble pas avoir pris conscience de leur présence. Pourtant c'est son métier, non ? Est-elle devenue schizophrène ? Imagine-t-elle un seul instant que d'attendre si longtemps quand on est si fatigué relève presque de la torture ?

Après s'être faite aider par sa collègue, car elle semble débuter dans ce poste, elle lève enfin la tête et semble découvrir leur " modeste existence " :
- Votre nom ?
- Heu... j'ai un numéro de réservation....
- Non, dit elle brutalement, votre nom ? C'est tout ce dont j'ai besoin pour retrouver votre réservation !
- Dubois !
- Oui voila ça y est ! Vous avez réservé n'est-ce pas !
- Oui ! Donnez-moi votre numéro de carte bleue !
- Mais je l'ai déjà donnée au téléphone ...
- On ne le garde pas, redonnez-le moi ! Voilà vous êtes enregistrée... c'est la chambre 135....!
En montant dans la chambre, Monsieur et Madame Dubois croisent un africain qui semble lui aussi mécontent. Ils échangent quelques propos déprimés sur la qualité de service de cet hôtel mais lui semble plus indulgent. Il y a beaucoup de clients et le personnel est peu nombreux.

Salle de restaurant : Après avoir subi un certain rationnement alimentaire dû à la gestion " impitoyable " des compagnies low-cost, Monsieur et Madame Dubois aimeraient se restaurer. Le restaurant est ouvert jusqu'à 23h. Ouf il reste encore 10 minutes pour se présenter !

L'établissement a fait le choix de l'exotisme en transformant la salle en espace mexicain. Ce sera évidemment le style gastronomique qui sera imposé aux clients.

Temps d'attente..... 10 minutes... enfin une serveuse, curieusement habillée ou déshabillée, le lecteur choisira, leur propose une table. Ok on y va ! Rester plantés au milieu de la salle n'est pas non plus très confortable. On a l'impression que tout le monde nous regarde...

Un vieux monsieur est assis à une table à côté. Il a l'air transi....! Il faut dire qu’il est en plein courant d’air !

Le choix de Monsieur et Madame Dubois se porte sur un menu à 19, 50 Euros avec buffet hors-d'œuvres à volonté. Ils vont se servir... Ils sont confrontés à une abondance de hors-d'œuvres qui semblent plus avariés que variés. Céleri en rémoulade... " Très remoulée " ; pâtes en salades marquées par une certaine vétusté ; pommes de terre à nouveau remoulée... quasiment cuites par les assaisonnements ; fonds d'artichauts plutôt oxydés, chou rouge cuit dégoulinant de jus.... Point n'est besoin de continuer la description plus que douteuse de l'apparence des aliments qui sont présentés.

Timidement chacun se sert avec une sorte de réserve qui relève plus de la tentative de protection microbienne en milieu biologiquement hostile que de la véritable appétence qu'on peut ressentir au moment d'un repas.

Puis la viande leur est servie. Ils demandent que leur viande soit servie " très cuite ". Evidemment, elle est très saignante. Ils avaient pourtant insisté auprès de la serveuse en sachant combien cela coûte à certains cuisiniers d'accepter une telle conception culinaire. Lorsque la serveuse ramène l'assiette dans la cuisine, on entend encore dans la salle de grands cris de protestation du cuisinier à propos d’une telle demande. Dans ces cas là, il vaut mieux se faire tout petit… Et manger en silence pour ne pas se faire remarquer davantage.

Pendant ce temps, le vieux Monsieur a demandé à changer de table car celle-ci est décidément trop exposée. Le courant d'air froid a eu raison de sa résistance pourtant admirable. Monsieur et Madame Dubois demandent à la serveuse s'il est possible d'en faire autant. Elle leur dit qu'elle doit demander l’autorisation. Une personne traverse alors la salle en courant pour aller fermer (évidemment très bruyamment) la porte d'un couloir qui était restée visiblement ouverte, malgré le froid.

Pour le paiement de l'addition, Monsieur et Madame Dubois doivent se présenter à une caisse entièrement désertée à cette heure tardive. Au bout de 8 minutes une personne arrive (8 minutes d’attente peut paraître une éternité quand on est fatigué par un long voyage " low cost "…) ; elle passe derrière le comptoir et commence un interrogatoire serré sur ce qui a été consommé, en particulier à propos des desserts, ce qui est d'autant plus étonnant puisqu'ils sont compris dans le menu.
- Mais pourquoi demandez-vous autant d'informations alors que tout est marqué sur la feuille de commandes ?
- C'est pour gagner du temps sur ma gestion de stock. Comme ça, nous savons au jour le jour ce qu'il nous reste en stock et ce qu'il faut commander. (Traduction pour le lecteur : c’est toi le client qui doit faire une partie de mon travail. Il est tard ? je veux rentrer chez moi plus tôt… On comprend !)

Une fois remontés, un peu désappointés par un tel accueil, dans leur chambre, ils constatent une odeur caractéristique. C'est une chambre de fumeur alors que c'est une chambre non fumeur qu’ils avaient demandée. Ouf, ils s’endorment épuisés de fatigue.

7h du matin! Allons déjeuner... Là encore une longue file d'attente devant le présentoir et peu de choix.... Il faut bien suivre le sens giratoire pour ne pas passer devant les autres. Aie ! il n'y plus d'eau pour faire le café car évidemment, il faut le faire soi-même (C’est la rançon de la " Servuction "). Ah j'oubliai aussi plus de serviettes ! Mais ça n’empêche pas de commencer à déjeuner... au bout de 20 minutes tous ces incidents sont réglés mais le petit déjeuner est presque terminé.

C’est le moment de payer .... Un peu d’attente mais ça se passe plutôt bien.... ils montent dans leur voiture... et à la sortie du parking, le système de gestion de la barrière demande de mettre le ticket d'entrée qui aurait dû être payé à la réception pour permettre la sortie du Parking. Evidemment l’hôtesse ne les a pas prévenus…!

Ils retournent vers la réception. Chouette ! il y a un système de paiement automatique. Mais il faut de la monnaie. Evidemment Monsieur Dubois n'en possède pas. Il est indiqué : " En cas de paiement par CB s'adresser à la réception ". Retour à la case départ . Malheureusement, il est près de 8h et beaucoup de clients sont stationnés là pour payer. Une file d'attente comparable à celle de la veille est en train de se constituer. Ils en prennent encore pour 25 minutes d'attente seulement et avec les excuses de la réceptionnaire qui leur avoue qu'elle aurait dû leur demander de régler cela avant de partir, mais elle est nouvelle et n’a pas encore tous les réflexes d’une hôtesse expérimentée.

Mais Monsieur et Madame Dubois doivent rester Zen comme l'indique une petite affiche qui se trouvait dans la chambre d'hôtel promettant que toute demande serait traitée en moins de 15 minutes. (" Contrat satisfaction 15 mn : Le temps maximum pour vous apporter une solution si un petit problème dont nous pourrions être responsables se présentait à vous ". " 24h/24 : Nous sommes là de jour comme de nuit pour que votre satisfaction soit complète ").

Il est 8h 30... Ouf ils parviennent enfin à quitter l'hôtel ! Quel joyeux réveillon !!!

Nous sommes d'autant plus désappointés qu'une affiche à la porte d'entrée rappelle de façon prometteuse les perspectives de service offertes :

' L'esprit du groupe X c'est l'art de conjuguer les savoir-faire, de jouer de la tradition et de la modernité avec générosité et rigueur, imagination et humanisme, pour atteindre une forme d'excellence.

Nos salariés sont les dépositaires d'un patrimoine culturel unique : " le savoir recevoir ", une prévenance constante, le souci du détail. Ils connaissent les rites et usages qui transforment la vie en art de vivre et le plus simple des services en moment privilégié. C'est un métier, un art : c'est leur talent.

" Créer le meilleur pour le partager, la joie d'offrir, la volonté de renouer avec l'essentiel, la convivialité, pour inventer des espaces de plaisir, font de notre groupe un parfum de France partout dans le monde. "

1°) A votre avis comment pourriez-vous définir les problèmes ou symptômes présentés par cette organisation (en s'appuyant sur le modèle des 4 Temps du Management) ?
2°) Que faut-il mettre en place pour que le fonctionnement de cet hôtel soit à la hauteur de sa promesse de service ?

2. L'originalité de l'approche systémique

Ce cas aurait pu être classé dans la rubrique qui concerne le niveau 2 du management selon la typologie d'Octave Gélinier, c'est-à-dire la dimension organisationnelle. Nous l'avons placé en niveau 3 car il renvoie à l'absence d'une stratégie de service.

L'approche système ne s'intéresse pas aux détails des symptômes, contrairement à la logique analytique classique. Elle considère ces derniers comme l'expression d'un déséquilibre général. Dans ce cas, il semble que nous soyons confrontés à défaillance à tous les niveaux du management.

Au niveau 1 :

Le temps d'attente à l'accueil est trop long.
Les aliments ne sont pas frais.
L'attitude du personnel n'est pas centré sur le client.
Le système de servuction n'est pas lisible.

Au niveau 2 :

Les salariés n'ont pas une conscience très développée de leur rôle.
Le personnel semble évalué surtout sur des critères de gestion.
La compétence des collaborateurs semble peu optimisée.

Au niveau 3 :
Il y a une promesse de service qui est formulée mais celle-ci n'est pas déclinée au niveau opérationnel.

Au niveau 4 :
Le comportement des acteurs manifeste que l'Esprit Client n'est pas structurant.

Découvrez à travers la solution de ce cas, l'efficacité de la démarche systémique en Management (Réservé exclusivement à nos abonnés payants)

Bibliographie



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