La croissance : chance ou pertinence stratégique ?
Délocalisations, restructurations, plans sociaux, licenciements, … Prenons le temps d’un article le contre-pied de ce sombre panorama en commençant par un constat : les exemples récents de grandes réussites entrepreneuriales ne manquent pas, et ne concernent pas que les marchés en forte croissance. Est-ce dû à la chance, au hasard ou à une logique stratégique implacable ? Reconnaissons qu’il est parfois difficile de se prononcer.
Peut on s'inspirer des « succes stories » ?
Mais force est de constater que certaines entreprises, loin de se fondre dans un paysage parfois bien morose, peuvent connaître un développement spectaculaire et afficher une santé éclatante sur des marchés pourtant a priori fort peu attractifs (compétition acharnée, marges réduites par des guerres de prix, croissance faible, etc.). Quelques-unes, citons dans le désordre : SouthWest Airlines ou Ryanair, Apple, Dell, Nespresso, Starbuck’s E-Bay, IKEA, Swatch, Virgin, Toyota, etc.) ont même fait leur entrée dans tous les manuels de stratégie d’entreprise et sont attentivement disséquées dans toutes les écoles de management du monde.
Peut-on s’inspirer de ces succès majeurs pour construire celui de nos propres organisations ? Chiche !
Peut-on s’inspirer de ces succès majeurs pour construire celui de nos propres organisations ? Chiche !
Les entreprises qui réussissent savent sortir du cadre de référence habituel:
Observons dans un premier temps, qu’au-delà de leurs divergences, ces entreprises présentent au moins un point commun : elles ont toutes, à des degrés divers, remis en cause les règles du jeu caractérisant leurs secteurs d’activité respectifs, en proposant une offre réellement innovante aux clients. "Un ordinateur n’a pas uniquement une vocation utilitaire ou technique : c’est aussi un objet de décoration" a estimé Apple avant de lancer les i-Mac aux coloris pastel, dans un monde informatique jusqu’alors dominé par des machines grises ou noires. "Il n’est pas nécessaire de recourir à des distributeurs coûteux pour vendre des PC", a pensé Dell en proposant de recourir directement par téléphone et internet, donc à un tarif imbattable, les machines assemblées, et personnalisées , à la demande du client… approche aujourd’hui adoptée également dans d’autres secteurs (banque directe, etc.). "Il n’est pas nécessaire de s’installer sur les aéroports principaux, ni d’imposer au client des prestations toujours plus coûteuses (plateaux repas, services à bord, etc.) pour des courts trajets" a tranché Ryanair avant de développer les premières compagnies européennes à prix cassés… obligeant les plus grandes compagnies aériennes à retravailler l’ensemble de leur chaîne de valeur. "Rien n’impose de délocaliser sa production en Asie pour produire des montres. Nous ferons autrement" a parié Nicolas Hayek, à l’origine de l’invention de la Swatch, à l’heure où tout le monde annonçait la mort de l’industrie horlogère suisse.
Evoquer l’importance de telles approches innovantes n’est ni nouveau ni original. Chacun se souvient par exemple du "Bonheur des Dames" d’ Emile Zola, qui raconte la formidable épopée des Grands Magasins au 19ème siècle, une idée révolutionnaire à l’époque des petits commerces florissants au cœur des villes. De façon moins romancée mais plus approfondie, les travaux de Joseph Schumpeter font référence depuis trois-quarts de siècle sur le thème de la "destruction créatrice".
Néanmoins, insister sur l’importance de l’innovation comme élément fondamental du succès d’une entreprise n’est sans doute pas inutile. Bien des secteurs d’activité sont aujourd’hui guidés par la variable "prix", seul critère déterminant de choix aux yeux de consommateurs placés face à des offres finalement peu différenciées les unes des autres. Avec des conséquences prévisibles néfastes : dans une économie ouverte et mondiale, une concurrence axée sur le prix ne peut entraîner que délocalisations vers les pays à bas coûts de main d’œuvre, érosion des marges, course à la taille et à la productivité engendrant un stress croissant dans les organisations, source de mal-être collectif et de maladies professionnelles diverses.
Evoquer l’importance de telles approches innovantes n’est ni nouveau ni original. Chacun se souvient par exemple du "Bonheur des Dames" d’ Emile Zola, qui raconte la formidable épopée des Grands Magasins au 19ème siècle, une idée révolutionnaire à l’époque des petits commerces florissants au cœur des villes. De façon moins romancée mais plus approfondie, les travaux de Joseph Schumpeter font référence depuis trois-quarts de siècle sur le thème de la "destruction créatrice".
Néanmoins, insister sur l’importance de l’innovation comme élément fondamental du succès d’une entreprise n’est sans doute pas inutile. Bien des secteurs d’activité sont aujourd’hui guidés par la variable "prix", seul critère déterminant de choix aux yeux de consommateurs placés face à des offres finalement peu différenciées les unes des autres. Avec des conséquences prévisibles néfastes : dans une économie ouverte et mondiale, une concurrence axée sur le prix ne peut entraîner que délocalisations vers les pays à bas coûts de main d’œuvre, érosion des marges, course à la taille et à la productivité engendrant un stress croissant dans les organisations, source de mal-être collectif et de maladies professionnelles diverses.
L'innovation : mythe ou réalité
Bien sûr, l’innovation n’est pas absente des organisations. La plupart des entreprises se considèrent d’ailleurs comme innovantes et affichent des discours volontaristes dans ce domaine. Mais l’observation montre que ces innovations sont le plus souvent purement "incrémentales", c’est-à-dire qu’elles consistent à proposer au client "un petit peu plus pour un petit peu moins". Dans l’automobile par exemple, on assiste ainsi à une amélioration constante des modèles de véhicules (radars de recul, allumage automatique des phares ou des essuie-glaces, etc.), dont l’utilité n’est pas contestable en soi mais qui ne différencie pas les marques de véhicules entre-elles puisque chaque nouveauté d’un des constructeurs est presque immédiatement adoptée par les autres concurrents.
Sans revenir sur les incontestables progrès réalisés dans l’automobile ces dernières années (sécurité, agrément, consommation, etc.), on ne peut cependant que mettre en parallèle à la fois les difficultés financières rencontrées par la plupart des grands constructeurs mondiaux (presque tous sont actuellement engagés dans des plans de restructurations ou de réductions de coûts) et la grande ressemblance des différentes offres proposées (esthétique, motorisations et performances, niveaux d’équipements, etc.).
Dans le même ordre d’esprit et pour prendre un autre exemple, peut-on vraiment considérer que les principaux établissements bancaires présentent de réelles différences pour un client soucieux d’ouvrir un nouveau compte ou de placer son argent ? En l’absence d’élément fondamentalement différenciant d’une agence à l’autre, le client se multi-bancarise et tente, par la négociation ou par une relation favorable avec son chargé de clientèle, d’obtenir des conditions légèrement plus avantageuses pour un crédit ou un placement. Le prix reste la variable fondamentale de fidélité du client.
Les exemples pourraient être multipliés. En France, quelles sont les véritables différences entre les offres proposées par les opérateurs de téléphonie portable ? de Triple Play (téléphone, télévision numérique, internet) ? Et caetera.
Sans revenir sur les incontestables progrès réalisés dans l’automobile ces dernières années (sécurité, agrément, consommation, etc.), on ne peut cependant que mettre en parallèle à la fois les difficultés financières rencontrées par la plupart des grands constructeurs mondiaux (presque tous sont actuellement engagés dans des plans de restructurations ou de réductions de coûts) et la grande ressemblance des différentes offres proposées (esthétique, motorisations et performances, niveaux d’équipements, etc.).
Dans le même ordre d’esprit et pour prendre un autre exemple, peut-on vraiment considérer que les principaux établissements bancaires présentent de réelles différences pour un client soucieux d’ouvrir un nouveau compte ou de placer son argent ? En l’absence d’élément fondamentalement différenciant d’une agence à l’autre, le client se multi-bancarise et tente, par la négociation ou par une relation favorable avec son chargé de clientèle, d’obtenir des conditions légèrement plus avantageuses pour un crédit ou un placement. Le prix reste la variable fondamentale de fidélité du client.
Les exemples pourraient être multipliés. En France, quelles sont les véritables différences entre les offres proposées par les opérateurs de téléphonie portable ? de Triple Play (téléphone, télévision numérique, internet) ? Et caetera.
L'ingénierie de l'innovation ne consiste pas seulement à optimiser l’existant mais à inventer:
Selon certains, cette convergence des offres s’explique par le fait que les entreprises recourent aux mêmes cabinets de consultants, développent des techniques identiques de benchmarking ("s’inspirer des meilleures pratiques des autres"), ou créent des cellules de veille, dont la finalité fondamentale est d’apprendre à imiter… pas de se différencier. D’autres raisons peuvent être avancées, selon que l’on se sent l’âme d’un sociologue, d’un psychologue ou d’un stratège… mais en tout état de cause, une tendance semble se dessiner : "Trop souvent, hélas, un nouveau modèle d’entreprises qui réussit devient le modèle de toutes les entreprises insuffisamment créatives pour inventer le leur" (Hamel [2000]).
Dans ce contexte, il est intéressant de constater que les plus belles réussites entrepreneuriales de ces dernières décennies sont le fait d’entreprises qui, bien loin de se contenter d’innovations marginales apportées à l’offre déjà existante, ont décidé de faire preuve d’une véritable créativité en tentant de redessiner les contours de leurs marchés. Ces approches sont qualifiées dans la littérature, selon l’intensité des mutations proposées, "d’innovation stratégique" ou "d’innovation de rupture". Dans tous les cas l’objectif consiste à chercher à proposer une offre fondamentalement différente de ce qui existe déjà. La méthode passe par un questionnement approfondi et une remise en cause de chaque élément constitutif du business model dominant sur le secteur d’activité.
La clef de voûte de cette approche semble être l’état d’esprit manifesté par le top management : "un seul rêveur naïf vaut parfois tous les stratèges avisés du monde" disent Hamel & Prahalad [1995] dans l’un des principaux ouvrages de référence de ces dernières années. Dans sa contribution ultérieure, Hamel [2000] précise : "Si votre objectif est de créer quelque chose de nouveau et de gros, il faut que cela fasse rigoler tout le monde au début : cela prouve que vous êtes sur la bonne voie. Si personne ne se moque de vous, vous pouvez être sûr que dix personnes le font déjà". Quant à Nicolas Hayek (Swatch) : "pour créer des produits nouveaux, des postes de travail et de la richesse, il faut avoir l’état d’esprit de l’artiste. Il faut accepter la fantaisie et s’ouvrir à toutes les idées. Il faut être un peu rebelle sans être un ennemi de la société… Aujourd’hui, trop de managers se contentent de faire ce qu’ils ont appris dans les livres".
Comment faire de son entreprise une véritable organisation innovante ? Il semble possible de dégager quelques constantes, avec en préalable le caractère non-conformiste et volontariste du dirigeant. Sinon, la tentation de se conformer à l’orthodoxie de son secteur d’activité et à ne pas trop s’aventurer en terra incognita peut se révéler forte : faire comme les autres peut sembler moins risqué a priori. L’approche doit ensuite se diffuser à tous les niveaux de l’organisation par le biais d’un management adapté favorisant créativité, sens de l’innovation, circulation des informations et des connaissances.
Une idée avancée, peu orthodoxe, est de ne pas se contenter d’études de marché. Tenir compte des seules suggestions des clients n’est en effet pas satisfaisant : s’ils savent bien évidemment exprimer leurs souhaits de petites améliorations du produit ou du service, ils se montrent peu créatifs, et incapables de proposer des voies de développement en rupture avec ce qu’ils connaissent déjà. Plutôt que des études (ou en complément de celles-ci), la posture est de se mettre réellement dans la situation du client, de comprendre la part de l’effort qu’il réalise pour accéder au produit (faire la queue, se déplacer de chez lui, faire des démarches spécifiques avant l’achat, etc.), de se faire une idée précise de ses besoins, même (surtout) non exprimés.
Autre idée : s’intéresser à la masse des non-clients, plutôt que d’essayer de prendre les clients existants à ses concurrents. Kim & Mauborgne [2005] montrent comment la société australienne Casella Wines, en s’interrogeant de façon approfondie sur les raisons qui poussaient les jeunes générations à consommer des boissons alcoolisées ou non (bières, prémix, sodas) plutôt que du vin, a créé un produit nettement différencié (simplicité d’achat, modes de distribution, goût, packaging, etc.), s’ouvrant ainsi avec succès les portes du marché américain pourtant initialement peu accueillant. Des exemples similaires existent en France, où le poids de la tradition (et de la Législation) est pourtant particulièrement marqué.
Dans ce contexte, il est intéressant de constater que les plus belles réussites entrepreneuriales de ces dernières décennies sont le fait d’entreprises qui, bien loin de se contenter d’innovations marginales apportées à l’offre déjà existante, ont décidé de faire preuve d’une véritable créativité en tentant de redessiner les contours de leurs marchés. Ces approches sont qualifiées dans la littérature, selon l’intensité des mutations proposées, "d’innovation stratégique" ou "d’innovation de rupture". Dans tous les cas l’objectif consiste à chercher à proposer une offre fondamentalement différente de ce qui existe déjà. La méthode passe par un questionnement approfondi et une remise en cause de chaque élément constitutif du business model dominant sur le secteur d’activité.
La clef de voûte de cette approche semble être l’état d’esprit manifesté par le top management : "un seul rêveur naïf vaut parfois tous les stratèges avisés du monde" disent Hamel & Prahalad [1995] dans l’un des principaux ouvrages de référence de ces dernières années. Dans sa contribution ultérieure, Hamel [2000] précise : "Si votre objectif est de créer quelque chose de nouveau et de gros, il faut que cela fasse rigoler tout le monde au début : cela prouve que vous êtes sur la bonne voie. Si personne ne se moque de vous, vous pouvez être sûr que dix personnes le font déjà". Quant à Nicolas Hayek (Swatch) : "pour créer des produits nouveaux, des postes de travail et de la richesse, il faut avoir l’état d’esprit de l’artiste. Il faut accepter la fantaisie et s’ouvrir à toutes les idées. Il faut être un peu rebelle sans être un ennemi de la société… Aujourd’hui, trop de managers se contentent de faire ce qu’ils ont appris dans les livres".
Comment faire de son entreprise une véritable organisation innovante ? Il semble possible de dégager quelques constantes, avec en préalable le caractère non-conformiste et volontariste du dirigeant. Sinon, la tentation de se conformer à l’orthodoxie de son secteur d’activité et à ne pas trop s’aventurer en terra incognita peut se révéler forte : faire comme les autres peut sembler moins risqué a priori. L’approche doit ensuite se diffuser à tous les niveaux de l’organisation par le biais d’un management adapté favorisant créativité, sens de l’innovation, circulation des informations et des connaissances.
Une idée avancée, peu orthodoxe, est de ne pas se contenter d’études de marché. Tenir compte des seules suggestions des clients n’est en effet pas satisfaisant : s’ils savent bien évidemment exprimer leurs souhaits de petites améliorations du produit ou du service, ils se montrent peu créatifs, et incapables de proposer des voies de développement en rupture avec ce qu’ils connaissent déjà. Plutôt que des études (ou en complément de celles-ci), la posture est de se mettre réellement dans la situation du client, de comprendre la part de l’effort qu’il réalise pour accéder au produit (faire la queue, se déplacer de chez lui, faire des démarches spécifiques avant l’achat, etc.), de se faire une idée précise de ses besoins, même (surtout) non exprimés.
Autre idée : s’intéresser à la masse des non-clients, plutôt que d’essayer de prendre les clients existants à ses concurrents. Kim & Mauborgne [2005] montrent comment la société australienne Casella Wines, en s’interrogeant de façon approfondie sur les raisons qui poussaient les jeunes générations à consommer des boissons alcoolisées ou non (bières, prémix, sodas) plutôt que du vin, a créé un produit nettement différencié (simplicité d’achat, modes de distribution, goût, packaging, etc.), s’ouvrant ainsi avec succès les portes du marché américain pourtant initialement peu accueillant. Des exemples similaires existent en France, où le poids de la tradition (et de la Législation) est pourtant particulièrement marqué.
Conclusion :
Au total, il ne s’agit pas tellement de se contenter de rechercher des solutions permettant à une entreprise de survivre sur son marché actuel. La question est la suivante : dans dix ans, des entreprises aujourd’hui inconnues mais créatives auront trouvé de nouveaux moyens pour répondre aux besoins (illimités) encore insatisfaits des consommateurs. Cela suppose un changement profond d'attitude que résume bien John Fitzgérald Kennedy : "Certaines personnes voient les choses comme elles sont, et se demandent : pourquoi ? moi je vois les choses comme elles pourraient être et je me dis : pourquoi pas ?"
Bibliographie
Christensen C. (1997), The Innovator’s Dilemna, Boston : Harvard Business School Press.
Hamel Gary et Prahalad C.K. (1995), La conquête du futur, Trad. franç., Paris : Interéditions.
Hamel G. (2000), La révolution en tête, Trad. franç., Paris : Village Mondial.
W.Chan Kim et Renée Mauborgne (2005), Stratégie Océan Bleu - comment créer de nouveaux espaces stratégiques, Trad. franç., Paris : Village Mondial.
Le Guide des innovations 2006
Innovation, Cahiers semestriels d'économie de l'innovation
Hamel Gary et Prahalad C.K. (1995), La conquête du futur, Trad. franç., Paris : Interéditions.
Hamel G. (2000), La révolution en tête, Trad. franç., Paris : Village Mondial.
W.Chan Kim et Renée Mauborgne (2005), Stratégie Océan Bleu - comment créer de nouveaux espaces stratégiques, Trad. franç., Paris : Village Mondial.
Le Guide des innovations 2006
Innovation, Cahiers semestriels d'économie de l'innovation