Il fallait réparer les oublis du temps et faire revivre Jacques Rueff et sa pensée. Voici donc un livre non seulement passionnant, écrit avec cette érudition économique qui rend tout clair et limpide (voire évident), le tout replacé dans un contexte historique précis et bien rythmé. Car c’est sans doute une injustice due à cet antilibéralisme typiquement français, qui sévit depuis plusieurs décennies, qu’un homme au rôle aussi éminent reste dans l’ombre. En 1928, à 32 ans, il participe et contribue à la mise en place du franc Poincaré. En 1938, Paul Reynaud fait appel à lui pour redresser les finances de l’État et faire passer en 15 jours 15 décrets pour solder les comptes du Front populaire. Quand le général de Gaulle revient au pouvoir en mai 1958, il presse Antoine Pinay, son ministre des Finances, de lui présenter un plan de redressement qui sorte du commun. Jacques Rueff prend la tête d’un comité d’experts pour proposer un plan à la fois monétaire, financier et budgétaire, qui contribuera aux Trente Glorieuses. Qui se souvient pourtant aujourd’hui de Jacques Rueff, acteur marquant (il fut académicien) et majeur de la politique économique de la France au xxe siècle ? Dans notre pays, très peu de monde ; à l’étranger, en revanche, il jouit d’une grande aura. Pour preuve, la préface que Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, consacre à sa biographie.
Gérard Minart ne fait pas seulement œuvre d’historien : il a la plume d’un économiste. Pour préciser la pensée de Rueff, il n’hésite pas à rappeler et à expliquer des notions théoriques, à bien rendre compréhensible l’opposition entre Keynes et Rueff. Et, surtout, il expose brillamment la pensée ordolibérale de Rueff qui marqua d’une empreinte profonde les économistes d’Europe et des États-Unis. Cette biographie, laisse entendre Schäuble, est un livre programme pour beaucoup de pays, dont la France. Rueff a prôné depuis 1945 la rénovation monétaire. Qui lui donnerait tort aujourd'hui ?
Source : Le Cercle Turgot