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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Equipes et des Projets

2.15 Les dérives symboliques des entretiens d'évaluation

Selon une enquête menée par Georges Trepo, professeur à HEC, 80% des cadres et DRH interrogés estiment que l'entretien d'évaluation n'est pas satisfaisant, mais en même temps, 80% considèrent qu'il est important de maintenir cette procédure. Dans cet article, nous nous attarderons peu sur les aspects procéduraux et méthodologiques déjà présentés, par ailleurs, dans un autre article, mais, nous nous efforcerons de mettre en évidence les " risques symboliques ", du point de vue de l'estime de soi, que peut engendrer une pratique strictement " orthopédique " de l'évaluation. Nous ne laisserons pas le lecteur face à une seule dénonciation ; nous chercherons avec lui, à partir de cette analyse, à envisager des pistes nouvelles qui devraient permettre de faire de cet évènement " un moment d'exception ".



1. Les acteurs sous le feu permanent des aléas du jugement

Nos sociétés modernes évaluent les individus dès leur plus jeune âge. Cela permet de trier, classer, hiérarchiser, étiqueter. Dans l'entreprise, le processus se poursuit et même s'amplifie, du recrutement au licenciement, en passant par les fameux entretiens d'évaluation.

On ne peut constater qu’avec étonnement à quel point les processus d'évaluation se sont développés dans la vie des individus et des organisations. Les incitations des nouvelles normes ISO 9001 - version 2000 ne suffisent pas à expliquer l'ampleur du phénomène. Avec E. Jaques, on peut se demander si cette fascination de la vérification ne serait pas aussi l'expression d'une défense contre l'angoisse de mort, liée aux risques économiques, que rencontrent les entreprises aujourd'hui. La " lutte des places " (Vincent de Gaulejac) pourrait emmener aussi les sociétés à fabriquer des systèmes de hiérarchisation permettant d'éliminer les individus plus faibles ; Habermas nous inciterait à considérer ces méthodes comme des " technologies invisibles " qui permettraient de mieux asseoir son pouvoir)... Les hypothèses sont nombreuses pour penser que cette tendance a quelque chose de suspect.

La sémantique est à ce sujet fort variée. On parle, tour à tour, d'entretiens d'évaluation, d'entretiens d'appréciation, de notation, de performance, de progrès ou encore de développement professionnel. La variété de ces terminologies traduit sans doute la difficulté à positionner ces entretiens. S’agit-il d'entretiens visant à sanctionner ou à soutenir ?

Le terme " évaluation " en anglais a un sens tout différent qu'en français. Il signifie " examiner ", "estimer", " reconnaître ", voire parfois " valoriser ", " mettre en valeur ".

Il semble que l'utilisation en français de ce terme ait introduit quelque confusion car, évaluer, est davantage assimilée à " juger ", " jauger ", " mesurer ". Les perceptions des salariés français interrogés laissent penser qu'il s'agit davantage d’une opération de jugement pouvant se traduire par un verdict. Il existerait donc un " malentendu " culturel qui ne serait évidemment pas sans conséquences sur l'attitude des acteurs face à cet évènement.

Cet évènement est souvent décrit comme assez angoissant par ceux qui le subissent. L'image du juge est souvent évoquée. Dans certaines entreprises, ces entretiens sont mêmes utilisés pour éliminer du personnel (" Il faut m'en éliminer 5% " - Une PDG d'une entreprise de haute technologie). On comprend qu'il soit source pour les salariés d'insécurité. Ils n'apparaissent pas ou en tout cas trop rarement comme des espaces de reconnaissance.

2. Les fonctions officielles de l'entretien d'évaluation

Cette approche a été développée aux USA, dans le cadre de la DPO (Direction Par Objectifs), initiée par Peter Drucker, dans les années 1950. Elle visait à donner plus d'autonomie aux collaborateurs et à établir une relation contractuelle entre le collaborateur et son manager. Elle a été " importée ", dans les années 70, par Octave Gélinier, sous la forme de ce qu'il a appelé la DPPO (Direction Participative Par Objectif).

En France, il faut bien le reconnaître, la dimension participative a été relativement occultée et la logique de contrat peu compréhensible, car la relation managériale repose sur un autre présupposé de base, qui relèverait selon Philippe d'Iribarne de " la logique de l'honneur ".

Nous pouvons repérer officiellement au moins 6 fonctions de l'entretien d'évaluation :
1. Permettre une analyse des réussites et des difficultés.
2. Réaliser une évaluation des performances : un entretien d'évaluation est également l'occasion de faire le point sur les résultats atteints.
3. Contribuer au développement des compétences : identifier les points forts et les points faibles du collaborateur.
4. Favoriser une projection de soi dans le futur en explorant les évolutions professionnelles possibles dans l'entreprise.
5. Identifier les besoins de formation : c'est en conjuguant l'analyse des compétences aujourd'hui disponibles et le projet professionnel futur qu'on peut définir un parcours de formation plus pertinent.
6. Construire un contrat négocié : un entretien peut se conclure par une redéfinition des objectifs futurs à atteindre et des ressources nécessaires pour y parvenir.

Aujourd'hui les grandes entreprises ont complètement intégré cette pratique et l'ont même optimisée. Elles s'appuient, généralement, sur 3 types d'outils qui se complètent entre eux :
1. Entretien d'évaluation.
2. Référentiel de Compétences.
3. Référentiel de Formation.
Nous avons eu l'occasion d'explorer le système mis en place par l'entreprise Citroën, il semble, en termes d'outil, particulièrement intéressant.

Cependant dans les PME, il faut bien reconnaître que la gestion des ressources humaines en est à ses balbutiements et ces pratiques peu développées.

3. Quelques constats cliniques

La question qui se pose ne réside pas sur la forme mais sur le fond. Il semble bien, qu'à la lumière des dysfonctionnements rencontrés, il soit nécessaire d'envisager quelques réformes.

Dans l'enquête que nous avons menée, 4 dysfonctionnements sont évoqués :
1. Les démarches qualité, de type Iso 9000 - version 2000, ont vivement favorisé la diffusion et la mise en oeuvre de nombreux outils d'évaluation. Cependant, elles ont contribué à renforcer la dimension procédurale de l'évènement, en négligeant toute la dimension identitaire) de l'évènement.
2. L'utilisation de référentiel sophistiqué semble exacerber la mise en conformité des sujets par rapport à des normes. Cet aspect peut conduire à une certaine chosification des personnes qui ne sont reconnues que tant qu'elles sont en stricte ressemblance avec celles-ci.
3. L'apparente rationalité des outils masque la subjectivité inévitable de l'acte d'évaluation. Le problème n'est pas que l'évaluation ne soit pas rationnelle, mais qu'on prétende de façon défensive qu'elle le soit, au motif qu'on utilise des outils qui nous dispenserait de reconnaître que notre jugement est, intrinsèquement, coloré par notre subjectivité.
4. Enfin, l'entretien d'évaluation peut faire partie des nombreux instruments de torture, utilisés par les managers atteints, par ce que nous avons appelé " la névrose managériale ". Il s'agit là, évidemment, d'un véritablement détournement, l'entretien devenant le lieu d'une violence symbolique visant à affaiblir l'estime de soi par la pratique de l'humiliation.

Eugène Enriquez nous rappelle, à juste titre, que dans les " organisations, l'homme joue son identité, son désir de reconnaissance et d'estime". (Enriquez, 1997:75).

4. Le jeu du miroir

Lacan a montré, à travers le stade du miroir, que nous avons besoin du regard de l'autre pour construire notre identité). L'enfant met plusieurs années pour reconnaître sa propre image dans le miroir. C'est parce qu'il sera regardé et nommé par les autres, qu'il pourra admettre que son image dans le miroir, c'est bien lui quand même (Bowlby). Ce processus de reconnaissance de soi est constant, tout au long de la vie d'adulte. Nous vivons finalement, en permanence, en miroir les uns des Autres. L'Autre s'écrit avec un A majuscule car il ne s'agit pas seulement des individus que nous rencontrons mais également des institutions, des entreprises, etc.

Hegel écrivait déjà en 1806, que " la conscience de soi existe en et pour soi dans la mesure, et par le fait, qu'elle existe pour une autre conscience de soi, c'est-à-dire qu'elle n'existe qu' en tant qu'entité reconnue ". Nous ne pouvons donc nous reconnaître que si nous sommes reconnus par les autres. En d'autres termes, nous sommes constamment " dans le désir du désir de l'Autre pour nous sentir exister " (Enriquez, 1997).

Mais le désir dont nous avons besoin, est un désir de reconnaissance positive pour nous rassurer, car nous sommes porteurs d'un doute fondamental sur nous-mêmes. (Ricoeur). Ce doute sur soi-même est, évidemment, variable selon les individus et leur capital de confiance en eux-mêmes. Pour avoir une bonne image de soi, nous avons besoin d'être regardé positivement par l'autre. Nous sommes tous à la recherche de Pygmalion. Si nous avons fait dans notre existence suffisamment d'expériences positives (réelles ou imaginaires), nous avons constitué une réserve d'estime qui assure une confiance en soi durable, permettant d'affronter avec moins de dommage les épreuves de la vie. Ex : (Bernard Tapie).

Lacan nous montre que ce processus de construction et de maintien de l'identité présente une double face. C'est à la fois un processus constitutif de l'individu en tant que " personne " et, en même temps, une source d'aliénation. Il parle à ce propos d'aliénation fondamentale du sujet. Si on comprend bien la première affirmation avec ce qui vient d'être dit, il convient d'expliciter davantage la seconde.

Pourquoi peut-on parler " d'aliénation fondamentale du sujet " ? Il s'agit en effet d'une certaine forme d'aliénation dans la mesure où nous serions dépendants constamment du regard d'autrui. Et, c'est là qu'intervient, selon Denis Vasse, la possibilité de liberté. Si nous sommes collés " sans conscience " au regard de l'Autre, en effet, nous devenons dépendants et fragiles, car, cette quête nous conduirait à nous conformer totalement aux attentes de l'Autre, à devenir hétéronome (Enriquez), ce qui est une situation existentielle douloureuse, puisque le Moi de l'individu serait inexistant. Selon Lacan, la liberté du sujet se trouve donc, dans la capacité que nous avons à établir une distance entre le "Je" et le miroir, c'est-à-dire le regard de l'Autre. Tant que le Moi) est fragile, c'est le cas notamment du nourrisson et du jeune enfant, il est très dépendant du regard de la mère. Ce n'est que, peu à peu, qu'il trouvera son autonomie et qu'il pourra supporter la distance ; ce qui lui permettra d'exister.

C'est par l'expérience réussie de son autonomie, que le Moi de l'enfant va se consolider et permettre ainsi son existence en tant que personne. Ce processus est complexe car il relève à la fois du comportement de ceux qui l'entourent et de sa propre perception. Lacan nous rappelle que nous entretenons une " relation hallucinatoire " au réel ; c'est ce qui explique que pour deux sujets appartenant à une même fratrie, un même évènement sera perçu différemment en fonction précisément de l'interprétation imaginaire qu'il en fera.

5. Le contrat narcissique

Ce que nous venons de décrire se rejoue dans la relation managériale : le regard du manager constitue un miroir dans lequel les collaborateurs recherchent leur reflet. Mais les choses sont plus compliquées encore car les protagonistes ont chacun des enjeux qui viennent s'interférer dans le processus de reconnaissance de soi.

Dans leur livre " Le coût de l'excellence ", Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, reprenant les hypothèses d'Enriquez et Pages, ont mis en évidence la dimension de l'imaginaire " aliénant " qui s'intercale entre les sujets et leur organisation.

Les organisations sont porteuses de normes qui constituent une sorte de surmoi institutionnel et aussi d'idéaux (Idéal du Moi de l'Organisation), auxquels les individus doivent adhérer. La reconnaissance de l'organisation dépend de la capacité des acteurs à adhérer à ses normes et ses idéaux. Elle est donc conditionnelle. Si l'individu ne peut y adhérer, avec l'intensité souhaitée par l'organisation, elle peut le rejeter en l'excluant.

Toute forme de reconnaissance peut-être assimilée à de l'amour. L'amour de l'organisation, pour ses sujets, est donc conditionné par leur capacité à se sacrifier pour elle. Dans la mesure où l'organisation est, par ailleurs, un objet idéalisé par la société, se sacrifier pour l'organisation peut devenir un enjeu " héroïque " pour construire une bonne image de soi et éprouver ensuite du plaisir (qu'il est d'ailleurs facile de confondre, provisoirement, avec le bonheur).

En plaçant ainsi les demandes de l'organisation au centre de son existence, le sujet s'assure une source de reconnaissance qui lui garantit une estime de lui-même. L'estime de soi se joue dans le rapport avec son propre Idéal du Moi. Quand l'individu est en cohérence avec les idéaux qui sont en lui, il éprouve une certaine une joie. Les enjeux qui lient l'individu avec l'organisation sont selon Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac d'ordre narcissique. L'entreprise à travers ce processus propose donc à ses collaborateurs un second contrat qui se superpose à l'officiel : le contrat narcissique.

L'entretien d'évaluation se situe au carrefour de 2 types d'enjeux :
- les enjeux réels : si les performances ne sont pas au rendez vous, le sujet dans un contexte de performance économique exacerbée et " d'eugénisme managérial " risque d'être physiquement rejeté du système,
- les enjeux " symboliques " car le sujet risque de mettre en péril l'estime de lui-même.
On comprend alors pourquoi les acteurs essayent de contourner ces enjeux relativement angoissants en réduisant l'évènement en un simple " rituel procédural ".

6. Besoin de reconnaissance et quête narcissique

Le besoin de reconnaissance réside en chacun. Nous posons cependant l'hypothèse qu'il est, structurellement, différent selon les individus et qu'il varie selon le degré de résilience de la problématique enfantine de chacun (Cyrulnik).

L'être humain a besoin de l'attention d'autrui) pour se construire. C'est une évidence quand on observe le jeu relationnel des petits enfants. Spitz a montré dans les années 50 que certains décès subits et inexplicables, des nourrissons privés d'attention et d'affection à l'hôpital, étaient à mettre en relation avec une norme relationnelle qui avait été édictée à l'époque. Celle-ci, sans doute inspirée des théories prophylactiques, reposait sur la non implication et la mise à distance affective du personnel soignant, vis-à-vis, du nourrisson hospitalisé. On s'est aperçu au contraire qu'une attitude empathique et affectueuse générait dans un service beaucoup moins de morts subites du nourrisson. Spitz en a conclu que, le besoin de reconnaissance était bien un besoin vital et fondamental pour les individus, au même titre que les besoins physiologiques primaires.

En 1989, une spéléologue, Véronique Le Guen avait séjourné 111 jours sans contact social, pour tenter de battre le record du monde de survie détenu par Michel Siffre (72 jours). Elle s'est suicidée 14 mois après son exploit. Même si son suicide n'est pas totalement imputable à cette expérience, on peut penser qu'elle a été suffisamment fragilisante pour que les pulsions sadiques d'auto-dépréciation prennent le dessus et entraîne l'individu vers des choix mortifères. L'expérience du mitard qui se traduit aussi, souvent, par une période longue d'isolement, dans des conditions d'hygiène très discutables, ne semble là aussi, pas particulièrement structurante pour aider un individu à reconstruire son surmoi.

Michaël Balint montre clairement que, cette quête de reconnaissance, sera d'autant plus grande dans la vie d'un adulte, qu'il y a eu un manque de reconnaissance dans la petite enfance. Tout se joue, selon lui, dans les premiers temps de la construction de la relation d'objet (relation à l'autre). Michaël Balint comme Lacan mettent en évidence que " le défaut fondamental " fait partie de la vie de l'individu adulte, dans la mesure où il a perdu la plénitude ressentie dans le ventre de la mère. Ce manque ne cessera, à son insu, jamais de l'inspirer dans sa relation à l'autre. Il sera d'autant plus important que la relation aux parents aura été défaillante. Certains traumatismes (réels ou imaginés) peuvent laisser l'individu accroché à un stade infantile de son développement. L'individu n'aura alors pas d'autres solutions que d'utiliser " les voies de la régression " pour tenter de combler ce manque. Il sera tenté d'utiliser les situations présentes pour résoudre des souffrances primitives plus anciennes. Ce qui l'amènera, dans sa vie d'adulte, à produire des comportements pour le moins étonnants, du point de vue de la rationalité, et parfois de la moralité... Nous posons l'hypothèse avec B.Cyrulnik que cette problématique narcissique place le sujet dans une quête permanente du regard de l'autre, qui sera d'autant plus forte que celui-ci n'aura pas pu opérer la résilience de ces anciennes souffrances, à travers des d'expériences d'adultes significativement positives.

4 évènements dans l'actualité récente semblent illustrer les aléas de ce besoin lancinant de reconnaissance.

L'histoire du trader, Jérôme Kerviel, le confirme. Il a expliqué, au Procureur de la République) de Paris, Jean Claude Marin, les motivations qui l'ont poussé dans cette conduite de surenchère : " Il espérait apparaître comme un trader d'exception, un anticipateur des marchés ". Le gain espéré n'était donc pas pécunier mais narcissique (Il n'y a pas eu d'enrichissement personnel). Pour obtenir " l'amour ", " la reconnaissance " des chefs, il s'agissait d'apparaître comme le plus puissant des traders. Jérôme avait dû, quand même, avoir du succès dans ses précédentes spéculations, puisqu' en plus de sa rémunération fixe, il estimait qu'il méritait de recevoir 300 000 Euros de primes en 2007 en plus de ses 60 000 euros de salaire fixe. Ne s'est-il pas laissé griser par la réussite et, finalement, traverser une phase " mégalomaniaque " ? Apparemment, son organisation n'a pas su le ramener à temps à la raison, et il se retrouve aujourd'hui en transgression.

Le 14 Janvier, Marwan (Cf. La Montagne du 30 Janvier), un jeune ingénieur de 32 ans, a été mis en examen pour " abus de confiance, violation d'un secret de fabrique et de livraison ", à une entreprise étrangère d'informations, dont la divulgation est de nature à porter atteinte aux " intérêts fondamentaux de la nation ". Il aurait tenté de diffuser, auprès de Bridgestone, des secrets de fabrication et différents projets confidentiels liés à la branche poids lourd ; une activité qui représente près de 40% du CA. 7 e-mails envoyés, du 7 août au 11 décembre 2007, montrent qu'il prétendait posséder 2600 fichiers contenant les perspectives de développement de la branche, dans les 5 ans à venir. L'origine de son comportement ne serait pas, selon lui vénale. En Octobre 2006, il aurait eu un conflit assez sérieux avec sa hiérarchie, sur le fonctionnement de son équipe, dont il serait ressorti " meurtri ". Il aurait donné sa démission, en espérant que l'entreprise le retiendrait ; ce qui n' a pas été le cas. Il en aurait ressenti une certaine amertume qui l'aurait conduit à envisager, à ce qui ressemble à une sorte de vengeance, même s'il s'en défend. "Je me suis engagé dans un jeu qui, pour moi, comblait un manque ". " C'était une sorte de lien, que je voulais maintenir avec Michelin, une réaction humaine affective ".

Un cadre) de banque BNP se suicide. Quelques jours plus tôt, il avait eu une réunion avec sa direction qui s'était mal passée. Selon sa femme et la CGT, il lui aurait été reproché de ne pas avoir atteint son objectif de vente de produits financiers. " Il connaît très bien ses clients. Il disait que ça aurait été les 'entuber' ", explique sa femme sur France Info, à propos des produits financiers qu'on lui demandait de vendre. La direction aurait évoqué sa mutation), selon la CGT. L'épouse du salarié a déposé plainte contre X, et va se porter partie civile.

On pourra aussi se demander si, les récentes frasques du Directeur Général du FMI ne seraient pas aussi l'expression d'un besoin de reconnaissance infini.

7. Faire de l'évaluation un moment d'exception ?

Devant ces constats, on peut penser que cet évènement mériterait d'être sérieusement reconsidéré, dans son fond, comme dans sa forme. Nous proposons d'explorer 4 pistes de progrès.

1. Redéfinir les finalités de la procédure :
Il conviendrait, de bien dissocier, comme le font certaines entreprises, l'entretien de performance de l'entretien de développement professionnel.
- Ce type d'entretien doit être l'occasion de laisser parler le sujet avec ses émotions. Comment le sujet a-t-il vécu cette période de défi ? Quelles sont les émotions positives ou négatives qui l'ont marqué ? Quelles ont été ses joies, ses tristesses, ses colères ?
- On pourrait estimer qu'un entretien est achevé, lorsque le sujet repart avec un projet pour lui-même, son équipe et son entreprise. On ne bâtit pas une cathédrale seulement avec des briques mais aussi avec des rêves. L'entretien professionnel gagnerait à intégrer cette dimension onirique autour d'un possible. C'est quand même plus motivant qu'un " verdict " !
- En réalisant une analyse de la réalité travail, à travers une relecture de la définition de fonction, le manager pourrait réaliser un véritable audit d'organisation.
A la lumière de ces premières considérations, il apparait nécessaire de trouver un intitulé moins inquiétant. Certaines entreprises ont choisi d'appeler ces entretiens " des entretiens de progrès ", ou " entretiens professionnels " ou encore " entretiens de développement professionnel ". Cela paraît plus confortable.

2. On peut s'interroger aussi sur la structure du dispositif :
- Ne gagnerait-on pas à précéder l'entretien individuel d'un entretien collectif rassemblant, soit toute l'équipe, soit dans le cas d'une organisation transversale les acteurs ayant mobilisé le sujet ?
- Cet entretien pourrait se faire également en présence d'un tiers (consultant ou rrh) qui pourrait faire une synthèse des débats.
- On peut concevoir que, dans certains, il soit nécessaire de conduire cet entretien en plusieurs séances.

3. Encourager une posture managériale plus maïeutique que surmoïque.
La posture " maïeutique " se distingue de la posture hiérarchique dans le sens où elle ne vise pas à juger mais à donner naissance à un projet. Elle passe par l'apprentissage d'un nouvel " éthos managérial " et des techniques d'écoute et de reformulation. De façon générale, il est fondamental de faire de ce moment un " espace de délibération " (Osty, 2007) plutôt qu'un espace de " jugement ".
L'entreprise Volvo complète la démarche, en évaluant les managers, par un système dit " à 360° ". Cette solution rend les relations hiérarchiques plus symétriques et atténuent le risque de névrose de pouvoir, déjà décrite dans un autre article.

4. Tenir compte des dialogues pour mettre en place des changements visibles pour les salariés.
Un entretien n'est pas un espace de bavardage, c'est un lieu de parole, qui doit se traduire en actions concrètes. Si le plan de formation cohérent en phase avec les besoins identifiés constitue le minimum de ce qu'on puisse faire ; une réorganisation partielle ou plus importante pourrait être envisagée.

Conclusion

Les entreprises sont sans cesse à la recherche de nouveaux moyens pour mobiliser et fidéliser leurs ressources humaines. L'entretien de progrès ou de développement professionnel constitue un outil, immédiatement disponible, de développement de la maturité et de la compétence) des individus. Certaines entreprises en ont déjà pris conscience et initient d'autres formes d'évaluation plus collectives et plus conviviales (Ex : La Poste)). C'est en multipliant les espaces de délibération qu'on peut espérer mieux préparer les individus et les collectifs à supporter et à naviguer dans la complexité et l'incertitude. Au-delà de sa fonction officielle l'entretien professionnel constitue donc, aussi, un objet de médiation pour tenter de faire de l'entreprise une cité démocratique.

Bibliographie

Aubert N. De Gaulejac V., (2007), Le cout de l'excellence, Seuil, 342 p.
Balint M. (2003), Le défaut fondamental, Payot, 336 p.
Balint M. et E. Balint (2000), Les voies de la regression, Payot, 183 p.
Bowlby J. (2000), Attachement et perte (Volume 1),1, PUF, 540 p -.
Cyrulnik B. (2008), Autobiographie d'un épouvantail, Editions Odile Jacob, 279 pagesl.
D'Iribarne Philippe, 2011, la logique de l'honneur, Seuil, 280 pages
Eugène Enriquez , Gilles Amado (2006), Inventaire en clinique du travail, Eres, 220 pages.
Eugène Enriquez (1997), Les jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise, Desclée de Brouwer, 409 pages.
Gélinier Octave (1990), Stratégie et motivation des hommes, Editions d'organisation, 312 pages.
Habermas J. (1987), Théorie de l'agir communicationnel, Fayard, 480 pages.
Honneth A. (2007), La société du Mépris, vers une nouvelle théorie critique, Editions La Découverte, 349 p.
Honneth A. (2000), La lutte pour la reconnaissance, Lecerf, 233 pages.
Lacan J. (1998), Séminaire, tome 4 : La relation d'objet, Seuil, 434 p
Mounier E. (1949), Le personnalisme, PUF, 84 p.
Osty F. Uhalde M. (2007), Les mondes sociaux de l'entreprise, Paris, Editions de la Découverte, 398 p.
Osty F. (2003), Le désir de métier : Engagement, identité et reconnaissance au travail, PU Rennes, 244 p.
Ricoeur P(2005), Parcours de la reconnaissance, Gallimard, 429 pages.
Spitz (2002), De la naissance à la Parole, PUF, 306 pages.

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