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4.101 Controverses autour de la décroissance : à la recherche d'une utopie praticable ...


4.101 Controverses autour de la décroissance : à la recherche d'une utopie praticable ...
Introduction: 

La décroissance émerge comme une réponse radicale aux crises écologiques, économiques et sociales du modèle de croissance illimitée. Ce concept s’appuie sur l’idée que l’économie actuelle, fondée sur une augmentation constante de la production et de la consommation, n’est ni soutenable à long terme ni émancipatrice. Il s’agit d’une critique fondamentale de l’imaginé collectif associant croissance économique et progrès humain.

Le terme « décroissance » est d’abord apparu dans les années 1970, notamment sous la plume de penseurs comme Nicholas Georgescu-Roegen, avant d’être popularisé dans les années 2000 par des mouvements sociaux en France. Ce courant rejette la notion de « développement durable », perçue comme une tentative de réconcilier l’iréconciliable : croissance économique et protection de l’environnement.

1. Fondements théoriques

La décroissance repose sur des influences transdisciplinaires :

L’écologie économique : Développée par des auteurs comme Georgescu-Roegen et Herman Daly, elle met en évidence l’impossibilité physique de maintenir une croissance économique infinie dans un monde aux ressources limitées. Cependant, cette transdisciplinarité est parfois critiquée pour sa complexité, qui pourrait rendre difficile la mise en œuvre pratique. Les multiples influences théoriques risquent d’entraîner des contradictions ou une dilution des priorités, bien qu’elles enrichissent aussi la compréhension globale des enjeux.

La critique sociale : Inspirée de penseurs comme Ivan Illich ou André Gorz, cette perspective dénonce l’aliénation par le consumérisme et les inégalités produites par le modèle capitaliste.

L’anthropologie culturelle : Serge Latouche parle de « décolonisation de l’imaginaire », c’est-à-dire de rompre avec l’idée que le bonheur passe par l’accumulation matérielle.

La philosophie politique : Le modèle de décroissance s’ancre dans une vision participative et égalitaire de la société, valorisant la simplicité volontaire et la sobriété heureuse.

2. Objectifs et propositions

La décroissance présente des objectifs ambitieux qui suscitent des arguments en faveur et des critiques. Elle cherche à réorienter la société vers des modes de vie soutenables, équitables et épanouissants. En  voici les principaux points :
 
  • La décroissance cherche à réorienter la société vers des modes de vie soutenables, équitables et épanouissants. Parmi ses principales propositions :
     
  • Réduction des flux de matières et d’énergie : Une baisse drastique de l’extraction des ressources naturelles et des émissions polluantes, en particulier dans les pays riches. Pour : Cela pourrait réduire les pressions environnementales et ralentir les changements climatiques. Contre : Les industries fortement consommatrices de ressources pourraient être durement impactées, entraînant des pertes d’emplois et des tensions économiques.
     
  • Relocalisation de l’économie : Encourager la production locale, réduire les circuits longs de distribution et promouvoir l’autonomie des territoires. Pour : Renforce la résilience locale face aux crises globales. Contre : Cela pourrait augmenter les coûts pour les consommateurs et limiter l’accès à certains produits.
     
  • Transition vers une économie de la convivialité : Développer des outils simples et accessibles favorisant la coopération plutôt que la compétition. Pour : Encourage des relations sociales plus solidaires. Contre : Certains secteurs pourraient percevoir cela comme une entrave à l’innovation et à la croissance économique.
     
  • Temps de travail réduit : Créer de l’emploi tout en laissant plus de temps aux individus pour leurs loisirs, leurs engagements citoyens et leur vie personnelle. Pour : Favorise un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Contre : Une réduction généralisée pourrait freiner la productivité et augmenter les coûts salariaux.
     
  • Mise en commun et sobriété : Partage des ressources et réduction des désirs artificiellement créés par la publicité. Pour : Diminue les inégalités et réduit les impacts environnementaux. Contre : Nécessite une transformation culturelle profonde qui pourrait rencontrer une forte résistance.
     
3. Implications pratiques et débats

La mise en œuvre de la décroissance implique des bouleversements économiques, sociaux et politiques majeurs :
 
  • Sortie du capitalisme ? Les partisans de la décroissance débattent sur la possibilité de concilier décroissance et économie de marché. Cependant, un obstacle majeur réside dans la difficulté d'obtenir un consensus mondial pour ces transformations. Les intérêts divergents entre les nations, notamment entre pays industrialisés et émergents, ainsi que les pressions exercées par les lobbys économiques et industriels, rendent ce consensus extrêmement complexe. De plus, le coût économique et social initial des transitions vers la décroissance peut créer des tensions politiques, freinant son adoption à grande échelle. Certains prônent une rupture totale, tandis que d’autres envisagent une transition graduelle.
     
  • Impact sur l’emploi : La réduction de l’activité économique pourrait créer du chômage si elle n’est pas accompagnée d’une redistribution égale du travail.
     
  • Justice globale : Comment appliquer les principes de décroissance dans des pays en développement qui aspirent à élever leur niveau de vie ? Une critique fréquemment soulevée est le risque que les pays riches imposent des politiques de décroissance aux pays en développement, sans tenir compte de leurs besoins fondamentaux et aspirations légitimes. Cela pourrait perpétuer des inégalités globales, en freinant les opportunités de croissance économique et sociale nécessaires pour améliorer leurs conditions de vie. Une transition équitable nécessite donc de concevoir des approches spécifiques adaptées aux contextes locaux, fondées sur la coopération internationale et le respect des choix souverains de chaque nation.?
     
  • Démographie : Le mouvement propose des solutions pour stabiliser la population mondiale sans recours à des mesures coercitives. Cependant, ces propositions sont parfois critiquées pour leur manque de réalisme ou d’acceptation sociale. Dans certains contextes, des normes culturelles, des aspirations individuelles ou des contraintes économiques pourraient rendre difficile l'adoption de telles mesures. Par ailleurs, la complexité de mise en œuvre de politiques globales de stabilisation démographique pourrait engendrer des conflits ou des incompréhensions entre différentes sociétés.
     
5. Conclusion et perspectives

 Il est important de souligner que le terme de « décroissance » demeure flou et sujet à interprétation. Il a souvent les apparences d’un mythème au sens de Roland Barthes, c’est-à-dire une notion qui fait rêver et stimule l’imaginaire sans être pleinement défini. Cette ambiguïté alimente la controverse mais peut aussi ouvrir des perspectives riches pour repenser nos modèles économiques.

Pour sortir de cette opposition stérile entre les tenants et les opposants de la décroissance, la logique paradoxale de Stéphane Lupasco pourrait être utile. Elle nous invite à concevoir  une décroissance en volume, réduisant ainsi les externalités négatives pour la planète, tout en maintenant une croissance en valeur, comme le pratiquent certains pays d’Europe du Nord. Cette approche permettrait de concilier soutenabilité écologique et justice sociale, tout en préservant les ressources nécessaires au système de protection sociale et à la gestion des défis démographiques, notamment le vieillissement de la population.

Si cet article a présenté les arguments pour et contre, il invite avant tout le lecteur à faire appel à son intelligence critique. L’espoir est que cette réflexion puisse contribuer à éclairer des choix individuels et collectifs pour un avenir plus équilibré.

La décroissance, loin d’être un simple retour en arrière, propose une transition vers une société différente, fondée sur des valeurs de soutenabilité écologique et de justice sociale. Ce paradigme invite à redéfinir la notion de prospérité, non plus en termes de richesse matérielle, mais de bien-être collectif, d’autonomie et de qualité des relations humaines.

Bien que le projet reste controversé et suscite des débats, les oppositions viennent notamment des économistes traditionnels, qui critiquent son impact potentiel sur la croissance, les investissements et l’emploi, ainsi que des acteurs politiques, souvent réticents à remettre en question des modèles établis. Ces controverses reflètent à la fois des divergences théoriques et des inquiétudes sur la faisabilité de telles transformations systémiques.

Une telle transformation exige de mobiliser  plus que nos croyances , mais d'abord nos intelligences pour concevoir des utopies praticables. 

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