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Les 4 Temps du Management
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Le Temps des Valeurs

4.108 Comment une communauté de travail peut - elle devenir une communauté de destin ?


La communauté : La grande oubliée du Management

4.108 Comment une communauté de travail peut - elle  devenir une communauté de destin ?

Le déficit abyssal de connaissances anthropologiques des sciences de gestion n'est pas sans conséquences pour les managers . C'est ce qui explique qu'ils ne s'intéressent qu'aux résultats économiques en oubliant que ceux - ci sont des conséquences et non pas d'existence en tant que tels. De quels résultats pourrions nous parler si le travail humain ne l'avait pas produit ?

Les financiers expriment bien leur désarroi face à cette dimension en parlant de " Putain de Facteur Humain"...Leurs propos sont parfois rageurs parce que les modèles qu'ils utilisent sont totalement impuissants à rendre possible sa compréhension.

Ils ne sont pas les seuls responsables de cette perception car même quand certains d'entre eux s'essayent à vouloir le comprendre, les institutions de formation ne leur proposent la plupart du temps qu'une approche comportementaliste qui se limite à une liste de  techniques relationnelles prescriptives qui relèvent du mode d'emploi de l'utilisation une machine.

Plusieurs auteurs ont critiqué cette conception réductionniste des comportements humains réduits à des  réflexes conditionnés. Cette simplification participe d' une certaine  forme de déshumanisation dans la mesure où les employés sont essentiellement vus comme des agents économiques dont les actions doivent être contrôlées et dirigées.

Si ces grilles d'analyse permettent de décrire et de classer les comportements, elles laissent ceux qui les utilisent finalement en dehors de la relation. Ils ne sont que des spectateurs de la relation. 

Les neurosciences sont venues en renfort soutenir cette démarche en proposant une lecture des comportements  assez proche de l'approche comportementale. 
 

Les approches comportementales adoptent une perspective réductionniste en simplifiant les comportements humains à des réponses conditionnées. Cette simplification participe d'une certaine  forme de déshumanisation  de la relation managériale, car les employés  ne sont vus que comme de simples ressources qu'on pourrait manipuler  assez facilement si on en possédait certaines clés. 
 
 Honneth (2006, 2008) a utilisé à ce sujet le terme  de la réification, dans la mesure où les personnes sont  réduites à des ensembles de comportements facilement modifiables et contrôlables, comme s'ils étaient  en définitive des objets. 

Ces approches ont largement nourris les modèles de management qui ont été diffusés jusqu'à ce jour. Elles ont eu des effets  dévastateurs sur les individus parce qu'elle ont été vécues par les acteurs comme  une expérience, en réalité de de non-reconnaissance, c'est à dire de mépris (Axel Honneth, 2008, 2006). Pour certains auteurs (Diet, 2024), elles pourraient même  relever d'une tentative d'emprise....

Face à ces pratiques, les salariés  sont amenés aujourd'hui à devenir méfiants voire incrédules. Elles peuvent conduire à une destruction de la confiance et conduire à la démotivation, à la baisse de l'engagement et un mal-être généralisé; c'est à dire en définitive à l'inverse du but initialement recherché. 

On remarquera par ailleurs que les approches comportementales se concentrent essentiellement sur les individus et négligent les interactions avec les autres individus. Elles n'intègrent  absolument pas la dimension collective. Or l'entreprise est n'est - elle pas avant tout une aventure collective. 

Si cette conception individualiste du management était cohérente avec les stratégies économiques développées dans les années 90; elle devient aujourd'hui insuffisante dans un environnement devenue radicalement "incertain" qui nécessité à l'inverse de développer la collaboration et la solidarité. Le management moderne doit donc intégrer ces dimensions pour créer des organisations plus alignées sur les valeurs de leurs employés et les exigences du marché mondial.


L'entreprise comme communauté


La première base que nous aimerions poser est  de reconnaître que l'entreprise est avant tout une communauté. Le concept de communauté est donc inséparable du concept d'entreprise. 

Max Weber, un sociologue influent, n'a pas directement formulé une "définition de la communauté" en tant que telle, mais son travail sur la sociologie comprend des concepts qui peuvent être interprétés en lien avec la notion de communauté. Weber distingue deux formes principales de regroupements sociaux : la "Gemeinschaft" (communauté) et la "Gesellschaft" (société), bien que cette distinction soit plus souvent attribuée à Ferdinand Tönnies.
 

Pour Weber, les aspects qui pourraient être assimilés à la notion de communauté impliquent des liens sociaux qui s'appuient sur des sentiments subjectifs d'appartenance, où les relations sont personnelles, directes, et où les membres partagent des valeurs et des traditions communes. Ces types de relations se contrastent avec ceux de la "Gesellschaft", où les liens sont plus impersonnels, formels, et fondés sur des intérêts individuels.
 

De façon plus large, Weber s'intéresse à comprendre comment les valeurs communes ou les croyances influencent la formation et le maintien des communautés, voire leur mode d'actions.  ce sont des questions extrêmement utiles pour répondre aux besoins d'aujourd'hui. 
 

D'autres auteurs se sont distingués dans l'analyse des organisations en tant que communautés et dans l'étude de la dynamique sociale au sein des entreprises. C'est ainsi qu'il convient de citer : 
 

  1. Michel Crozier : Il est célèbre pour son analyse des organisations à travers le prisme de la stratégie individuelle et des jeux de pouvoir. Son travail met en évidence comment les structures bureaucratiques influencent les comportements et comment les individus cherchent à maximiser leur autonomie.
     

  2. Philippe Bernoux : Spécialisé dans la sociologie des organisations, Bernoux étudie la manière dont les individus contribuent à la création et à la modification de leur organisation. Il a mis l'accent sur l'importance de la participation des salariés dans le changement organisationnel.
     

  3. Henry Mintzberg : Bien que canadien, ses contributions sont largement étudiées en France. Mintzberg a développé des théories sur la structure organisationnelle et le management stratégique qui intègrent la notion de communauté comme un aspect clé des organisations.
     

  4. Norbert Alter : Il s'intéresse particulièrement à l'innovation dans les entreprises, en se concentrant sur la manière dont les relations sociales au travail contribuent à des processus d'innovation réussis.
     

  5. Armand Hatchuel et Benoît Weil : Ces auteurs ont travaillé sur la théorie CK (Concept-Connaissance), qui explore comment les organisations peuvent structurer leur processus d'innovation. Leur approche est utile pour comprendre comment la communauté interne d'une entreprise peut être mobilisée pour l'innovation.
     

  6. Isaac Getz : Auteur du concept d'entreprise libérée, il explore comment les pratiques de management peuvent encourager l'autonomie des salariés et créer une communauté de travail plus engagée et plus créative.
     

Ces auteurs offrent une littérature riche sur le rôle des communautés dans les entreprises et comment ces dynamiques influencent la gestion, l'innovation et la productivité.


L'entreprise comme communauté d'émotions


Nombreux sont les auteurs  qui considèrent  que l'entreprise fonctionne non seulement sur un mode de rationalité limitée  (Simon- 1947,  Richard Cyert et James G. March - 1963) March et Johan P. Olsen 1976) mais qu'on peut aussi la considérer  comme une communauté d'émotions. Citons pour exemple: 
 
  1. L'École des relations humaines : Née des travaux de Elton Mayo, notamment ceux réalisés dans les années 1920 et 1930 lors des expériences de Hawthorne, cette école met en lumière l'importance des relations sociales et des sentiments de bien-être au travail. Elle considère que les émotions jouent un rôle crucial dans la productivité des employés.. Son ouvrage sur l'expérience d'Hawthorne en Angletterre dans une entreprise de fabrication d'ampoules électriques  The Social Problems of an Industrial Civilization (1945)  résume ses découvertes et théories.
     

  2. La théorie des organisations de Karl Weick : Weick considère les organisations comme des processus de mise en sens où les individus interprètent et donnent un sens à leur environnement. Cette approche peut être liée aux émotions dans la mesure où elle souligne l'importance des sentiments et des perceptions dans la construction de la réalité organisationnelle.
     

  3. L'approche psychodynamique des organisations : Inspirée par la psychanalyse, cette approche s'intéresse aux dynamiques inconscientes au sein des organisations. Elle étudie comment les émotions collectives, comme l'angoisse et le désir, façonnent les comportements organisationnels et la prise de décision.  Un exemple peut être trouvé dans les travaux d' Elliott Jaques, notamment The Changing Culture of a Factory (1951) qui décrit les dynamiques inconscientes au sein des organisations. En France le psychiâtre Christope Desjours a beaucoup contribué à son développement. 
     

  4. La sociologie des émotions : Cette branche plus récente de la sociologie s'attache à comprendre comment les émotions sont exprimées, régulées et utilisées au sein des organisations. Arlie Hochschild, par exemple, dans son concept de "travail émotionnel", analyse comment les employés gèrent leurs émotions pour répondre aux attentes de l'organisation.  Le chercheur américain Arlie Hochschild a lui aussi profondément exploré la vie des émotions au travail  dans son ouvrage The Managed Heart: Commercialization of Human Feeling (1983), . 
     

  5. L'ethnométhodologie : Bien que moins directement axée sur les émotions, l'ethnométhodologie, développée par Harold Garfinkel $, étudie les méthodes par lesquelles les gens donnent un sens à leur environnement social, y compris au travail. Les émotions sont ici envisagées comme partie intégrante des pratiques quotidiennes qui aident à maintenir l'ordre social au sein des entreprises.Son ouvrage   Studies in Ethnomethodology (1967), est une référence majeure pour comprendre cette dimension. 


Pour faire communuté, il est nécessaire de partager "des objets communs"


Dans leurs travaux, Jean-René Fauvet et Jean-Christophe Fauvet proposent une conceptualisation originale de l’entreprise, qu’ils définissent non seulement comme une entité économique, mais également comme une communauté sociale. Cette double lecture s’incarne dans le concept de « socio-genèse », qui désigne le processus par lequel l’entreprise se constitue et se transforme au fil des interactions sociales, des pratiques collectives et des dynamiques culturelles internes. L’entreprise y est appréhendée comme un organisme vivant, évolutif, construit socialement par les individus qui la composent.

Ce cadre théorique met en lumière le rôle déterminant des relations humaines, de la culture organisationnelle et des pratiques sociales dans le développement et la performance de l’organisation. Il s’inscrit ainsi dans une perspective systémique et constructiviste, qui dépasse les approches purement structurelles ou fonctionnelles.

La notion de socio-genèse résonne particulièrement avec les principes du design thinking et de la facilitation, en ce qu’elle valorise les processus participatifs, l’intelligence collective et les logiques de co-construction. Elle invite à considérer les collaborateurs non plus comme de simples ressources, mais comme des acteurs co-créateurs de valeur, capables d’influencer activement l’évolution de leur environnement de travail.

Intégrer cette vision dans les pratiques managériales peut ainsi favoriser l’émergence de formes de gouvernance plus inclusives, de cultures organisationnelles ouvertes à l’innovation, et de modes de travail propices à l’engagement et à la créativité. L’entreprise devient alors un espace d’expérimentation et de transformation continue, au sein duquel l’humain constitue à la fois le moteur et le catalyseur du changement. 
 

Toute socio-genèse, entendue comme processus de formation d’un corps social au sein de l’organisation, suppose l’existence d’objets communs susceptibles de fédérer les imaginaires. Ces objets — stratégie partagée, récit fondateur, valeurs collectives — jouent un rôle central dans la constitution de l’identité organisationnelle. Ils permettent non seulement de structurer les interactions, mais aussi de donner sens à l’action collective, en instaurant des repères symboliques dans lesquels les individus peuvent se reconnaître et s’inscrire.
 

Cette dimension symbolique trouve un écho profond dans la pensée de Cornelius Castoriadis, qui distingue l’imaginaire institué — l’ensemble des significations et représentations déjà en place dans une société ou une organisation — et l’imaginaire instituant, c’est-à-dire la capacité créatrice des collectifs à produire de nouvelles significations sociales. Appliquée à l’entreprise, cette distinction met en lumière le fait que toute stratégie, toute valeur ou tout projet collectif ne prend sens et ne génère du lien que s’il émerge d’un processus où l’imaginaire instituant peut s’exprimer.
 

Dans cette optique, l’élaboration d’une stratégie ou d’un corpus de valeurs ne saurait se limiter à une démarche descendante. Elle nécessite au contraire un travail collectif, fondé sur la délibération, la confrontation des représentations, et la mise en dialogue des imaginaires. C’est précisément ce que permettent les démarches de facilitation et de design thinking, en créant les conditions d’un espace-temps où l’imaginaire instituant peut se déployer et fertiliser les fondations symboliques de l’organisation.
 

Ainsi, les objets communs issus d’un tel processus deviennent plus que des instruments de gestion : ils agissent comme leviers d’institution, au sens fort du terme, en contribuant à faire émerger un monde commun, porteur de sens, de reconnaissance mutuelle et de potentiel d’action partagé. Ils participent pleinement à la dynamique de socio-genèse, en inscrivant les individus dans une histoire collective qu’ils ont contribué à forger.


Un exemple d'atelier collaboratif pour co- construire une stratégie vivante et des valeurs incarnées avec les collaborateurs

4.108 Comment une communauté de travail peut - elle  devenir une communauté de destin ?

Durée: 3h30 à 4h

Public : collaborateurs de terrain

Objectifs :

- Faire émerger des récits et valeurs authentiques
- Faire contribuer les équipes à la stratégie de l’entreprise de façon concrète et mobilisante

Déroulé de l’atelier:


1. Ouverture & mise en énergie (20 min)

Objectif : créer un climat de confiance et d’engagement

- Icebreaker narratif : « Un moment où j’ai eu le sentiment de contribuer à quelque chose de plus grand que moi »
- Cadrage : rappeler que la stratégie se construit aussi par ce que les collaborateurs vivent et transforment chaque jour


2. Les racines : nos valeurs vécues au quotidien (40 min)

Objectif : faire émerger les valeurs perçues et incarnées dans les gestes du terrain

- Travail en petits groupes
- Questions :
  - Quels comportements ou attitudes incarnent nos valeurs ?
  - Quels moments vous rendent fiers de votre équipe ?
- Outil : fresque des valeurs


3. La canopée : imaginer notre avenir stratégique (60 min)

Objectif : mobiliser les collaborateurs dans la projection stratégique

- Mise en récit : « L’entreprise en 2028 : comment elle est devenue un modèle ? »
- Restitution créative : frise du temps, carte postale du futur, BD, saynète
- Extraction des orientations stratégiques et marqueurs de sens


4. Le tronc commun : faire émerger les liens entre valeurs et stratégie (40 min)

Objectif : créer une vision intégrée, ancrée et incarnée

- Synthèse murale en collectif
- Animation par cercles concentriques :
  - Centre = valeurs partagées
  - Cercle 2 = leviers d’action concrets
  - Cercle 3 = ambition collective


5. Petits gestes – grandes ambitions (30 min)

Objectif : traduire l’engagement stratégique dans l’action du quotidien

- Atelier « Une action pour demain » : micro-action stratégique alignée avec les valeurs
Posture du facilitateur
- Rendre visibles les liens entre terrain, culture et cap
- Valoriser la contribution stratégique des métiers opérationnels
- Agir comme traducteur entre vécu et vision


Livrables attendus

- Cartographie visuelle des valeurs vécues
- Récits stratégiques collectifs
- Synthèse des ambitions terrain
- Mur des micro-actions stratégiques

Conclusion


Faire communauté en entreprise est une question sérieuse et incontournable   : c’est une condition d’engagement durable. Cela suppose de reconnaître que la stratégie ne peut plus être le monopole de la direction, ni les valeurs un simple affichage. Elles doivent devenir des objets vivants, construits avec celles et ceux qui font l’entreprise au quotidien.

En mobilisant la facilitation et les techniques narratives, on crée les conditions d’un dialogue plus authentique, où les imaginaires peuvent se rencontrer, se confronter, et finalement s’aligner autour d’un futur partagé. Ces approches permettent de reconnecter les décisions aux vécus, les intentions aux gestes, le cap stratégique aux réalités de terrain.

À travers un atelier comme celui que nous proposons, l’entreprise ne se contente pas de définir un cap : elle renoue avec sa capacité à faire lien, à faire sens, à faire société. C’est ainsi qu’elle peut devenir pleinement communauté de travail, mais aussi communauté de destin

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