Résumé
De nombreux travaux ont montré qu’en dépit des mutations profondes des systèmes de travail durant les trente dernières années et de la forte poussée simultanée des titulaires de l’enseignement supérieur court (BTS, DUT) dans les professions intermédiaires, les emplois d’encadrement de proximité continuent à être largement approvisionnés en France par la promotion interne. Pour faciliter l’ajustement à leur nouvelle fonction, les entreprises ont été amenées depuis longtemps à investir dans la formation et le perfectionnement de ces catégories de salariés " issus du rang ", dont les taux d’accès à la formation continue sont parmi les plus élevés. Cependant, en dépit de l’effort consenti, les dirigeants d’entreprises déplorent régulièrement l’insuffisante capacité d’adaptation de ces populations aux changements organisationnels et managériaux qu’ils souhaiteraient mettre en oeuvre. Tout en ne négligeant pas les autres raisons étudiées ailleurs qui expliqueraient cet échec relatif, l’auteur formule ici l’hypothèse que la transition professionnelle à laquelle les encadrements de promotion sont aujourd’hui confrontés relève davantage de mutations identitaires que d’un simple changement de fonction, de statut ou d’activité. Dès lors, les pédagogies classiques qui leur ont été jusqu’ici appliquées se révèlent insuffisantes pour relever le défi. C’est l’occasion de plaider pour l’adoption de dispositifs pédagogiques de type initiatique qui, en s’inspirant de la théorie anthropologique de l’acculturation et des rituels de passage, permettraient au moins de traiter deux grands types de problèmes : celui de la légitimité sans cesse remise en cause des encadrants de proximité issus de la promotion interne ; celui de l’amélioration de la gestion opérationnelle et sociale de leur micro-espace.
" Toute la dynamique du changement que nous mettons laborieusement en oeuvre vient se briser sur l’inertie et la résistance au changement des agents de maîtrise et des vieux cadres, soucieux de leurs petits privilèges " (Le DRH psychologue d’une grande entreprise, cité par M. Villette, 1976 : 50)
" La vie individuelle, quel que soit le type de société, consiste à passer successivement d'un âge à un autre et d'une occupation à une autre. Là où les âges sont séparés et aussi les occupations, ce passage s'accompagne d'actes spéciaux [...] De tels changements d'état ne vont pas sans troubler la vie sociale et la vie individuelle ; et c'est à en amoindrir les effets nuisibles que sont destinés un certain nombre de rites de passage " (A. Van Gennep, 1909 : 3 et 17).
" Toute la dynamique du changement que nous mettons laborieusement en oeuvre vient se briser sur l’inertie et la résistance au changement des agents de maîtrise et des vieux cadres, soucieux de leurs petits privilèges " (Le DRH psychologue d’une grande entreprise, cité par M. Villette, 1976 : 50)
" La vie individuelle, quel que soit le type de société, consiste à passer successivement d'un âge à un autre et d'une occupation à une autre. Là où les âges sont séparés et aussi les occupations, ce passage s'accompagne d'actes spéciaux [...] De tels changements d'état ne vont pas sans troubler la vie sociale et la vie individuelle ; et c'est à en amoindrir les effets nuisibles que sont destinés un certain nombre de rites de passage " (A. Van Gennep, 1909 : 3 et 17).
PHT2.mp3 (76.92 Mo)
Introduction
Plusieurs travaux anciens et anticipateurs (Trouvé, 1996, 1997) et plus récents (Möbus, 2002, 2009) démontrent qu’en dépit des mutations profondes intervenues dans les systèmes de travail au cours des trente dernières années et de la forte poussée simultanée des titulaires de l’enseignement supérieur court (BTS, DUT) dans les professions intermédiaires, les emplois d’encadrement de proximité continuent à être largement approvisionnés en France par la promotion interne. Ce phénomène qui mériterait en soi une grande attention s’accompagne d’un double constat.
D’une part, en dépit d’une formation initiale souvent jugée trop spécialisée et insuffisante, ces catégories professionnelles sont aujourd’hui requises pour jouer un rôle stratégique majeur dans la conduite des transformations organisationnelles et managériales. D’où l’investissement massif des entreprises françaises dans la formation continue de ces populations, une fois nommées à leurs nouvelles fonctions. C’est ce que montrent régulièrement les enquêtes Formation Continue du Céreq.
Mais d’autre part, cet effort acharné pour ajuster régulièrement les compétences des catégories d’encadrement de proximité se révèle peu efficient (Trouvé, 2009) et n’a pas empêché les dirigeants d’entreprises de déplorer inlassablement leurs lacunes, non seulement dans la conduite des changements lors des principales phases historiques de rationalisation, mais également dans la maîtrise sociale quotidienne de leur micro-espace de responsabilité. C’est ce que révèlent, entre autres, les travaux les plus canoniques d’histoire du travail depuis le début du siècle dernier (première partie). Tout en ne négligeant pas les autres raisons étudiées ailleurs qui expliqueraient cet échec relatif (par ex. - Trouvé, idem ; Gillet, 2009 -), l’auteur formule ici l’hypothèse que la transition professionnelle à laquelle les encadrements de promotion sont aujourd’hui confrontés, relève davantage de mutations identitaires que d’un simple changement de fonction.
Dès lors, il n’est pas étonnant que les pédagogies d’accompagnement qui leur sont traditionnellement appliquées, basées généralement sur la simple acquisition de nouvelles connaissances (pédagogie didactique), de nouveaux savoir-faire (pédagogie pratique, application de référentiels de compétences) voire de nouveaux comportements (psychologisation superficielle), soient largement insuffisantes pour relever le défi proposé. Après avoir rappelé que seules les pédagogies initiatiques sont susceptibles de permettre le passage d’un état social à un autre, mobilisant les profondeurs de l’individu et notamment sa relation à l’autorité, l’auteur s’inspire d’un riche corpus issu de la théorie anthropologique de l’acculturation et des rituels de passage pour formuler une seconde proposition : les mécanismes structurels sous-jacents aux rituels de passage identifiés par les anthropologues dans la plupart des sociétés pourraient valablement servir de cadre méthodologique à l’accompagnement des situations de promotion professionnelle et de transitions identitaires en milieu professionnel (deuxième partie).
Par un jeu d’analogies successives entre les " séquences cérémonielles " discernées notamment par A. Van Gennep (1909) pour passer du " profane " au " sacré " ou d’une classe d’âge à une autre dans les sociétés traditionnelles, et les diverses étapes à construire pour aider les individus à franchir la frontière d’un groupe à un autre dans les organisations modernes (ici les ouvriers ou employés " méritants ", en transit vers un nouveau statut d’encadrant " accompli "), l’auteur fait le pari que des dispositifs socialement réglés pour assurer ces transitions, pourraient être étendus aux situations actuelles d’entreprises (troisième partie). La communication aboutit à un schéma expérimental - c’est une troisième proposition - qui ne demanderait qu’à se tester dans des entreprises volontaires, notamment pour contourner les difficultés des encadrants de proximité issus du rang à assimiler les nouveaux habitus managériaux qui leur sont désormais prescrits (conclusion).
D’une part, en dépit d’une formation initiale souvent jugée trop spécialisée et insuffisante, ces catégories professionnelles sont aujourd’hui requises pour jouer un rôle stratégique majeur dans la conduite des transformations organisationnelles et managériales. D’où l’investissement massif des entreprises françaises dans la formation continue de ces populations, une fois nommées à leurs nouvelles fonctions. C’est ce que montrent régulièrement les enquêtes Formation Continue du Céreq.
Mais d’autre part, cet effort acharné pour ajuster régulièrement les compétences des catégories d’encadrement de proximité se révèle peu efficient (Trouvé, 2009) et n’a pas empêché les dirigeants d’entreprises de déplorer inlassablement leurs lacunes, non seulement dans la conduite des changements lors des principales phases historiques de rationalisation, mais également dans la maîtrise sociale quotidienne de leur micro-espace de responsabilité. C’est ce que révèlent, entre autres, les travaux les plus canoniques d’histoire du travail depuis le début du siècle dernier (première partie). Tout en ne négligeant pas les autres raisons étudiées ailleurs qui expliqueraient cet échec relatif (par ex. - Trouvé, idem ; Gillet, 2009 -), l’auteur formule ici l’hypothèse que la transition professionnelle à laquelle les encadrements de promotion sont aujourd’hui confrontés, relève davantage de mutations identitaires que d’un simple changement de fonction.
Dès lors, il n’est pas étonnant que les pédagogies d’accompagnement qui leur sont traditionnellement appliquées, basées généralement sur la simple acquisition de nouvelles connaissances (pédagogie didactique), de nouveaux savoir-faire (pédagogie pratique, application de référentiels de compétences) voire de nouveaux comportements (psychologisation superficielle), soient largement insuffisantes pour relever le défi proposé. Après avoir rappelé que seules les pédagogies initiatiques sont susceptibles de permettre le passage d’un état social à un autre, mobilisant les profondeurs de l’individu et notamment sa relation à l’autorité, l’auteur s’inspire d’un riche corpus issu de la théorie anthropologique de l’acculturation et des rituels de passage pour formuler une seconde proposition : les mécanismes structurels sous-jacents aux rituels de passage identifiés par les anthropologues dans la plupart des sociétés pourraient valablement servir de cadre méthodologique à l’accompagnement des situations de promotion professionnelle et de transitions identitaires en milieu professionnel (deuxième partie).
Par un jeu d’analogies successives entre les " séquences cérémonielles " discernées notamment par A. Van Gennep (1909) pour passer du " profane " au " sacré " ou d’une classe d’âge à une autre dans les sociétés traditionnelles, et les diverses étapes à construire pour aider les individus à franchir la frontière d’un groupe à un autre dans les organisations modernes (ici les ouvriers ou employés " méritants ", en transit vers un nouveau statut d’encadrant " accompli "), l’auteur fait le pari que des dispositifs socialement réglés pour assurer ces transitions, pourraient être étendus aux situations actuelles d’entreprises (troisième partie). La communication aboutit à un schéma expérimental - c’est une troisième proposition - qui ne demanderait qu’à se tester dans des entreprises volontaires, notamment pour contourner les difficultés des encadrants de proximité issus du rang à assimiler les nouveaux habitus managériaux qui leur sont désormais prescrits (conclusion).
1. Les encadrements de proximité : une catégorie professionnelle qui polarise une multiplicité d’attentes jamais entièrement satisfaites
" Peuvent mieux faire " : tel est le verdict porté inlassablement dans l’histoire par les directions d’entreprises sur leurs encadrements de proximité. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir centré à nouveau leur attention sur eux après une période où, dans l’euphorie de l’émergence de nouveaux modèles productifs, dans les années 1980 et 1990, elles en étaient au contraire venues à prévoir leur disparition ou leur remplacement par de nouveaux profils, plus jeunes, plus diplômés et, pour tout dire, culturellement mieux armés pour assumer les évolutions organisationnelles et managériales annoncées. Or, en dépit de toutes ces prévisions, le recrutement de ces catégories par la voix de la promotion interne est resté quasiment stable, résistant notamment aux flux de jeunes sortants de l’enseignement supérieur court (DUT, BTS) dont on avait prévu l’accès direct aux positions d’encadrement. En 2005 encore, près de 70 % des agents de maîtrise n’ont pas atteint le niveau du baccalauréat et près d’un sur deux ne dispose que d’un CAP, contre 14 % un niveau III (BTS, DUT) (Möbus, 2009 : 33). D’où l’effort de formation continue déployé par les entreprises en direction de l’encadrement autodidacte traditionnel afin de combler " ses lacunes ". Pour autant, comme tout au long de l’histoire, cette dynamique formative s’est avérée jusqu’ici assez peu efficiente au regard des multiples attentes managériales (Trouvé, 2009).
1.1 Un segment professionnel singulier dans la hiérarchie des entreprises
La définition des catégories d’encadrement dont il sera question ici, oscille en permanence entre deux modes de construction : l’un plutôt statistique, issu des nomenclatures de l’INSEE ou des classifications professionnelles des conventions collectives ; l’autre, plutôt d’ordre sociologique, fait référence aux désignations utilisées par les entreprises dans leur gestion quotidienne du personnel. La première définition facilite certes les traitements statistiques et souligne l’ancrage historique de la catégorie professionnelle dans la production industrielle. C’est le cas par exemple de la catégorie 48 : " contremaîtres, agents de maîtrise ". Mais elle comporte le risque de négliger du coup sa dispersion grandissante dans d’autres secteurs d’activité tels que la construction (où travaillent aujourd’hui 18 % des agents de maîtrise), l’énergie (15 %) et même les commerces (11 %) ou l’hôtellerie restauration (9 %), bref de passer à côté de sa tertiarisation, seule repérable dans les nomenclatures à 412 postes. On trouverait ainsi aujourd’hui " de la maîtrise " dans les activités administratives (financières, comptables, juridiques…), les services opérationnels ou les services commerciaux d’activités spécifiques, tels que les transports et le tourisme. L’autre limite de cette première définition est de cantonner l’encadrement à sa fonction traditionnelle d’autorité hiérarchique sur un nombre plus ou moins élevé de collaborateurs et de négliger sous une même appellation professionnelle, une multiplicité d’autres tâches, très différentes selon les secteurs, selon les entreprises, voire d’un poste à un autre (Volkoff, 1987 : 29). De même, les catégories objectives ne protègent pas contre des recoupements ou des superpositions entre les professions.
Ainsi, le " chef de rayon " ou le " chef de caisse " dans la grande distribution alimentaire (devenus " managers " dans la taxinomie ordinaire des entreprises), font-ils partie de l’encadrement opérationnel ou des professions intermédiaires commerciales ? Et ceci d’autant plus que l’analyse du contenu de leur activité fait apparaître des tâches de management des hommes. De sorte qu’en limitant l’approche aux PCS (Professions et Catégories Socioprofessionnelles), le risque est grand de se couper, par abstraction, de la dynamique des emplois, des nouvelles formes de hiérarchisation et de professionnalité à l’oeuvre dans les entreprises.
C’est pourquoi, une autre approche est possible qui fait la part majeure aux désignations construites par les entreprises elles-mêmes. Celle-ci n’est certes pas, à son tour, exempte de difficultés : par exemple, en faisant prévaloir la fonction sur le statut, l’analyste ne se soumet-il pas trop hâtivement aux rhétoriques managériales qui, à force de distribuer symboliquement des titres emphatiques, favorisent toujours un peu les fausses identifications et les confusions entre la variabilité éminente des " conditions " actuelles d’exercice de l’encadrement et la permanence relative de leurs " positions ", c’est-à-dire de leurs propriétés objectives - souvent déconsidérées - dans les hiérarchies sociales et organisationnelles (Bourdieu, 1966 ; Coutrot, 2002) ? Fausses identifications et confusions d’autant plus marquées qu’on se situerait ici dans le segment intermédiaire de l’espace social, lieu par excellence de mobilités incessantes, de frontières indécises et mouvantes, de " tensions accumulées " entre les groupes professionnels et donc d’instabilité identitaire (Chauvel, 2006). N’en serait-il pas ainsi aujourd’hui à travers l’inflation du titre de " manager " qui s’applique tout autant aux cadres dirigeants qu’aux responsables d’unité et jusqu’à certains chefs d’équipe (par exemple dans la restauration rapide), faisant ainsi oublier que les catégories d’encadrement qui nous occupent ici partagent avec les professions intermédiaires et pour ainsi dire les classes moyennes de salariés d’entreprise, une position subordonnée, " exerçant leurs activités dans les cadres sociaux qui leur sont imposés (organisation de l’entreprise, des professions…) et pour mettre en oeuvre des politiques dont la détermination ne leur appartient pas " (Monjardet, Benguigui, 1985 : 146-147) ?
En dépit de ces imperfections, c’est cette deuxième voie définitionnelle qui prévaudra ici, étant données les finalités managériales de notre recherche. Elle laisse volontairement coexister une définition stricte de notre objet, relative à sa position (soit des encadrants non-cadres, désignés parfois par " n+1 ", où " n " représente l’opérateur de base, l’ouvrier, l’employé…), avec la multiplicité de ses conditions concrètes d’exercice et de ses appellations, rendue ici par le pluriel (" les catégories d’encadrement de proximité " ou " intermédiaire ", encadrement de première ligne ou même " manager "). Sans pouvoir éviter les processus d’euphémisation à l’oeuvre dans les rhétoriques managériales actuelles, elle a l’avantage de situer d’emblée l’analyse dans les pratiques d’entreprise, ce qui est le but recherché dans notre contribution.
La définition des catégories d’encadrement dont il sera question ici, oscille en permanence entre deux modes de construction : l’un plutôt statistique, issu des nomenclatures de l’INSEE ou des classifications professionnelles des conventions collectives ; l’autre, plutôt d’ordre sociologique, fait référence aux désignations utilisées par les entreprises dans leur gestion quotidienne du personnel. La première définition facilite certes les traitements statistiques et souligne l’ancrage historique de la catégorie professionnelle dans la production industrielle. C’est le cas par exemple de la catégorie 48 : " contremaîtres, agents de maîtrise ". Mais elle comporte le risque de négliger du coup sa dispersion grandissante dans d’autres secteurs d’activité tels que la construction (où travaillent aujourd’hui 18 % des agents de maîtrise), l’énergie (15 %) et même les commerces (11 %) ou l’hôtellerie restauration (9 %), bref de passer à côté de sa tertiarisation, seule repérable dans les nomenclatures à 412 postes. On trouverait ainsi aujourd’hui " de la maîtrise " dans les activités administratives (financières, comptables, juridiques…), les services opérationnels ou les services commerciaux d’activités spécifiques, tels que les transports et le tourisme. L’autre limite de cette première définition est de cantonner l’encadrement à sa fonction traditionnelle d’autorité hiérarchique sur un nombre plus ou moins élevé de collaborateurs et de négliger sous une même appellation professionnelle, une multiplicité d’autres tâches, très différentes selon les secteurs, selon les entreprises, voire d’un poste à un autre (Volkoff, 1987 : 29). De même, les catégories objectives ne protègent pas contre des recoupements ou des superpositions entre les professions.
Ainsi, le " chef de rayon " ou le " chef de caisse " dans la grande distribution alimentaire (devenus " managers " dans la taxinomie ordinaire des entreprises), font-ils partie de l’encadrement opérationnel ou des professions intermédiaires commerciales ? Et ceci d’autant plus que l’analyse du contenu de leur activité fait apparaître des tâches de management des hommes. De sorte qu’en limitant l’approche aux PCS (Professions et Catégories Socioprofessionnelles), le risque est grand de se couper, par abstraction, de la dynamique des emplois, des nouvelles formes de hiérarchisation et de professionnalité à l’oeuvre dans les entreprises.
C’est pourquoi, une autre approche est possible qui fait la part majeure aux désignations construites par les entreprises elles-mêmes. Celle-ci n’est certes pas, à son tour, exempte de difficultés : par exemple, en faisant prévaloir la fonction sur le statut, l’analyste ne se soumet-il pas trop hâtivement aux rhétoriques managériales qui, à force de distribuer symboliquement des titres emphatiques, favorisent toujours un peu les fausses identifications et les confusions entre la variabilité éminente des " conditions " actuelles d’exercice de l’encadrement et la permanence relative de leurs " positions ", c’est-à-dire de leurs propriétés objectives - souvent déconsidérées - dans les hiérarchies sociales et organisationnelles (Bourdieu, 1966 ; Coutrot, 2002) ? Fausses identifications et confusions d’autant plus marquées qu’on se situerait ici dans le segment intermédiaire de l’espace social, lieu par excellence de mobilités incessantes, de frontières indécises et mouvantes, de " tensions accumulées " entre les groupes professionnels et donc d’instabilité identitaire (Chauvel, 2006). N’en serait-il pas ainsi aujourd’hui à travers l’inflation du titre de " manager " qui s’applique tout autant aux cadres dirigeants qu’aux responsables d’unité et jusqu’à certains chefs d’équipe (par exemple dans la restauration rapide), faisant ainsi oublier que les catégories d’encadrement qui nous occupent ici partagent avec les professions intermédiaires et pour ainsi dire les classes moyennes de salariés d’entreprise, une position subordonnée, " exerçant leurs activités dans les cadres sociaux qui leur sont imposés (organisation de l’entreprise, des professions…) et pour mettre en oeuvre des politiques dont la détermination ne leur appartient pas " (Monjardet, Benguigui, 1985 : 146-147) ?
En dépit de ces imperfections, c’est cette deuxième voie définitionnelle qui prévaudra ici, étant données les finalités managériales de notre recherche. Elle laisse volontairement coexister une définition stricte de notre objet, relative à sa position (soit des encadrants non-cadres, désignés parfois par " n+1 ", où " n " représente l’opérateur de base, l’ouvrier, l’employé…), avec la multiplicité de ses conditions concrètes d’exercice et de ses appellations, rendue ici par le pluriel (" les catégories d’encadrement de proximité " ou " intermédiaire ", encadrement de première ligne ou même " manager "). Sans pouvoir éviter les processus d’euphémisation à l’oeuvre dans les rhétoriques managériales actuelles, elle a l’avantage de situer d’emblée l’analyse dans les pratiques d’entreprise, ce qui est le but recherché dans notre contribution.
1.2 Un groupe professionnel considéré comme central mais à la légitimité sans cesse remise en cause
L’intérêt porté aujourd’hui aux catégories d’encadrement intermédiaire et de proximité est presque un revival. Car il apparaît tout au long de l’histoire de façon séquentielle dans des périodes de forte rationalisation du travail, de crises sociale ou industrielle (qui sont aussi des crises de l’autorité), entrecoupées de phases plus ou moins longues d’indifférence ou d’oubli à l’égard de ces acteurs " charnières ", de ces figures " pivot ", de ces fonctions " du milieu " ou ces " salariés de confiance ". A chaque fois, un même scénario semble se jouer : dans les moments de crise brutale ou au cours des cycles de grande transformation, les encadrements de proximité sont au centre des préoccupations des dirigeants d’entreprise, soit que ces derniers leur concèdent tardivement une centralité qu’ils avaient négligée en vitesse de croisière, soit qu’ils déplorent inlassablement leur incapacité à correspondre aux idéaux managériaux et organisationnels qu’ils souhaitaient leur imposer. Dans un second temps, des préconisations se formulent qui visent tantôt à réformer l’encadrement, souvent par des actions de formation ciblées, tantôt à faire disparaître ou à remplacer ses franges considérées comme les plus inaptes, tantôt ou en même temps à transformer radicalement les organisations. A chaque fois pourtant, le désenchantement est au rendez-vous : les actions mises en oeuvre se révèlent incapables de résoudre les problèmes posés.
Sans remonter à l’instabilité native de leur fonction duale, coincée entre technicité professionnelle et contrôle social, ni aux fondements historiques de leur fragilité chronique due, en partie au moins, à la multiplicité des principes de leur légitimité (sont-ils les plus habiles ? les plus expérimentés ? Les plus méritants ? " Agents Infiltrés ou intercesseurs des ouvriers auprès des autorités légitimes " ? Selon le mot de Jarrige et Chalmin, 2008 : 56 -), il en fut ainsi par exemple, dans les années 1880-1920, lors de la lente diffusion de la doctrine scientifique dans les entreprises françaises (Fridenson, 1978, 1987 ; Moutet 1997). Si les contremaîtres de l’ancienne école furent mis à contribution dans la première phase à la fois pour éradiquer le contrôle collectif de la production par les ouvriers professionnels et pour relayer le mouvement de rationalisation par des politiques paternalistes (Moutet, 1978 : 469 et sq), ils furent peu à peu victimes de " la subordination de l’atelier au bureau " (Dewerpe, 1989 : 41), remplacés notamment dans leurs tâches organisationnelles par les ingénieurs, mieux à même - pensaient les décideurs - de répondre à la complexification des grandes entreprises.
De même en 1936, alors que le rapport de force s’était inversé entre les ouvriers et les patrons, les grandes grèves exprimèrent souvent des mouvements d’hostilité à l’égard de la maîtrise. Elles s’achevèrent par les accords Matignon) où " l’encadrement subalterne " vit sa fonction sociale court-circuitée au bénéfice des délégués du personnel, des syndicats … et des ouvriers eux-mêmes. Pour les organisateurs, un fossé s’était en effet creusé dans les entreprises entre la classe ouvrière et les hauts dirigeants qu’il importait de combler en proposant, comme H. Dubreuil et E. Rimailho, de libérer l’initiative ouvrière par des ateliers ou équipes autonomes, ou comme le centralien J. Kernéis (cité par Moutet, 1997 : 392) par l’éducation directe des ouvriers confiée désormais aux ingénieurs. Mais surtout pas aux contremaîtres ! Car il convenait auparavant de former ces derniers au même titre que les ouvriers pour changer leur mentalité. D’ailleurs au lendemain des soulèvements de 1936, E. Mattern grand inspirateur des politiques sociales chez Peugeot, l’exprimera de façon réitérée : les désordres sociaux sont advenus à cause de l’incompétence des contremaîtres. " Vos contremaîtres ne savent pas commander ", répète-t-il aux responsables de la main-d’oeuvre et, à partir de 1938, il multiplia les conférences, les causeries auprès des agents de maîtrise sur " l’art de mener les hommes " avant d’envisager la création d’une école de maîtrise ( - qui deviendra bien vite une école des cadres (Cohen, 2001 : 42) -). De même, chez Renault les chefs d’équipes ne s’étant pas montrés suffisamment fiables pour calmer l’ardeur insurrectionnelle des ouvriers, furent supprimés et remplacés par de véritables professionnels. Louis Renault) en personne recommanda à plusieurs reprises de former à hautes doses la maîtrise pour changer " ses méthodes de commandement trop brutales " et la CEGOS se spécialisa dès 1938 dans " la formation sociale des agents de maîtrise ".
En mai-juin 1968 encore, le même processus se mit en place. La France était alors en expansion et le nombre d’ouvriers, surtout des OS, n’avait cessé de croître, suite à la reconstruction, notamment dans les grandes entreprises concentrées des secteurs automobile, de la construction électrique et de l’électroménager où il était fait appel à la main-d’oeuvre étrangère. Dans cette période qui inaugura " un cycle d’insubordination ouvrière " poursuivi jusqu’à la fin des années 1970 (Vigna, 2007 : 326), au-delà des salaires, des cadences et de " l’ordre usinier ", la contestation de " l’autorité des petits chefs " tint une place toute spéciale dans les plateformes revendicatives. Comme toujours, par leur proximité même, ils focalisèrent l’ire des ouvriers car ils incarnaient, plus que les patrons, la tyrannie au quotidien et la trahison de classe. Dans son autobiographique Grain de sable sous le capot (1990), M. Durand ouvrier sochalien, le rappelait : " La direction, les actionnaires, pour nous, c’est de l’abstrait. Nous, nous voulons nous battre contre du réel, du concret, du vécu de tous les jours. Les c… […] en face de nous, n’est-ce pas ces petits chefs qui […] ne sont même pas capables de nous faire une démonstration manuelle de leur savoir ? " (p. 101). Plus encore qu’en 1936, c’est la notion même de commandement qui fit ici problème et, à travers elle, n’est-ce pas un débat qui s’engagea sur la légitimité respective de l’encadrement de base et des délégués syndicaux pour encourager la nécessaire expression ouvrière ? Un débat dont la maîtrise promotionnelle fera encore les frais, comme en témoigne le Rapport Sudreau (1975) : " l’insuffisance d’expression individuelle sur le tas fausse les rapports humains et peut conduire à l’arbitraire ceux qui disposent d’un pouvoir de commandement. Il semble que les jeunes générations soient particulièrement allergiques à ces formes de discipline traditionnelle qui n’accordent qu’une place réduite aux possibilités d’expression personnelle " (pp.56-57).
Devant la fragilisation potentielle de la maîtrise qui suscitait sa défiance, l’auteur du rapport préconisait alors de renforcer son autorité en lui associant d’autres niveaux hiérarchiques et des délégués du personnel, en la mettant en somme à son tour sous contrôle : " des expériences en cours dans des entreprises montrent que la liberté d’expression est parfaitement compatible avec l’exercice efficace de l’autorité hiérarchique ; pour qu’il en soit ainsi, il importe d’associer aux réunions d’unités de production - ateliers, magasins, bureaux - la maîtrise, un ou plusieurs cadres de niveau plus élevé, ainsi que des délégués du personnel compétents " (idem : 57).
Cette tendance à la mise sous tutelle de la maîtrise traditionnelle resurgira d’ailleurs en 1982, lors de l’introduction des lois Auroux sur l’expression directe des travailleurs, ressentie comme d’autant plus dangereuse par le patronat que sa mise en oeuvre fut clairement localisée à l’atelier ou au service, là où se jouaient les possibilités de manipulation d’une maîtrise incertaine par des acteurs syndicaux revigorés. On ne parlera plus désormais de commandement, mais d’animation d’équipe et de coordination, surtout dans les grandes organisations où " le participatif " deviendra peu à peu " la nouvelle norme culturelle de la direction " (Mothé-Gautrat, 1986 : 101). Bref, on invente la figure du " manager " moderne.
D’où les mêmes conclusions et les mêmes remèdes : tout en refoulant définitivement le spectre de la démocratie industrielle et plus encore de l’autogestion, il s’agira dans cette période de repenser à nouveaux frais la formation des encadrements traditionnels (chefs d’équipe et agents de maîtrise), auxquels les relations de coopération n’ont jamais été enseignées : " leur promotion […] s’est effectuée sur une sélection inverse. On choisissait de préférence les plus autoritaires " soupire Mothé-Gautrat (1986 : 104). A partir des années 1970, c’est du coup la psychosociologie d’entreprise et des groupes restreints qui entra en action, mettant en place un véritable " traitement psychologique des intermédiaires " (Villette, 1976 : 51). Pour s’assurer d’une meilleure emprise des formations, on substitua alors des stages résidentiels aux simples cours. Car il s’agissait de " favoriser chez les participants une évolution vers un style d’autorité plus participatif et plus adapté à l’évolution des mentalités " (plaquette d’un cabinet de formation pour un stage de communication, cité par Villette, 1976 : 55). Et Villette de préciser : " à consulter les statistiques des trois premières années d’application de la loi de 1971, il semble que la formation permanente concerne peu les ouvriers et qu’elle est surtout centrée sur les catégories de personnels intermédiaires, cadres moyens, agents de maîtrise, techniciens, qui bénéficient de la masse des enseignements " (idem : 48). Une situation qui ne changera pas désormais jusqu’à nos jours : les encadrements de proximité sont parmi les catégories professionnelles dont le taux d’accès à la formation continue est le plus élevé, avec des résultats plus que mitigés (Trouvé, 2009).
Une leçon très générale émergerait de cette incursion historique : c’est lorsque les ouvriers ou les employés se voient ouvrir un espace d’expression, de plus grande autonomie ou de responsabilité, que la légitimité des encadrements de proximité, surtout de promotion, apparait la plus fragile. Car dans ce cas, ils mordent sur la sphère de professionnalité concédée aux premiers, sans pour autant pouvoir se déployer vers un statut managérial plus enviable qui constitue à bien des égards un " plafond de verre ". A l’inverse, les contextes qui leur sont le plus favorable correspondent aux périodes de grandes concentrations industrielles, de mutations technologiques et où le développement de l’activité économique appelle un afflux de main-d’oeuvre souvent peu qualifiée. Il en fut ainsi lors de la deuxième révolution industrielle et jusqu’aux années 1920, où la mécanisation et les nouvelles méthodes d’organisation, en réduisant le pouvoir des maîtres ouvriers consacra un moment ce que l’historien D. Nelson appela " l’empire du contremaître " (1975, chap. III : " The Foreman’s Empire ").
L’intérêt porté aujourd’hui aux catégories d’encadrement intermédiaire et de proximité est presque un revival. Car il apparaît tout au long de l’histoire de façon séquentielle dans des périodes de forte rationalisation du travail, de crises sociale ou industrielle (qui sont aussi des crises de l’autorité), entrecoupées de phases plus ou moins longues d’indifférence ou d’oubli à l’égard de ces acteurs " charnières ", de ces figures " pivot ", de ces fonctions " du milieu " ou ces " salariés de confiance ". A chaque fois, un même scénario semble se jouer : dans les moments de crise brutale ou au cours des cycles de grande transformation, les encadrements de proximité sont au centre des préoccupations des dirigeants d’entreprise, soit que ces derniers leur concèdent tardivement une centralité qu’ils avaient négligée en vitesse de croisière, soit qu’ils déplorent inlassablement leur incapacité à correspondre aux idéaux managériaux et organisationnels qu’ils souhaitaient leur imposer. Dans un second temps, des préconisations se formulent qui visent tantôt à réformer l’encadrement, souvent par des actions de formation ciblées, tantôt à faire disparaître ou à remplacer ses franges considérées comme les plus inaptes, tantôt ou en même temps à transformer radicalement les organisations. A chaque fois pourtant, le désenchantement est au rendez-vous : les actions mises en oeuvre se révèlent incapables de résoudre les problèmes posés.
Sans remonter à l’instabilité native de leur fonction duale, coincée entre technicité professionnelle et contrôle social, ni aux fondements historiques de leur fragilité chronique due, en partie au moins, à la multiplicité des principes de leur légitimité (sont-ils les plus habiles ? les plus expérimentés ? Les plus méritants ? " Agents Infiltrés ou intercesseurs des ouvriers auprès des autorités légitimes " ? Selon le mot de Jarrige et Chalmin, 2008 : 56 -), il en fut ainsi par exemple, dans les années 1880-1920, lors de la lente diffusion de la doctrine scientifique dans les entreprises françaises (Fridenson, 1978, 1987 ; Moutet 1997). Si les contremaîtres de l’ancienne école furent mis à contribution dans la première phase à la fois pour éradiquer le contrôle collectif de la production par les ouvriers professionnels et pour relayer le mouvement de rationalisation par des politiques paternalistes (Moutet, 1978 : 469 et sq), ils furent peu à peu victimes de " la subordination de l’atelier au bureau " (Dewerpe, 1989 : 41), remplacés notamment dans leurs tâches organisationnelles par les ingénieurs, mieux à même - pensaient les décideurs - de répondre à la complexification des grandes entreprises.
De même en 1936, alors que le rapport de force s’était inversé entre les ouvriers et les patrons, les grandes grèves exprimèrent souvent des mouvements d’hostilité à l’égard de la maîtrise. Elles s’achevèrent par les accords Matignon) où " l’encadrement subalterne " vit sa fonction sociale court-circuitée au bénéfice des délégués du personnel, des syndicats … et des ouvriers eux-mêmes. Pour les organisateurs, un fossé s’était en effet creusé dans les entreprises entre la classe ouvrière et les hauts dirigeants qu’il importait de combler en proposant, comme H. Dubreuil et E. Rimailho, de libérer l’initiative ouvrière par des ateliers ou équipes autonomes, ou comme le centralien J. Kernéis (cité par Moutet, 1997 : 392) par l’éducation directe des ouvriers confiée désormais aux ingénieurs. Mais surtout pas aux contremaîtres ! Car il convenait auparavant de former ces derniers au même titre que les ouvriers pour changer leur mentalité. D’ailleurs au lendemain des soulèvements de 1936, E. Mattern grand inspirateur des politiques sociales chez Peugeot, l’exprimera de façon réitérée : les désordres sociaux sont advenus à cause de l’incompétence des contremaîtres. " Vos contremaîtres ne savent pas commander ", répète-t-il aux responsables de la main-d’oeuvre et, à partir de 1938, il multiplia les conférences, les causeries auprès des agents de maîtrise sur " l’art de mener les hommes " avant d’envisager la création d’une école de maîtrise ( - qui deviendra bien vite une école des cadres (Cohen, 2001 : 42) -). De même, chez Renault les chefs d’équipes ne s’étant pas montrés suffisamment fiables pour calmer l’ardeur insurrectionnelle des ouvriers, furent supprimés et remplacés par de véritables professionnels. Louis Renault) en personne recommanda à plusieurs reprises de former à hautes doses la maîtrise pour changer " ses méthodes de commandement trop brutales " et la CEGOS se spécialisa dès 1938 dans " la formation sociale des agents de maîtrise ".
En mai-juin 1968 encore, le même processus se mit en place. La France était alors en expansion et le nombre d’ouvriers, surtout des OS, n’avait cessé de croître, suite à la reconstruction, notamment dans les grandes entreprises concentrées des secteurs automobile, de la construction électrique et de l’électroménager où il était fait appel à la main-d’oeuvre étrangère. Dans cette période qui inaugura " un cycle d’insubordination ouvrière " poursuivi jusqu’à la fin des années 1970 (Vigna, 2007 : 326), au-delà des salaires, des cadences et de " l’ordre usinier ", la contestation de " l’autorité des petits chefs " tint une place toute spéciale dans les plateformes revendicatives. Comme toujours, par leur proximité même, ils focalisèrent l’ire des ouvriers car ils incarnaient, plus que les patrons, la tyrannie au quotidien et la trahison de classe. Dans son autobiographique Grain de sable sous le capot (1990), M. Durand ouvrier sochalien, le rappelait : " La direction, les actionnaires, pour nous, c’est de l’abstrait. Nous, nous voulons nous battre contre du réel, du concret, du vécu de tous les jours. Les c… […] en face de nous, n’est-ce pas ces petits chefs qui […] ne sont même pas capables de nous faire une démonstration manuelle de leur savoir ? " (p. 101). Plus encore qu’en 1936, c’est la notion même de commandement qui fit ici problème et, à travers elle, n’est-ce pas un débat qui s’engagea sur la légitimité respective de l’encadrement de base et des délégués syndicaux pour encourager la nécessaire expression ouvrière ? Un débat dont la maîtrise promotionnelle fera encore les frais, comme en témoigne le Rapport Sudreau (1975) : " l’insuffisance d’expression individuelle sur le tas fausse les rapports humains et peut conduire à l’arbitraire ceux qui disposent d’un pouvoir de commandement. Il semble que les jeunes générations soient particulièrement allergiques à ces formes de discipline traditionnelle qui n’accordent qu’une place réduite aux possibilités d’expression personnelle " (pp.56-57).
Devant la fragilisation potentielle de la maîtrise qui suscitait sa défiance, l’auteur du rapport préconisait alors de renforcer son autorité en lui associant d’autres niveaux hiérarchiques et des délégués du personnel, en la mettant en somme à son tour sous contrôle : " des expériences en cours dans des entreprises montrent que la liberté d’expression est parfaitement compatible avec l’exercice efficace de l’autorité hiérarchique ; pour qu’il en soit ainsi, il importe d’associer aux réunions d’unités de production - ateliers, magasins, bureaux - la maîtrise, un ou plusieurs cadres de niveau plus élevé, ainsi que des délégués du personnel compétents " (idem : 57).
Cette tendance à la mise sous tutelle de la maîtrise traditionnelle resurgira d’ailleurs en 1982, lors de l’introduction des lois Auroux sur l’expression directe des travailleurs, ressentie comme d’autant plus dangereuse par le patronat que sa mise en oeuvre fut clairement localisée à l’atelier ou au service, là où se jouaient les possibilités de manipulation d’une maîtrise incertaine par des acteurs syndicaux revigorés. On ne parlera plus désormais de commandement, mais d’animation d’équipe et de coordination, surtout dans les grandes organisations où " le participatif " deviendra peu à peu " la nouvelle norme culturelle de la direction " (Mothé-Gautrat, 1986 : 101). Bref, on invente la figure du " manager " moderne.
D’où les mêmes conclusions et les mêmes remèdes : tout en refoulant définitivement le spectre de la démocratie industrielle et plus encore de l’autogestion, il s’agira dans cette période de repenser à nouveaux frais la formation des encadrements traditionnels (chefs d’équipe et agents de maîtrise), auxquels les relations de coopération n’ont jamais été enseignées : " leur promotion […] s’est effectuée sur une sélection inverse. On choisissait de préférence les plus autoritaires " soupire Mothé-Gautrat (1986 : 104). A partir des années 1970, c’est du coup la psychosociologie d’entreprise et des groupes restreints qui entra en action, mettant en place un véritable " traitement psychologique des intermédiaires " (Villette, 1976 : 51). Pour s’assurer d’une meilleure emprise des formations, on substitua alors des stages résidentiels aux simples cours. Car il s’agissait de " favoriser chez les participants une évolution vers un style d’autorité plus participatif et plus adapté à l’évolution des mentalités " (plaquette d’un cabinet de formation pour un stage de communication, cité par Villette, 1976 : 55). Et Villette de préciser : " à consulter les statistiques des trois premières années d’application de la loi de 1971, il semble que la formation permanente concerne peu les ouvriers et qu’elle est surtout centrée sur les catégories de personnels intermédiaires, cadres moyens, agents de maîtrise, techniciens, qui bénéficient de la masse des enseignements " (idem : 48). Une situation qui ne changera pas désormais jusqu’à nos jours : les encadrements de proximité sont parmi les catégories professionnelles dont le taux d’accès à la formation continue est le plus élevé, avec des résultats plus que mitigés (Trouvé, 2009).
Une leçon très générale émergerait de cette incursion historique : c’est lorsque les ouvriers ou les employés se voient ouvrir un espace d’expression, de plus grande autonomie ou de responsabilité, que la légitimité des encadrements de proximité, surtout de promotion, apparait la plus fragile. Car dans ce cas, ils mordent sur la sphère de professionnalité concédée aux premiers, sans pour autant pouvoir se déployer vers un statut managérial plus enviable qui constitue à bien des égards un " plafond de verre ". A l’inverse, les contextes qui leur sont le plus favorable correspondent aux périodes de grandes concentrations industrielles, de mutations technologiques et où le développement de l’activité économique appelle un afflux de main-d’oeuvre souvent peu qualifiée. Il en fut ainsi lors de la deuxième révolution industrielle et jusqu’aux années 1920, où la mécanisation et les nouvelles méthodes d’organisation, en réduisant le pouvoir des maîtres ouvriers consacra un moment ce que l’historien D. Nelson appela " l’empire du contremaître " (1975, chap. III : " The Foreman’s Empire ").
1.3 La résistance des recrutements internes face à l’attribution de rôles pléthoriques
Au sortir des années 1970 et durant plus de deux décennies, les chantres de la modernisation des entreprises crurent trouver une parade aux insuffisances des encadrements de proximité les plus anciens en prévoyant leur extinction plus ou moins progressive dans des systèmes d’organisation plus décentralisés et un pilotage par les systèmes de normes et de reporting. Un débat s’instaura même un temps entre les tenants (chercheurs et praticiens) de leur disparition pure et simple devant la montée des qualifications ouvrières ou de l’autonomisation des opérateurs rendues inéluctables par le raccourcissement des lignes hiérarchiques et l’exigence de flexibilité, et ceux qui plaidaient pour le remplacement de l’encadrement de promotion interne par des embauches de substitution ciblant notamment les jeunes sortants de l’enseignement professionnalisé supérieur court (DUT, BTS). On sait aujourd’hui qu’il n’en fut rien. En dépit des discours radicaux du management moderne, la proportion des encadrements traditionnels est restée quasiment stable jusqu’à nos jours : les niveaux V (CAP et BEP) et VI (sans diplôme) demeurent chez eux encore prédominants et la poussée des BTS et DUT a même cessé d’y progresser depuis le début des années 2000, ce qui laisse entendre dans ces catégories " la prégnance de modes de recrutement verticaux et le faible recours aux débutants " (Möbus, 2009 : 32). Un constat qui est généralement confirmé par l’ancienneté moyenne élevée dans l’emploi et dans l’entreprise ainsi que par l’origine socioprofessionnelle des personnes occupant un emploi d’encadrement : en 2003, 65 % des agents de maîtrise avaient débuté leur carrière comme ouvrier et seulement un sur cinq dans une profession intermédiaire, contre respectivement 18 % et un tiers pour l’ensemble des professions intermédiaires (Möbus, idem : 37). Mais il est vrai aussi que la promotion interne ne concerne pas aujourd’hui seulement le segment le plus traditionnel de la hiérarchie intermédiaire. Elle s’appliquerait tout autant au recrutement - interne ou externe - des diplômés du supérieur qui n’accèdent presque jamais directement à la position d’encadrement. Il ne nous appartient pas ici de revenir sur les raisons anticipées dans des travaux antérieurs (Trouvé, 1997) d’une telle stabilité de la position d’encadrement et du profil des encadrants par rapport à la hiérarchie des différentes fonctions d’entreprise (nécessaire régulation sociale des collectifs de travail en situation d’instabilité et faible attirance des jeunes diplômés pour le management opérationnel ou des propriétés objectives des acteurs (faible distance salariale et sociale par rapport aux collaborateurs, niveau de formation scolaire et origine socioprofessionnelle très proches), mais d’interroger plutôt sa coexistence avec une transformation profonde de leurs conditions dans les nouveaux modèles de production qui ont émergés au cours de ces dernières années. L’écart se serait ainsi accentué entre la persistance des premiers et les bouleversements des seconds, redessinant les contours contemporains d’un " malaise " [séculaire] de l’encadrement de proximité.
Un traitement systématique des données les plus récentes sur le sujet donne le ton. Il permet de préciser, tout à la fois, les nouvelles conditions d’exercice de la profession d’encadrement dans des contextes managériaux et organisationnels en forte mutation et les idéaux comportementaux renouvelés qui lui sont assignés par les directions d’entreprise et les consultants. Dans le champ des connaissances scientifiques accumulées, en dépit de la multiplicité des trajectoires et des hybridations organisationnelles empruntées selon les entreprises, leur taille, leur secteur et leurs orientations stratégiques (Valeyre, Lorenz, 2005), un certain nombre de tendances lourdes émergent, susceptibles de transformer radicalement les pratiques et l’expérience professionnelle contemporaines de l’encadrement de proximité. Ainsi, avec la décentralisation productive qui vise à responsabiliser et à rapprocher les unités opérationnelles des clients internes ou externes, se confirme le passage du " petit chef " à un encadrant de plus en plus gestionnaire, désormais responsable de la performance globale de son secteur (Bellini, Labit, 2005). Il ne s’agit plus seulement pour lui d’assurer la bonne marche des activités dont il a la charge, mais de les analyser, de les disséquer au moyen d’indicateurs abstraits (calcul des budgets, coûts, qualité, délais…), d’appliquer des normes et des procédures venues d’en haut qui transforment radicalement son système de représentation. De même, s’il occupe encore une place intermédiaire de " courroie de transmission ", son espace d’intervention s’élargit démesurément à des dimensions de plus en plus éloignées de la production directe. Ainsi, ne lui assigne-t-on pas un rôle majeur dans l’ " accompagnement du changement ", dans la " transformation en performance et dans l’évaluation du travail des autres ", dans la sécurité et la santé de ses collaborateurs, dans la régulation de leurs émotions, dans l’attribution de sens, dans la gestion des conflits et même, plus récemment, dans le coaching (" aider les subordonnés à grandir "), dans la prévention des risques psychosociaux (voir sur ce point le Rapport Lachmann et al., 2010) ou l’application des principes du développement durable ? D’où les multiples références à leur poly-activité et à leur surcharge de travail. Dans ce fouillis d’injonctions nouvelles qui illustre davantage un transfert de rationalisation qu’un véritable empowerment, les dimensions managériales et de gestion sociale prennent désormais le pas sur les capacités strictement techniques. C’est même grâce à elles que se justifierait le mieux, via les politiques de la proximité, le retour en grâce actuel de cet échelon hiérarchique que l’on croyait condamné. Car une définition plausible de l’encadrement ne se tiendrait-elle pas au final dans ce " gouvernement de proximité sur la production ou sur le travail " (Mispelblom Beyer, 2006 : 62) ? Mais ce domaine managérial, qui est aussi un espace politique, ne va pas sans contradictions, car la position d’encadrement est un lieu où convergent aujourd’hui une multiplicité d’attentes hétérogènes, de logiques souvent antinomiques : d’où la référence récurrente aux " injonctions paradoxales ", aux " conflits de rôle ", aux " tensions " intériorisées qui constitueraient, selon la plupart des auteurs, le socle des formes nouvelles du malaise de l’encadrement (Bellini, Labit, 2005 : 182). Comment concilier en effet initiative, participation et autonomie locales avec la normalisation grandissante des pratiques ? Comment gérer le décalage entre projets managériaux ambitieux et les réalités du terrain, entre accroissement du reporting et des systèmes de contrôle et arrangements et écoute au sein de l’équipe de travail ? Comment adopter une attitude cohérente face à la prolifération et à l’imprécision des attentes de rôle ? Comment générer de la mobilisation collective sur fond d’individualisation du rapport salarial portée par la " logique compétence " ?
Dans la presse économique, les colloques et les notes de conjoncture récents consacrés à l’encadrement, d’autres éléments de contexte actuel sont mis à jour faisant craindre leur désengagement vis-à-vis de l’entreprise ou leur repliement silencieux sur soi, générateur de stress. Un diagnostic revient le plus souvent : avec l’éclatement géographique des unités et la centralisation simultanée des dispositifs gestionnaires (notamment de la GRH), dans l’industrie comme dans les services, un fossé serait en train de se creuser " entre les élites des entreprises, de plus en plus tournées vers la mondialisation et les actionnaires et les réalités de terrain opérationnelles vécues par les managers [de proximité] " (Entreprise & Personnel : Manager de proximité ? Non merci, mars 2011). De plus en plus éloignés de la stratégie de l’entreprise, les encadrements de proximité verraient dès lors leur légitimité à nouveau affaiblie par perte en ligne de l’information, par perte de sens, par dépossession d’une partie de leurs prérogatives notamment en matière de RH. Ils souffriraient en outre d’une absence de reconnaissance à l’égard de leur travail. En bref, on assisterait aujourd’hui à une accentuation du dilemme historique sur leur véritable appartenance qui fit longtemps hésiter les négociateurs de conventions collectives : fallait-il les classer parmi les ouvriers et employés, ou les considérer comme relais de la direction ? L’intensification de cette tension expliquerait aujourd’hui la concomitance d’appréciations les plus contradictoires, l’accroissement des pratiques de reporting pouvant " aspirer les managers de proximité de plus en plus vers le management et de moins en moins vers leur équipe " (DRH de la Sagem : Journée d’étude Entreprise & Personnel, 7 avril 2011), en même temps que l’affaiblissement de la confiance à l’égard de responsables aux orientation stratégiques fluctuantes pourrait les rapprocher des autres salariés (- G. Reyre : Congrès HR, 31 mars 2010 -). Et il y a fort à parier que cette dernière tendance à faire cause commune avec leurs collaborateurs pourrait être d’autant plus affirmée chez les managers de proximité issus de la promotion interne, dont les référentiels culturels différent de ceux des cadres dirigeants, les seconds raisonnant " global " là où les premiers sont ancrés dans le " local ", les seconds étant plus mobiles que les premiers et donc moins confrontés aux conséquences éventuellement négatives de leurs décisions.
Au final, les principaux enjeux auxquels sont confrontés aujourd’hui les encadrements de proximité sont bien résumés par un chroniqueur éclairé à partir des enquêtes de climat social fournies par le référentiel Mars (" Mesure et anticipation du risque social ")
Au sortir des années 1970 et durant plus de deux décennies, les chantres de la modernisation des entreprises crurent trouver une parade aux insuffisances des encadrements de proximité les plus anciens en prévoyant leur extinction plus ou moins progressive dans des systèmes d’organisation plus décentralisés et un pilotage par les systèmes de normes et de reporting. Un débat s’instaura même un temps entre les tenants (chercheurs et praticiens) de leur disparition pure et simple devant la montée des qualifications ouvrières ou de l’autonomisation des opérateurs rendues inéluctables par le raccourcissement des lignes hiérarchiques et l’exigence de flexibilité, et ceux qui plaidaient pour le remplacement de l’encadrement de promotion interne par des embauches de substitution ciblant notamment les jeunes sortants de l’enseignement professionnalisé supérieur court (DUT, BTS). On sait aujourd’hui qu’il n’en fut rien. En dépit des discours radicaux du management moderne, la proportion des encadrements traditionnels est restée quasiment stable jusqu’à nos jours : les niveaux V (CAP et BEP) et VI (sans diplôme) demeurent chez eux encore prédominants et la poussée des BTS et DUT a même cessé d’y progresser depuis le début des années 2000, ce qui laisse entendre dans ces catégories " la prégnance de modes de recrutement verticaux et le faible recours aux débutants " (Möbus, 2009 : 32). Un constat qui est généralement confirmé par l’ancienneté moyenne élevée dans l’emploi et dans l’entreprise ainsi que par l’origine socioprofessionnelle des personnes occupant un emploi d’encadrement : en 2003, 65 % des agents de maîtrise avaient débuté leur carrière comme ouvrier et seulement un sur cinq dans une profession intermédiaire, contre respectivement 18 % et un tiers pour l’ensemble des professions intermédiaires (Möbus, idem : 37). Mais il est vrai aussi que la promotion interne ne concerne pas aujourd’hui seulement le segment le plus traditionnel de la hiérarchie intermédiaire. Elle s’appliquerait tout autant au recrutement - interne ou externe - des diplômés du supérieur qui n’accèdent presque jamais directement à la position d’encadrement. Il ne nous appartient pas ici de revenir sur les raisons anticipées dans des travaux antérieurs (Trouvé, 1997) d’une telle stabilité de la position d’encadrement et du profil des encadrants par rapport à la hiérarchie des différentes fonctions d’entreprise (nécessaire régulation sociale des collectifs de travail en situation d’instabilité et faible attirance des jeunes diplômés pour le management opérationnel ou des propriétés objectives des acteurs (faible distance salariale et sociale par rapport aux collaborateurs, niveau de formation scolaire et origine socioprofessionnelle très proches), mais d’interroger plutôt sa coexistence avec une transformation profonde de leurs conditions dans les nouveaux modèles de production qui ont émergés au cours de ces dernières années. L’écart se serait ainsi accentué entre la persistance des premiers et les bouleversements des seconds, redessinant les contours contemporains d’un " malaise " [séculaire] de l’encadrement de proximité.
Un traitement systématique des données les plus récentes sur le sujet donne le ton. Il permet de préciser, tout à la fois, les nouvelles conditions d’exercice de la profession d’encadrement dans des contextes managériaux et organisationnels en forte mutation et les idéaux comportementaux renouvelés qui lui sont assignés par les directions d’entreprise et les consultants. Dans le champ des connaissances scientifiques accumulées, en dépit de la multiplicité des trajectoires et des hybridations organisationnelles empruntées selon les entreprises, leur taille, leur secteur et leurs orientations stratégiques (Valeyre, Lorenz, 2005), un certain nombre de tendances lourdes émergent, susceptibles de transformer radicalement les pratiques et l’expérience professionnelle contemporaines de l’encadrement de proximité. Ainsi, avec la décentralisation productive qui vise à responsabiliser et à rapprocher les unités opérationnelles des clients internes ou externes, se confirme le passage du " petit chef " à un encadrant de plus en plus gestionnaire, désormais responsable de la performance globale de son secteur (Bellini, Labit, 2005). Il ne s’agit plus seulement pour lui d’assurer la bonne marche des activités dont il a la charge, mais de les analyser, de les disséquer au moyen d’indicateurs abstraits (calcul des budgets, coûts, qualité, délais…), d’appliquer des normes et des procédures venues d’en haut qui transforment radicalement son système de représentation. De même, s’il occupe encore une place intermédiaire de " courroie de transmission ", son espace d’intervention s’élargit démesurément à des dimensions de plus en plus éloignées de la production directe. Ainsi, ne lui assigne-t-on pas un rôle majeur dans l’ " accompagnement du changement ", dans la " transformation en performance et dans l’évaluation du travail des autres ", dans la sécurité et la santé de ses collaborateurs, dans la régulation de leurs émotions, dans l’attribution de sens, dans la gestion des conflits et même, plus récemment, dans le coaching (" aider les subordonnés à grandir "), dans la prévention des risques psychosociaux (voir sur ce point le Rapport Lachmann et al., 2010) ou l’application des principes du développement durable ? D’où les multiples références à leur poly-activité et à leur surcharge de travail. Dans ce fouillis d’injonctions nouvelles qui illustre davantage un transfert de rationalisation qu’un véritable empowerment, les dimensions managériales et de gestion sociale prennent désormais le pas sur les capacités strictement techniques. C’est même grâce à elles que se justifierait le mieux, via les politiques de la proximité, le retour en grâce actuel de cet échelon hiérarchique que l’on croyait condamné. Car une définition plausible de l’encadrement ne se tiendrait-elle pas au final dans ce " gouvernement de proximité sur la production ou sur le travail " (Mispelblom Beyer, 2006 : 62) ? Mais ce domaine managérial, qui est aussi un espace politique, ne va pas sans contradictions, car la position d’encadrement est un lieu où convergent aujourd’hui une multiplicité d’attentes hétérogènes, de logiques souvent antinomiques : d’où la référence récurrente aux " injonctions paradoxales ", aux " conflits de rôle ", aux " tensions " intériorisées qui constitueraient, selon la plupart des auteurs, le socle des formes nouvelles du malaise de l’encadrement (Bellini, Labit, 2005 : 182). Comment concilier en effet initiative, participation et autonomie locales avec la normalisation grandissante des pratiques ? Comment gérer le décalage entre projets managériaux ambitieux et les réalités du terrain, entre accroissement du reporting et des systèmes de contrôle et arrangements et écoute au sein de l’équipe de travail ? Comment adopter une attitude cohérente face à la prolifération et à l’imprécision des attentes de rôle ? Comment générer de la mobilisation collective sur fond d’individualisation du rapport salarial portée par la " logique compétence " ?
Dans la presse économique, les colloques et les notes de conjoncture récents consacrés à l’encadrement, d’autres éléments de contexte actuel sont mis à jour faisant craindre leur désengagement vis-à-vis de l’entreprise ou leur repliement silencieux sur soi, générateur de stress. Un diagnostic revient le plus souvent : avec l’éclatement géographique des unités et la centralisation simultanée des dispositifs gestionnaires (notamment de la GRH), dans l’industrie comme dans les services, un fossé serait en train de se creuser " entre les élites des entreprises, de plus en plus tournées vers la mondialisation et les actionnaires et les réalités de terrain opérationnelles vécues par les managers [de proximité] " (Entreprise & Personnel : Manager de proximité ? Non merci, mars 2011). De plus en plus éloignés de la stratégie de l’entreprise, les encadrements de proximité verraient dès lors leur légitimité à nouveau affaiblie par perte en ligne de l’information, par perte de sens, par dépossession d’une partie de leurs prérogatives notamment en matière de RH. Ils souffriraient en outre d’une absence de reconnaissance à l’égard de leur travail. En bref, on assisterait aujourd’hui à une accentuation du dilemme historique sur leur véritable appartenance qui fit longtemps hésiter les négociateurs de conventions collectives : fallait-il les classer parmi les ouvriers et employés, ou les considérer comme relais de la direction ? L’intensification de cette tension expliquerait aujourd’hui la concomitance d’appréciations les plus contradictoires, l’accroissement des pratiques de reporting pouvant " aspirer les managers de proximité de plus en plus vers le management et de moins en moins vers leur équipe " (DRH de la Sagem : Journée d’étude Entreprise & Personnel, 7 avril 2011), en même temps que l’affaiblissement de la confiance à l’égard de responsables aux orientation stratégiques fluctuantes pourrait les rapprocher des autres salariés (- G. Reyre : Congrès HR, 31 mars 2010 -). Et il y a fort à parier que cette dernière tendance à faire cause commune avec leurs collaborateurs pourrait être d’autant plus affirmée chez les managers de proximité issus de la promotion interne, dont les référentiels culturels différent de ceux des cadres dirigeants, les seconds raisonnant " global " là où les premiers sont ancrés dans le " local ", les seconds étant plus mobiles que les premiers et donc moins confrontés aux conséquences éventuellement négatives de leurs décisions.
Au final, les principaux enjeux auxquels sont confrontés aujourd’hui les encadrements de proximité sont bien résumés par un chroniqueur éclairé à partir des enquêtes de climat social fournies par le référentiel Mars (" Mesure et anticipation du risque social ")
Pourquoi l’encadrement des entreprises est-il tenté de baisser les bras ?
Les DRH sont quasiment unanimes à l’affirmer : l’encadrement de proximité représente le maillon faible des entreprises. Certains de ses membres sont tentés de baisser les bras. D’autres craignent de " craquer " face à des situations qu’ils ne maîtrisent plus. D’autres encore s’efforcent de tenir le coup, au jour le jour, mais il s’en faut de peu pour que le précaire équilibre qu’ils s’efforcent de maintenir ne soit compromis [...]. En résumé, les agents de maîtrise souffrent de multiples déficits :
1 - Un déficit de soutien. Les encadrants sont les premiers garants de l’autorité au sein de l’entreprise. Ils sont directement aux prises, venant du personnel, à des dérives ou à des comportements abusifs, ou, encore, à des incivilités qui nécessiteraient parfois un recours à des sanctions disciplinaires. Or, non seulement, ils répugnent à en venir là, mais ils ne sont pas toujours assurés d’un soutien de leur hiérarchie.
2 - Un déficit d’adhésion à un projet devenu illisible. Pour exercer leur autorité, les encadrants doivent pouvoir se fonder sur un projet qui soit clair. Or, tel n’est pas toujours le cas. L’entreprise, bien souvent, a évolué sans eux. Ils n’en reconnaissent plus nécessairement la finalité et n’en comprennent pas toujours les orientations et les modes opératoires. Il leur est donc difficile d’obtenir de leurs collaborateurs qu’ils se conforment à des principes auxquels eux-mêmes ont du mal à adhérer […] C’est pourquoi, face à un conflit, leur tentation est de se mettre en stand by, non de s’engager personnellement comme le souhaiterait la Direction.
3 - Un déficit d’information. Les salariés eux-mêmes, dans certains cas, savent bien que les agents de maîtrise n’en savent pas beaucoup plus qu’eux. Ils sont logés à même enseigne et mieux vaut, parfois, interroger le délégué syndical ou le délégué du personnel qui, eux, ont un accès direct à la Direction. L’autorité des agents de maîtrise se trouve ainsi gravement compromise ; leur capacité d’intervention est réduite face à des collaborateurs eux-mêmes de plus en, plus désireux de comprendre les tenants et les aboutissants de la vie de l’entreprise. Le fossé traditionnel entre les cadres et le reste des collaborateurs laisse place ainsi à un fossé entre collaborateurs et membres de l’encadrement de proximité d’une part et, d’autre part, une hiérarchie supérieure souvent lointaine et peu accessible.
4 - Un déficit de considération. Les agents de maîtrise ont souvent le sentiment d’être considérés comme une simple courroie de transmission entre la Direction et le personnel qu’ils encadrent. Ils ont conscience du caractère indispensable de leur mission et des difficultés qu’elle comporte ; mais, en contrepartie, ils se plaignent fréquemment de ne bénéficier d’aucune reconnaissance, venant de leurs supérieurs hiérarchiques, comme si leur rôle allait de soi.
5 - Un déficit en termes de temps. Les nouvelles formes de management, telles que les perçoivent les encadrants, se traduisent surtout par de nouvelles contraintes : il leur faut en particulier se soumettre à des obligations fastidieuses en termes de reporting. Il en résulte qu’ils sont " scotchés " derrière leur ordinateur durant une grande partie de la journée et qu’ils manquent de disponibilité pour les équipes dont ils ont la charge ; ce manque de temps est d’autant plus frustrant qu’il leur est fréquemment reproché, par ailleurs, de ne pas être suffisamment " à l’écoute ".
6 - Un déficit de compréhension des comportements d’une génération à l’autre. Les agents de maîtrise doivent souvent encadrer des salariés qui ne sont pas de la même génération qu’eux et qui n’ont pas les mêmes rapports vis-à-vis du travail et des relations d’autorité. Il en résulte souvent une incompréhension mutuelle qui se traduit par des reproches : " les jeunes, on ne peut rien attendre d’eux ; ils font leurs heures, c’est tout ; et quand on leur fait une observation, ils nous font un bras d’honneur ". Ces reproches, bien entendu, font l’objet, venant des intéressés, de remarques symétriques : " les chefs n’ont aucun respect pour nous ". Ces difficultés résultent évidemment de situations auxquelles les encadrants n’ont pas été préparés. Bien souvent, ce sont d’abord des techniciens, non des psychologues ou des sociologues !
Hubert Landier, Chronique AEF Info, 6 juillet 2009
Les DRH sont quasiment unanimes à l’affirmer : l’encadrement de proximité représente le maillon faible des entreprises. Certains de ses membres sont tentés de baisser les bras. D’autres craignent de " craquer " face à des situations qu’ils ne maîtrisent plus. D’autres encore s’efforcent de tenir le coup, au jour le jour, mais il s’en faut de peu pour que le précaire équilibre qu’ils s’efforcent de maintenir ne soit compromis [...]. En résumé, les agents de maîtrise souffrent de multiples déficits :
1 - Un déficit de soutien. Les encadrants sont les premiers garants de l’autorité au sein de l’entreprise. Ils sont directement aux prises, venant du personnel, à des dérives ou à des comportements abusifs, ou, encore, à des incivilités qui nécessiteraient parfois un recours à des sanctions disciplinaires. Or, non seulement, ils répugnent à en venir là, mais ils ne sont pas toujours assurés d’un soutien de leur hiérarchie.
2 - Un déficit d’adhésion à un projet devenu illisible. Pour exercer leur autorité, les encadrants doivent pouvoir se fonder sur un projet qui soit clair. Or, tel n’est pas toujours le cas. L’entreprise, bien souvent, a évolué sans eux. Ils n’en reconnaissent plus nécessairement la finalité et n’en comprennent pas toujours les orientations et les modes opératoires. Il leur est donc difficile d’obtenir de leurs collaborateurs qu’ils se conforment à des principes auxquels eux-mêmes ont du mal à adhérer […] C’est pourquoi, face à un conflit, leur tentation est de se mettre en stand by, non de s’engager personnellement comme le souhaiterait la Direction.
3 - Un déficit d’information. Les salariés eux-mêmes, dans certains cas, savent bien que les agents de maîtrise n’en savent pas beaucoup plus qu’eux. Ils sont logés à même enseigne et mieux vaut, parfois, interroger le délégué syndical ou le délégué du personnel qui, eux, ont un accès direct à la Direction. L’autorité des agents de maîtrise se trouve ainsi gravement compromise ; leur capacité d’intervention est réduite face à des collaborateurs eux-mêmes de plus en, plus désireux de comprendre les tenants et les aboutissants de la vie de l’entreprise. Le fossé traditionnel entre les cadres et le reste des collaborateurs laisse place ainsi à un fossé entre collaborateurs et membres de l’encadrement de proximité d’une part et, d’autre part, une hiérarchie supérieure souvent lointaine et peu accessible.
4 - Un déficit de considération. Les agents de maîtrise ont souvent le sentiment d’être considérés comme une simple courroie de transmission entre la Direction et le personnel qu’ils encadrent. Ils ont conscience du caractère indispensable de leur mission et des difficultés qu’elle comporte ; mais, en contrepartie, ils se plaignent fréquemment de ne bénéficier d’aucune reconnaissance, venant de leurs supérieurs hiérarchiques, comme si leur rôle allait de soi.
5 - Un déficit en termes de temps. Les nouvelles formes de management, telles que les perçoivent les encadrants, se traduisent surtout par de nouvelles contraintes : il leur faut en particulier se soumettre à des obligations fastidieuses en termes de reporting. Il en résulte qu’ils sont " scotchés " derrière leur ordinateur durant une grande partie de la journée et qu’ils manquent de disponibilité pour les équipes dont ils ont la charge ; ce manque de temps est d’autant plus frustrant qu’il leur est fréquemment reproché, par ailleurs, de ne pas être suffisamment " à l’écoute ".
6 - Un déficit de compréhension des comportements d’une génération à l’autre. Les agents de maîtrise doivent souvent encadrer des salariés qui ne sont pas de la même génération qu’eux et qui n’ont pas les mêmes rapports vis-à-vis du travail et des relations d’autorité. Il en résulte souvent une incompréhension mutuelle qui se traduit par des reproches : " les jeunes, on ne peut rien attendre d’eux ; ils font leurs heures, c’est tout ; et quand on leur fait une observation, ils nous font un bras d’honneur ". Ces reproches, bien entendu, font l’objet, venant des intéressés, de remarques symétriques : " les chefs n’ont aucun respect pour nous ". Ces difficultés résultent évidemment de situations auxquelles les encadrants n’ont pas été préparés. Bien souvent, ce sont d’abord des techniciens, non des psychologues ou des sociologues !
Hubert Landier, Chronique AEF Info, 6 juillet 2009
2. Changer de position, changer d’identité : entre pédagogies instrumentales et pédagogies initiatiques
Parmi les actions correctives qui ont été imaginées pour aider les encadrements de proximité à faire face aux changements managériaux et organisationnels qui leur étaient imposés, deux axes ont tour à tour été privilégiés et distingués. Pendant très longtemps et jusqu’à ces dernières années, il fut surtout question d’intervenir sur ces populations elles-mêmes, pour les former et faciliter l’acquisition de leurs nouveaux rôles. Il s’en est suivi généralement une multiplicité de programmes didactiques (orientés vers les savoirs gestionnaires), pratiques (stages visant les compétences managériales) et même de développement personnel (connaissance de soi, écoute, communication, coaching). Le plus souvent déconnectées de la réalité quotidienne du terrain au profit de l’application de référentiels abstraits, individualisants et favorisant l’examen permanent de soi aux dépens des dimensions organisationnelles et collectives du travail (Gillet, 2009 : 97), ces formations se sont révélées au final peu efficientes (Trouvé, 2009). Elles sont en particulier peu aptes à accompagner les remaniements identitaires profonds auxquels sont confrontés les encadrants lors de leur promotion professionnelle ou pour faire face aux transformations rapides du travail. Une autre voie durablement négligée consistait à agir sur les structures et le fonctionnement des entreprises pour repositionner les encadrements de proximité dans les chaines de management et de communication. Cette dernière a surtout été explorée depuis une dizaine d’années, visant par exemple à redéfinir les attendus de leur poste, à multiplier les référentiels de compétences, à expliciter davantage les règles et procédures, notamment celles qui sont à la source des avantages concurrentiels de l’entreprise, à négocier avec eux des objectifs opérationnels raisonnables en leur donnant la primeur des informations stratégiques au lieu de les court-circuiter au bénéfice des représentants du personnel etc. Mais si cette seconde voie a permis des avancées majeures, elle n’a pas toujours contribué à renforcer de façon suffisamment significative la légitimité des encadrants, notamment de promotion interne.
En réalité, les insuffisances de ces deux options ne sauraient, selon nous, être traitées indépendamment car, comme le dit Dubar, " l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de légitimation des savoirs et compétences associés aux identités " (1991 : 127-128). De même, on ne saurait confondre la situation des jeunes encadrants diplômés avec celle des encadrants traditionnels issus de la promotion interne (Trouvé, 1997). C’est pourquoi, et tout en retenant spécifiquement cette seconde population, nous formulons ici deux propositions théoriques complémentaires. Dans le premier cas si les dispositifs de formation mis en place n’ont pas abouti aux résultats escomptés, c’est faute d’utiliser une pédagogie à la hauteur des enjeux, capable de générer des transformations identitaires et de faire transiter les acteurs d’une position sociale à une autre. Or, dans la tradition, telle fut la fonction des pédagogies initiatiques. Dans le second cas, si l’activation des leviers organisationnels ne suffit pas à renforcer la légitimité des agents d’encadrement au sein de leur équipe et de l’ensemble de la ligne hiérarchique, c’est qu’il y manque la force et la cohérence symbolique des rituels de passage étudiés par l’anthropologie et dont les rituels de promotion font partie intégrante.
En réalité, les insuffisances de ces deux options ne sauraient, selon nous, être traitées indépendamment car, comme le dit Dubar, " l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de légitimation des savoirs et compétences associés aux identités " (1991 : 127-128). De même, on ne saurait confondre la situation des jeunes encadrants diplômés avec celle des encadrants traditionnels issus de la promotion interne (Trouvé, 1997). C’est pourquoi, et tout en retenant spécifiquement cette seconde population, nous formulons ici deux propositions théoriques complémentaires. Dans le premier cas si les dispositifs de formation mis en place n’ont pas abouti aux résultats escomptés, c’est faute d’utiliser une pédagogie à la hauteur des enjeux, capable de générer des transformations identitaires et de faire transiter les acteurs d’une position sociale à une autre. Or, dans la tradition, telle fut la fonction des pédagogies initiatiques. Dans le second cas, si l’activation des leviers organisationnels ne suffit pas à renforcer la légitimité des agents d’encadrement au sein de leur équipe et de l’ensemble de la ligne hiérarchique, c’est qu’il y manque la force et la cohérence symbolique des rituels de passage étudiés par l’anthropologie et dont les rituels de promotion font partie intégrante.
2.1 L’hypothèse de la transition identitaire
On n’a pas assez vu qu’en raison même de l’intensité des transformations qui affectent aujourd’hui les systèmes de travail, la mobilité individuelle qui mène du statut d’exécutant à celui d’encadrant tout autant que la mobilité des métiers qui exige le passage d’un paradigme de l’encadrement basé sur le commandement ou l’animation à celui de gestionnaire et de manager, supposent davantage qu’un simple remaniement des ressources cognitives des acteurs concernés. A travers elles, ce sont en réalité les sources mêmes de leur identité, de leur estime de soi et de leur légitimité professionnelle qui sont bouleversées. Les unes et les autres sont des construits sociaux (Dubar, 1991) qui relèvent moins de formations instrumentales ponctuelles que de processus de socialisation articulant la longue durée (accumulation des expériences professionnelles, étayage identitaire sur les formes de gestion des ressources humaines spécifiques à chaque entreprise…) avec des phases de changement plus ramassées au cours d’une carrière, lors de transitions promotionnelles d’un statut à un autre ou d’un modèle comportemental prescrit à un autre. Comment ne pas comprendre ainsi l’insécurité de certains managers de proximité dont la place dépendait jusqu’ici du bon vouloir de leur entreprise et désormais appelés à asseoir leur crédibilité sur leurs caractéristiques personnelles et leur capacité de leadership ? Il suffit d’avoir réalisé des centaines d’histoires de vie d’agents de maîtrise pour repérer que le passage à leur nouveau statut a constitué, pour la plupart d’entre eux, un moment décisif de leur vie professionnelle. Une expérience d’une intensité tellement exceptionnelle qu’ils sont capables de la rapporter dans ses moindres détails. Qu’étaient-ils en train de faire lorsqu’ils ont appris leur promotion ? Quelle personne les en a informés, dans quels termes leur a-t-elle été annoncée (Trouvé, 1997 : 202 et sq.) ? Ce qui s’est joué là est un évènement fondateur à partir duquel les acteurs déclarent ne plus avoir été les mêmes : littéralement un moment initiatique, de flottement identitaire, en général d’autant moins pris en compte par les organisations que la désignation du promu s’opère entre chien et loup, à l’écart de toute validation collective. En contexte français, l’absence de socialisation de ce moment transitionnel est largement accentuée par le fait que le nouveau promu est en général formé après avoir été nommé à ses nouvelles fonctions et que l’absence de filière professionnelle institutionnalisée ne lui a pas permis d’anticiper sur sa nouvelle identité professionnelle. On comprendra dès lors que le nouveau groupe de référence constitue rarement et d’emblée un espace de sécurité suffisant (secure group) qui assurerait une identité sociale positive aux encadrants promus. Il s’agirait plutôt d’un " exogroupe (Outgroup) qui ne se substitue pas spontanément à l’ " endogroupe " (Ingroup) selon les termes de la lointaine théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981, 1982). En bref, elle ne lui donne pas automatiquement la capacité de maîtriser son nouvel environnement, d’autant plus que le management de proximité est aujourd’hui l’objet d’une multiplicité d’attentes de rôles.
Traitant des cadres intermédiaires de promotion L. Boltanski avait bien vu que leur mobilité ascendante supposait dès lors des investissements psychologiques considérables, quasiment ascétiques : " Connaissant le coût élevé des investissements qu’exige la promotion vers des positions d’encadrement, on comprend que ceux qui parviennent à franchir le barrage aient tendance à surinvestir psychologiquement dans leur position et dans leur rôle, ce qui contribue à les rendre très vulnérables " (Boltanki, 1982 : 455-456). Et de rappeler que cette vulnérabilité pouvait se traduire en particulier par des troubles psychosomatiques (dépressions, maladies cardio-vasculaires…) beaucoup plus fréquents chez les individus autodidactes en promotion que chez les jeunes encadrants diplômés (idem : 451). Une vulnérabilité également soulignée par De Gauléjac qui se traduirait selon lui par un sentiment d’insécurité face aux restructurations, aux reconversions et Cahier de recherche, réorganisations diverses qui sont à l’oeuvre dans leurs entreprises et qui expliquerait paradoxalement la rigidité de leurs comportements - souvent déplorée par les dirigeants -, par impossibilité de faire " la part des choses ", " la part du flou " (1987 : 459). Car, quand on a déployé des trésors d’énergie pour être là où l’on est, on s’attache plutôt aux signes qui soulignent le statut, on fait du zèle pour montrer que l’on était digne de confiance, là où l’on gagnerait à prendre de la distance et de la fluidité pour se conformer à des assignations de rôles de plus en plus changeantes. Or, " L’évolution des entreprises vers des modèles type managérial et systémique fonde la promotion non plus sur l’adaptation à un cadre fixe et rigide, mais sur l’adaptation à une organisation mouvante, sur la capacité de recyclage permanent, sur la capacité d’innover dans la technique, dans l’animation du travail, dans la production [et le contrôle] des règles de fonctionnement " (De Gauléjac, 1987 : 106-107). C’est ce qui expliquerait, selon l’auteur, que " les cadres autodidactes qui ont intériorisé les habitus propres aux entreprises de type patronal, dont la rigidité est l’un des aspects, se trouvent la plupart du temps inadaptés à des univers mouvants, flexibles, en réorganisation permanente " (De Gaulejac, idem : 107). Par ailleurs, passer d’exécutant à manager suppose en particulier d’entrer dans le monde de l’écriture et de l’oralité, autant d’exercices qui sont en général peu maîtrisés par des acteurs longtemps ancrés dans la production directe.
On n’a pas assez vu qu’en raison même de l’intensité des transformations qui affectent aujourd’hui les systèmes de travail, la mobilité individuelle qui mène du statut d’exécutant à celui d’encadrant tout autant que la mobilité des métiers qui exige le passage d’un paradigme de l’encadrement basé sur le commandement ou l’animation à celui de gestionnaire et de manager, supposent davantage qu’un simple remaniement des ressources cognitives des acteurs concernés. A travers elles, ce sont en réalité les sources mêmes de leur identité, de leur estime de soi et de leur légitimité professionnelle qui sont bouleversées. Les unes et les autres sont des construits sociaux (Dubar, 1991) qui relèvent moins de formations instrumentales ponctuelles que de processus de socialisation articulant la longue durée (accumulation des expériences professionnelles, étayage identitaire sur les formes de gestion des ressources humaines spécifiques à chaque entreprise…) avec des phases de changement plus ramassées au cours d’une carrière, lors de transitions promotionnelles d’un statut à un autre ou d’un modèle comportemental prescrit à un autre. Comment ne pas comprendre ainsi l’insécurité de certains managers de proximité dont la place dépendait jusqu’ici du bon vouloir de leur entreprise et désormais appelés à asseoir leur crédibilité sur leurs caractéristiques personnelles et leur capacité de leadership ? Il suffit d’avoir réalisé des centaines d’histoires de vie d’agents de maîtrise pour repérer que le passage à leur nouveau statut a constitué, pour la plupart d’entre eux, un moment décisif de leur vie professionnelle. Une expérience d’une intensité tellement exceptionnelle qu’ils sont capables de la rapporter dans ses moindres détails. Qu’étaient-ils en train de faire lorsqu’ils ont appris leur promotion ? Quelle personne les en a informés, dans quels termes leur a-t-elle été annoncée (Trouvé, 1997 : 202 et sq.) ? Ce qui s’est joué là est un évènement fondateur à partir duquel les acteurs déclarent ne plus avoir été les mêmes : littéralement un moment initiatique, de flottement identitaire, en général d’autant moins pris en compte par les organisations que la désignation du promu s’opère entre chien et loup, à l’écart de toute validation collective. En contexte français, l’absence de socialisation de ce moment transitionnel est largement accentuée par le fait que le nouveau promu est en général formé après avoir été nommé à ses nouvelles fonctions et que l’absence de filière professionnelle institutionnalisée ne lui a pas permis d’anticiper sur sa nouvelle identité professionnelle. On comprendra dès lors que le nouveau groupe de référence constitue rarement et d’emblée un espace de sécurité suffisant (secure group) qui assurerait une identité sociale positive aux encadrants promus. Il s’agirait plutôt d’un " exogroupe (Outgroup) qui ne se substitue pas spontanément à l’ " endogroupe " (Ingroup) selon les termes de la lointaine théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1981, 1982). En bref, elle ne lui donne pas automatiquement la capacité de maîtriser son nouvel environnement, d’autant plus que le management de proximité est aujourd’hui l’objet d’une multiplicité d’attentes de rôles.
Traitant des cadres intermédiaires de promotion L. Boltanski avait bien vu que leur mobilité ascendante supposait dès lors des investissements psychologiques considérables, quasiment ascétiques : " Connaissant le coût élevé des investissements qu’exige la promotion vers des positions d’encadrement, on comprend que ceux qui parviennent à franchir le barrage aient tendance à surinvestir psychologiquement dans leur position et dans leur rôle, ce qui contribue à les rendre très vulnérables " (Boltanki, 1982 : 455-456). Et de rappeler que cette vulnérabilité pouvait se traduire en particulier par des troubles psychosomatiques (dépressions, maladies cardio-vasculaires…) beaucoup plus fréquents chez les individus autodidactes en promotion que chez les jeunes encadrants diplômés (idem : 451). Une vulnérabilité également soulignée par De Gauléjac qui se traduirait selon lui par un sentiment d’insécurité face aux restructurations, aux reconversions et Cahier de recherche, réorganisations diverses qui sont à l’oeuvre dans leurs entreprises et qui expliquerait paradoxalement la rigidité de leurs comportements - souvent déplorée par les dirigeants -, par impossibilité de faire " la part des choses ", " la part du flou " (1987 : 459). Car, quand on a déployé des trésors d’énergie pour être là où l’on est, on s’attache plutôt aux signes qui soulignent le statut, on fait du zèle pour montrer que l’on était digne de confiance, là où l’on gagnerait à prendre de la distance et de la fluidité pour se conformer à des assignations de rôles de plus en plus changeantes. Or, " L’évolution des entreprises vers des modèles type managérial et systémique fonde la promotion non plus sur l’adaptation à un cadre fixe et rigide, mais sur l’adaptation à une organisation mouvante, sur la capacité de recyclage permanent, sur la capacité d’innover dans la technique, dans l’animation du travail, dans la production [et le contrôle] des règles de fonctionnement " (De Gauléjac, 1987 : 106-107). C’est ce qui expliquerait, selon l’auteur, que " les cadres autodidactes qui ont intériorisé les habitus propres aux entreprises de type patronal, dont la rigidité est l’un des aspects, se trouvent la plupart du temps inadaptés à des univers mouvants, flexibles, en réorganisation permanente " (De Gaulejac, idem : 107). Par ailleurs, passer d’exécutant à manager suppose en particulier d’entrer dans le monde de l’écriture et de l’oralité, autant d’exercices qui sont en général peu maîtrisés par des acteurs longtemps ancrés dans la production directe.
2.2 L’insuffisance des dispositifs andragogiques actuels
C’est pour avoir oublié l’impératif de ces ajustements identitaires que les dispositifs de formation continue, conçus en général pour combler les lacunes attribués aux encadrements traditionnels de proximité, peinent à atteindre une efficacité à la hauteur de leur intensivité. Trop superficiels, dit-on, pour engager les acteurs au-delà de la simulation de rôles expéditivement appris et, quand bien même ceux-ci finiraient par être incorporés, les organisations ne se modifient pas au rythme annoncé par les managers ; trop déconnectés de l’expérience quotidienne des encadrants-apprenants par excès de cadrages théoriques et de techniques ; trop paramétrés (" un tout cuit qui ne fonctionne pas ", Gillet, 2009 : 98) notamment pour améliorer la maîtrise de " situations paradoxales : gestion de contradictions, voire des dysfonctionnements organisationnels, régulation de tensions [etc.] " (Gillet, idem).
Mais ces formations ne seraient-elles pas surtout trop instrumentales pour faire pénétrer les encadrants dans un nouvel ordre culturel et symbolique qu’exige toujours, plus ou moins, un processus de socialisation professionnelle ? Et E.-C. Hughes, dans son oeuvre sur la socialisation professionnelle (1958 :116-130), ne présentait-il pas celle-ci comme une véritable " initiation " et comme une " conversion " de l’individu à une nouvelle conception de soi et du monde, bref à une nouvelle identité ? Il est vrai que la réflexion de cet auteur s'appliquait davantage aux " professions " au sens strict, dans lesquelles le ticket d'entrée est généralement réglé par l'efficacité symbolique de rites sociaux de type rationnel. A ce titre, et même si les encadrements de proximité ne constituent ni une classe sociale, ni une profession, mais un groupe professionnel hétérogène, l’accès à leur nouvelle place ou aux nouvelles conditions d’exercice de leur travail ne réclamerait-il pas une forme d’initiation ou de conversion, c’est-à-dire d’identification, présente à des degrés divers, dans tout procès de professionnalisation ?
Ce n’est pas faute d’avoir imaginé et calibré, comme nous l’avons souligné plus haut, des types d’apprentissage comportementaux pour faire acquérir aux encadrants de nouvelles dispositions : mais celles-ci n’ont-elles pas creusé à leur tour une dualité insurmontable entre la profusion de modèles idéaux (" sacrés " dit - Hughes -) eux-mêmes hétérogènes, de pléthoriques " référentiels de compétences ", produits par l’entreprise moderne et le " modèle pratique " concernant " les tâches quotidiennes " (Hughes, Ibid.) ? Et n’ont-elles pas sombré dans le psychologisme (Villette, 1976 ; Buscatto, 2006) à force de prescrire un travail de soi sur soi, en détournant les apprenants du collectif et de l’entreprise comme communauté tout en les privant au final d’une légitimation possible ? Car de même qu’il n’y a pas de changement de place sans conversion identitaire et sans pédagogie initiatique susceptible de l’étayer, il ne saurait y avoir de transformation identitaire sans légitimation sociale capable de la confirmer, celle-ci jouant le rôle de support structurel indispensable lorsque l’identité des acteurs - ce qui est le cas ici - se trouve fragilisée. On comprendra dès lors que de tels enjeux ne sauraient se satisfaire de formules incantatoires ou de soft laws dont la rhétorique managériale est devenue aujourd’hui friande, du genre : " il faut remobiliser les managers de proximité ", les " aider à s’approprier leur fonction ", les " valoriser ", " investir massivement sur eux ", les " reconnaître ", " restaurer la confiance et le dialogue ", " recréer du collectif ", " recréer de la proximité " etc.
Or, ce double écueil de l’accompagnement andragogique de l’individu en transit identitaire et d’un soutien de la collectivité lui permettant " de se réunifier […], de mieux coïncider avec lui-même " (Rausis, 1994 : 42), fut de tous temps la fonction des rituels de passage : un terme générique pour désigner, y compris par analogies successives, toutes les formes de passage d’un état social à un autre, d’un groupe d’âge à un autre, d’un statut professionnel à un autre (rituels de promotion). C’est pourquoi les pédagogies initiatiques d’intégration sociale et surtout les rituels de passage étudiés par l’anthropologie nous paraissent les mieux appropriées pour accompagner les processus de transition identitaire. C’est ce que nous voudrions montrer maintenant.
C’est pour avoir oublié l’impératif de ces ajustements identitaires que les dispositifs de formation continue, conçus en général pour combler les lacunes attribués aux encadrements traditionnels de proximité, peinent à atteindre une efficacité à la hauteur de leur intensivité. Trop superficiels, dit-on, pour engager les acteurs au-delà de la simulation de rôles expéditivement appris et, quand bien même ceux-ci finiraient par être incorporés, les organisations ne se modifient pas au rythme annoncé par les managers ; trop déconnectés de l’expérience quotidienne des encadrants-apprenants par excès de cadrages théoriques et de techniques ; trop paramétrés (" un tout cuit qui ne fonctionne pas ", Gillet, 2009 : 98) notamment pour améliorer la maîtrise de " situations paradoxales : gestion de contradictions, voire des dysfonctionnements organisationnels, régulation de tensions [etc.] " (Gillet, idem).
Mais ces formations ne seraient-elles pas surtout trop instrumentales pour faire pénétrer les encadrants dans un nouvel ordre culturel et symbolique qu’exige toujours, plus ou moins, un processus de socialisation professionnelle ? Et E.-C. Hughes, dans son oeuvre sur la socialisation professionnelle (1958 :116-130), ne présentait-il pas celle-ci comme une véritable " initiation " et comme une " conversion " de l’individu à une nouvelle conception de soi et du monde, bref à une nouvelle identité ? Il est vrai que la réflexion de cet auteur s'appliquait davantage aux " professions " au sens strict, dans lesquelles le ticket d'entrée est généralement réglé par l'efficacité symbolique de rites sociaux de type rationnel. A ce titre, et même si les encadrements de proximité ne constituent ni une classe sociale, ni une profession, mais un groupe professionnel hétérogène, l’accès à leur nouvelle place ou aux nouvelles conditions d’exercice de leur travail ne réclamerait-il pas une forme d’initiation ou de conversion, c’est-à-dire d’identification, présente à des degrés divers, dans tout procès de professionnalisation ?
Ce n’est pas faute d’avoir imaginé et calibré, comme nous l’avons souligné plus haut, des types d’apprentissage comportementaux pour faire acquérir aux encadrants de nouvelles dispositions : mais celles-ci n’ont-elles pas creusé à leur tour une dualité insurmontable entre la profusion de modèles idéaux (" sacrés " dit - Hughes -) eux-mêmes hétérogènes, de pléthoriques " référentiels de compétences ", produits par l’entreprise moderne et le " modèle pratique " concernant " les tâches quotidiennes " (Hughes, Ibid.) ? Et n’ont-elles pas sombré dans le psychologisme (Villette, 1976 ; Buscatto, 2006) à force de prescrire un travail de soi sur soi, en détournant les apprenants du collectif et de l’entreprise comme communauté tout en les privant au final d’une légitimation possible ? Car de même qu’il n’y a pas de changement de place sans conversion identitaire et sans pédagogie initiatique susceptible de l’étayer, il ne saurait y avoir de transformation identitaire sans légitimation sociale capable de la confirmer, celle-ci jouant le rôle de support structurel indispensable lorsque l’identité des acteurs - ce qui est le cas ici - se trouve fragilisée. On comprendra dès lors que de tels enjeux ne sauraient se satisfaire de formules incantatoires ou de soft laws dont la rhétorique managériale est devenue aujourd’hui friande, du genre : " il faut remobiliser les managers de proximité ", les " aider à s’approprier leur fonction ", les " valoriser ", " investir massivement sur eux ", les " reconnaître ", " restaurer la confiance et le dialogue ", " recréer du collectif ", " recréer de la proximité " etc.
Or, ce double écueil de l’accompagnement andragogique de l’individu en transit identitaire et d’un soutien de la collectivité lui permettant " de se réunifier […], de mieux coïncider avec lui-même " (Rausis, 1994 : 42), fut de tous temps la fonction des rituels de passage : un terme générique pour désigner, y compris par analogies successives, toutes les formes de passage d’un état social à un autre, d’un groupe d’âge à un autre, d’un statut professionnel à un autre (rituels de promotion). C’est pourquoi les pédagogies initiatiques d’intégration sociale et surtout les rituels de passage étudiés par l’anthropologie nous paraissent les mieux appropriées pour accompagner les processus de transition identitaire. C’est ce que nous voudrions montrer maintenant.
2.3 Les ressources possibles de l’anthropologie sociale
Deux auteurs seront ici particulièrement sollicités. A. Van Gennep (1873-1957) d’une part, certes avant tout folkloriste, mais considéré aussi comme le fondateur d’une branche de l’ethnographie française ; R. Bastide (1971) d’autre part, " sociologue total " (J. Carbonnier), " anthropologue des gouffres " et des états limites (Morin, 1975) certes, mais aussi pionnier dans l’étude des acculturations et défenseur d’une anthropologie appliquée (Bastide, 1971). Le premier, pour avoir systématisé l’analyse des rituels de passage, dans les cycles de vie " du berceau à la tombe " selon l’expression de son manuel sur Le folklore français (1937-1958 ; 1998), mais aussi dans tous les compartiments de l’existence sociale y compris le travail (Van Gennep, 1909) ; le second, auteur pas moins prolifique, pour nous avoir ouvert à " l’anthropologie appliquée et expérimentale " et inspiré son applicabilité au domaine du management.
En dépit des réserves méthodologiques - pas toujours fondées - formulées par Durkheim et Mauss sur l’absence de rigueur de ses classifications, sur ses excès d’observations de seconde main et sur ses généralisations hâtives (Mauss, 1909), la caution de Van Gennep est de taille. Elle fût d’ailleurs reconnue et célébrée par des générations d’anthropologues : Geza Roheim en premier lieu (1925), mais aussi, plus près de nous, V. Turner (1969), P. Centlivres et J. Hainard (1986), R. Bastide lui-même (1999), M. Felloux (2002) et Goguel d’Allondans (1994 ; 2002). Selon Van Gennep, dans toute société, " la vie individuelle consiste à passer successivement d’un âge à un autre et d’une occupation à une autre. [Elle] consiste en une succession d’étapes dont les fins et commencements forment des ensembles de même ordre : naissance, puberté sociale, mariage, paternité, progression de classe, spécialisation d’occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l’objet est identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation déterminée. L’objet étant le même, il est de toute nécessité que les moyens pour l’atteindre soient, sinon identiques dans le détail, du moins analogues " (1909 : 3-4). D’où l’analogie structurelle qu’il établit entre toutes ces situations en les rangeant dans la catégorie des " rites de passage ". Après avoir arpenté en direct les replis de la société française de son temps et accumulé des milliers de monographies sur tous les aspects matériels, sociaux et culturels des peuples les plus lointains, il entreprend alors d’en construire le modèle théorique. Car même si ses matériaux initiaux procèdent d’un ancrage empirique (" La présente systématisation n’est pas une pure constriction logique […] elle répond à la fois aux faits, aux tendances sous-jacentes et aux nécessités sociales ", 1909 : 269), dans son ouvrage majeur (Les rites de passage, 1909) ce ne sont pas les rites en eux-mêmes qui l’intéressent, mais les séquences cérémonielles et surtout les structures générales, quasiment universelles, qui leur sont sous-jacentes. Et il enfonce le clou de ses ambitions généralisatrices : " Une véritable armée d’ethnographes et de folkloristes a démontré que chez la plupart des peuples on retrouve des rites identiques en vue d’un but identique et dans toutes sortes de cérémonies […] Sous la multiplicité des formes se retrouve toujours, soit exprimée consciemment, soit en puissance, une séquence type : le schéma des rites de passage " (1909 : 275). D’entrée de jeu, il évoque l’extension nécessaire de la signification des rituels de passage à la sphère professionnelle et au monde du travail, notamment dans ce qu’il appelle " le contrôle des passages dans les carrières professionnelles " (1909 : 147) : un argument qui suffirait ; selon nous, à justifier nos développements ultérieurs. Car les passages opèrent non seulement entre les groupes d’âges et les catégories sociales, mais aussi entre " les professions et les métiers divers " dont la distance plus ou moins importante rend nécessaire des " stages intermédiaires " d’intensité variable. Bien plus, dans l'avant propos de la première édition de son principal ouvrage, après s'être excusé de n'avoir utilisé dans son essai qu'une faible partie des matériaux qu'il avait recueillis, n’encourageait-il pas le lecteur à s'assurer de sa démonstration " en appliquant le schéma des rites de passage aux faits de son domaine personnel d'étude " ?
De leur côté, l’apport des travaux de R. Bastide serait plutôt d’ordre méthodologique. Dans l’un de ses essais les plus connus (1971), il plaide en faveur, non seulement d’une anthropologie appliquée visant l’action des anthropologues praticiens sur les systèmes sociaux (nous parlerions plutôt aujourd’hui " d’ingénieurs sociaux "), mais aussi d’une " anthropologie appliquée théorique ", véritable " discipline scientifique séparée " qui concernerait l’analyse critique des dispositifs volontairement construits par les premiers pour " manipuler " l’organisation
sociale et obtenir les changements sociaux désirés. Cette anthropologie appliquée théorique ouvrirait par ailleurs à son tour la voie à une " anthropologie expérimentale ". Comment expliciter ces diverses notions et les transférer à notre champ de recherche ? Tandis que l’anthropologie fondamentale qui s’est surtout servie de la méthode comparative " s’attache à l’étude des sociétés les moins acculturées " et leurs évolution spontanées (Belloncle, 1993 : 61), " l’anthropologie appliquée théorique ", s’efforcerait, elle, d’étudier " les processus qui se déroulent sous l’influence des changements sociaux provoqués délibérément par les planificateurs " (nous soulignons) (Bastide, 1971 : 152),. Partant de l’idée que ces derniers pourraient être assimilés aux gestionnaires qui interviennent sur le système social de l’entreprise en concevant délibérément des dispositifs de gestion des carrières et de formation des encadrements, une " anthropologie appliquée théorique " - " science théorique de la pratique " ou encore " science de l’action manipulatrice des hommes " (ibid : pp. 187 et 230), - consisterait dès lors, d’une part à conduire l’analyse critique des effets de ces dispositifs d’acculturation et " manipulatoires " construits et, d’autre part, à négocier avec ces gestionnaires ou ces ingénieurs sociaux plus ou moins spontanés, la mise en place de protocoles expérimentaux visant à la fois la production de changement social et de nouvelles connaissances, ces " modèles expérimentaux de changement [devant] ensuite être testés " (ibid. : 198),, grâce à une collaboration entre praticiens et chercheurs " à l’intérieur de champs de recherche devenus laboratoires " (ibid. : 199),. C’est tout l’enjeu des développements qui suivent.
Deux auteurs seront ici particulièrement sollicités. A. Van Gennep (1873-1957) d’une part, certes avant tout folkloriste, mais considéré aussi comme le fondateur d’une branche de l’ethnographie française ; R. Bastide (1971) d’autre part, " sociologue total " (J. Carbonnier), " anthropologue des gouffres " et des états limites (Morin, 1975) certes, mais aussi pionnier dans l’étude des acculturations et défenseur d’une anthropologie appliquée (Bastide, 1971). Le premier, pour avoir systématisé l’analyse des rituels de passage, dans les cycles de vie " du berceau à la tombe " selon l’expression de son manuel sur Le folklore français (1937-1958 ; 1998), mais aussi dans tous les compartiments de l’existence sociale y compris le travail (Van Gennep, 1909) ; le second, auteur pas moins prolifique, pour nous avoir ouvert à " l’anthropologie appliquée et expérimentale " et inspiré son applicabilité au domaine du management.
En dépit des réserves méthodologiques - pas toujours fondées - formulées par Durkheim et Mauss sur l’absence de rigueur de ses classifications, sur ses excès d’observations de seconde main et sur ses généralisations hâtives (Mauss, 1909), la caution de Van Gennep est de taille. Elle fût d’ailleurs reconnue et célébrée par des générations d’anthropologues : Geza Roheim en premier lieu (1925), mais aussi, plus près de nous, V. Turner (1969), P. Centlivres et J. Hainard (1986), R. Bastide lui-même (1999), M. Felloux (2002) et Goguel d’Allondans (1994 ; 2002). Selon Van Gennep, dans toute société, " la vie individuelle consiste à passer successivement d’un âge à un autre et d’une occupation à une autre. [Elle] consiste en une succession d’étapes dont les fins et commencements forment des ensembles de même ordre : naissance, puberté sociale, mariage, paternité, progression de classe, spécialisation d’occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l’objet est identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation déterminée. L’objet étant le même, il est de toute nécessité que les moyens pour l’atteindre soient, sinon identiques dans le détail, du moins analogues " (1909 : 3-4). D’où l’analogie structurelle qu’il établit entre toutes ces situations en les rangeant dans la catégorie des " rites de passage ". Après avoir arpenté en direct les replis de la société française de son temps et accumulé des milliers de monographies sur tous les aspects matériels, sociaux et culturels des peuples les plus lointains, il entreprend alors d’en construire le modèle théorique. Car même si ses matériaux initiaux procèdent d’un ancrage empirique (" La présente systématisation n’est pas une pure constriction logique […] elle répond à la fois aux faits, aux tendances sous-jacentes et aux nécessités sociales ", 1909 : 269), dans son ouvrage majeur (Les rites de passage, 1909) ce ne sont pas les rites en eux-mêmes qui l’intéressent, mais les séquences cérémonielles et surtout les structures générales, quasiment universelles, qui leur sont sous-jacentes. Et il enfonce le clou de ses ambitions généralisatrices : " Une véritable armée d’ethnographes et de folkloristes a démontré que chez la plupart des peuples on retrouve des rites identiques en vue d’un but identique et dans toutes sortes de cérémonies […] Sous la multiplicité des formes se retrouve toujours, soit exprimée consciemment, soit en puissance, une séquence type : le schéma des rites de passage " (1909 : 275). D’entrée de jeu, il évoque l’extension nécessaire de la signification des rituels de passage à la sphère professionnelle et au monde du travail, notamment dans ce qu’il appelle " le contrôle des passages dans les carrières professionnelles " (1909 : 147) : un argument qui suffirait ; selon nous, à justifier nos développements ultérieurs. Car les passages opèrent non seulement entre les groupes d’âges et les catégories sociales, mais aussi entre " les professions et les métiers divers " dont la distance plus ou moins importante rend nécessaire des " stages intermédiaires " d’intensité variable. Bien plus, dans l'avant propos de la première édition de son principal ouvrage, après s'être excusé de n'avoir utilisé dans son essai qu'une faible partie des matériaux qu'il avait recueillis, n’encourageait-il pas le lecteur à s'assurer de sa démonstration " en appliquant le schéma des rites de passage aux faits de son domaine personnel d'étude " ?
De leur côté, l’apport des travaux de R. Bastide serait plutôt d’ordre méthodologique. Dans l’un de ses essais les plus connus (1971), il plaide en faveur, non seulement d’une anthropologie appliquée visant l’action des anthropologues praticiens sur les systèmes sociaux (nous parlerions plutôt aujourd’hui " d’ingénieurs sociaux "), mais aussi d’une " anthropologie appliquée théorique ", véritable " discipline scientifique séparée " qui concernerait l’analyse critique des dispositifs volontairement construits par les premiers pour " manipuler " l’organisation
sociale et obtenir les changements sociaux désirés. Cette anthropologie appliquée théorique ouvrirait par ailleurs à son tour la voie à une " anthropologie expérimentale ". Comment expliciter ces diverses notions et les transférer à notre champ de recherche ? Tandis que l’anthropologie fondamentale qui s’est surtout servie de la méthode comparative " s’attache à l’étude des sociétés les moins acculturées " et leurs évolution spontanées (Belloncle, 1993 : 61), " l’anthropologie appliquée théorique ", s’efforcerait, elle, d’étudier " les processus qui se déroulent sous l’influence des changements sociaux provoqués délibérément par les planificateurs " (nous soulignons) (Bastide, 1971 : 152),. Partant de l’idée que ces derniers pourraient être assimilés aux gestionnaires qui interviennent sur le système social de l’entreprise en concevant délibérément des dispositifs de gestion des carrières et de formation des encadrements, une " anthropologie appliquée théorique " - " science théorique de la pratique " ou encore " science de l’action manipulatrice des hommes " (ibid : pp. 187 et 230), - consisterait dès lors, d’une part à conduire l’analyse critique des effets de ces dispositifs d’acculturation et " manipulatoires " construits et, d’autre part, à négocier avec ces gestionnaires ou ces ingénieurs sociaux plus ou moins spontanés, la mise en place de protocoles expérimentaux visant à la fois la production de changement social et de nouvelles connaissances, ces " modèles expérimentaux de changement [devant] ensuite être testés " (ibid. : 198),, grâce à une collaboration entre praticiens et chercheurs " à l’intérieur de champs de recherche devenus laboratoires " (ibid. : 199),. C’est tout l’enjeu des développements qui suivent.
3. De l’anthropologie théorique inspirée d’A. Van Gennep à une anthropologie appliquée au management : éléments pour une expérimentation
On sait que Van Gennep adopta un schéma ternaire dans sa théorie universalisante des rituels de passage, attestant non seulement des life crisis, des temps forts des communautés humaines et des individus, mais de tous les remaniements identitaires imposés par les changements de professions, de métiers : " Je propose de nommer rites préliminaires des rites de séparation du monde antérieur, rites liminaires les rites exécutés pendant le stade de marge, et rites postliminaires les rites d’agrégation au monde nouveau " (1909 : 27), tout n’étant ici question que d’intensité et de profondeur, différenciées selon les formes d’initiation considérées, l’importance relative et le niveau d’élaboration de ces trois ensembles pouvant varier d’une société à une autre, d’un segment de société à un autre, d’une culture à une autre ou d’une circonstance à l’autre. Par exemple, précise Van Gennep, les rites de séparation sont beaucoup plus développés dans les cérémonies funéraires ; ou les rites d’agrégation dans celles du mariage. Quand il s’agit d’initiation, ce sont les rituels de marge qui prennent la place la plus importante comme cela pourrait être le cas dans notre propre domaine d’étude. Mais à l’intérieur de ceux-ci, on peut passer par exemple, par glissements métaphoriques successifs, d’ensembles cérémoniels où le religieux et le sacré jouent encore un rôle central, à des formes plus ou moins sécularisées. Ainsi, dans le chapitre VI de son ouvrage, après avoir abordé les cérémonies qui commandent l’accès aux sociétés secrètes, aux confréries religieuses, celles qui accompagnent l’ordination du prêtre, l’intronisation du roi ou la consécration des moines et des nonnes, l’auteur s’attaque aux rituels de passage entre les classes, les castes ou les professions : il y trouve des cérémonies " qui se distinguent de celles dont il vient d’être parlé en ce que l’élément magico-religieux y est moindre, l’élément politico-juridique et social général étant au contraire le plus important " (ibid. : 143). On songe ici prosaïquement aux conventions collectives qui rassemblent et séparent les métiers et donc les acteurs qui les exercent et à l’ambivalence structurelle du rite d’institution qui, tout en créant de la cohérence et de l’ordre social n’en génère pas moins de la discontinuité entre ceux qui l’ont déjà subi et ceux qui ne l’ont pas encore subi ou entre ceux qui l’ont subi et ceux qui ne le subiront jamais, en aucune façon (Bourdieu, 1982 : 58-59). C’est cette métaphorisation de proche en proche qui nous conduira à présenter successivement les trois séquences cérémonielles distinguées par A. Van Gennep et leurs applications analogiques possibles pour une expérimentation raisonnée des rituels de passage dans le monde des entreprises et dans la " société spéciale " que constitue la sphère managériale. On rappellera ici que le raisonnement analogique, largement justifié d’un point de vue épistémologique (Durand-Richard, 2007 ; Lecourt, 1999; Nadeau, 1999), consiste à transférer un corps de connaissances stabilisé et même généralisé, d’un domaine de la sphère sociale à un autre, grâce à l’établissement de critères de ressemblance entre les phénomènes étudiés (ici le passage). Dans le cas qui nous occupe, la similitude entre les rituels magico-religieux des cycles de la vie et les dispositifs séculiers de passage d’une position à une autre dans le domaine du travail étant largement établie par Van Gennep lui-même, nous franchissons un pas de plus dans l’analogie en transférant toutes ces modalités dans les pratiques de management et nous le faisons fonctionner comme hypothèses d’action pour résoudre un problème (celui du " malaise " ou de l’inadéquation comportementale de l’encadrement de proximité). Un protocole pourrait être alors imaginé visant à constituer des groupes expérimentaux et des groupes témoins afin d’évaluer l’efficacité des formules rituelles adaptées à la culture de chaque entreprise. Mais, dans tous les cas, il s’agira moins ici de considérer les rites de passage à la lettre que de s’intéresser à leur fonction symbolique et à leur signification sociale d’un point de vue métaphorique, un mode de pensée particulièrement heuristique " quand il s’agit de comprendre l’organisation et la gestion, [c’est-à-dire] des phénomènes complexes et remplis de paradoxes que l’on peut comprendre de bien des façons " (Morgan, 1989 : 4). Puis, nous tenterons de rassembler les principaux apports d’une telle approche avant d’en mesurer les limites.
3.1 Les rituels de séparation ou préliminaires
Dans la littérature anthropologique, la fonction de ces rites d’entrée consiste la plupart du temps à arracher l’individu à sa vie et à son milieu antérieur. Tantôt on sépare les enfants de leur mère, on les éloigne du cercle familial étroit. Tantôt cela passe par des mutilations qui laissent des marques à la fois visibles et indélébiles, marquant ainsi le caractère irréversible du processus : circoncision, arrachement d’une dent (Australie), découpe de la dernière phalange du petit doigt (Afrique du sud), perforation du lobe de l’oreille, tatouages et scarifications… C’est, dit Van Gennep, " un moyen de différenciation définitive " (1909 : 106). Mais il s’agit aussi de " rites publics préparatoires […] accompagnées de processions, de chants et de danses, établissant le cheminement du profane au sacré " (Bastide, 1999). Et cet ensemble de cérémonies de rupture avec le monde profane peut prendre plusieurs formes " bain dans le marigot, purification, destruction des anciens vêtements et du port de vêtements nouveaux etc. " (Les rituels de séparation (" Pré-liminaires ").
Dans la première moitié du siècle dernier, le passage de l’ouvrier à la fonction de contremaître et l’appartenance des chefs à l’autre camp se lisaient d’abord par l’abandon du bleu de travail au profit de la blouse. Telle cette observation au scalpel de l’ouvrier Marcel Durand rapportée par Vigna (2007 : 189) : " Le chef : blouse bleue avec un ou deux stylos Bic et un petit tournevis dépassant de la poche ; le chef peau de vache (aspirant à passer contremaître et davantage) : cravate sous la blouse et collection de stylos dans la poche […] ; contremaitre : blouse grise et cravate ; chef d’atelier : boutons de manchettes en plus et stylos de luxe ; directeur : costume […] ". Mais il y avait aussi l’adoption de nouveaux horaires et parfois le déménagement dans un logement de fonction, autant de symboles matériels visant à aider le novice à renoncer à sa vie antérieure, autant de « marques apparentes de l’arrachement au monde antérieur " (Bastide, ibid.). C’est pourquoi les manuels moyenâgeux de l’ " Ars moriendi ", véritable pédagogie du renoncement, pourraient en constituer l’expression emblématique. Mais il y aurait aussi la figure plus volontariste du pèlerin qui, pour se préparer, multiplie les signes d’aspiration au sacré (changement de vêtement, ascèse personnelle…)
Dans la littérature anthropologique, la fonction de ces rites d’entrée consiste la plupart du temps à arracher l’individu à sa vie et à son milieu antérieur. Tantôt on sépare les enfants de leur mère, on les éloigne du cercle familial étroit. Tantôt cela passe par des mutilations qui laissent des marques à la fois visibles et indélébiles, marquant ainsi le caractère irréversible du processus : circoncision, arrachement d’une dent (Australie), découpe de la dernière phalange du petit doigt (Afrique du sud), perforation du lobe de l’oreille, tatouages et scarifications… C’est, dit Van Gennep, " un moyen de différenciation définitive " (1909 : 106). Mais il s’agit aussi de " rites publics préparatoires […] accompagnées de processions, de chants et de danses, établissant le cheminement du profane au sacré " (Bastide, 1999). Et cet ensemble de cérémonies de rupture avec le monde profane peut prendre plusieurs formes " bain dans le marigot, purification, destruction des anciens vêtements et du port de vêtements nouveaux etc. " (Les rituels de séparation (" Pré-liminaires ").
Dans la première moitié du siècle dernier, le passage de l’ouvrier à la fonction de contremaître et l’appartenance des chefs à l’autre camp se lisaient d’abord par l’abandon du bleu de travail au profit de la blouse. Telle cette observation au scalpel de l’ouvrier Marcel Durand rapportée par Vigna (2007 : 189) : " Le chef : blouse bleue avec un ou deux stylos Bic et un petit tournevis dépassant de la poche ; le chef peau de vache (aspirant à passer contremaître et davantage) : cravate sous la blouse et collection de stylos dans la poche […] ; contremaitre : blouse grise et cravate ; chef d’atelier : boutons de manchettes en plus et stylos de luxe ; directeur : costume […] ". Mais il y avait aussi l’adoption de nouveaux horaires et parfois le déménagement dans un logement de fonction, autant de symboles matériels visant à aider le novice à renoncer à sa vie antérieure, autant de « marques apparentes de l’arrachement au monde antérieur " (Bastide, ibid.). C’est pourquoi les manuels moyenâgeux de l’ " Ars moriendi ", véritable pédagogie du renoncement, pourraient en constituer l’expression emblématique. Mais il y aurait aussi la figure plus volontariste du pèlerin qui, pour se préparer, multiplie les signes d’aspiration au sacré (changement de vêtement, ascèse personnelle…)
Les rituels de séparation (" Pré-liminaires ")
Rituels emblématiques :
–Ascèse et " Ars moriendi " du moyen-âge européen (France, Allemagne, Italie, Autriche) ;
- Rituels de deuil ;
- Mutilations corporelles irréversibles (R.Bastide) ;
- Bain dans le marigot (R. Bastide) ;
- Eloignement dans la forêt ;
- Rituels de préparation, de purification ou de sanctification avant le départ en pèlerinage : changement de vêtements, adoption de conduites particulières qui marquent à l’extérieur son aspiration au sacré : ihrâm du pèlerin musulman, devotio dans la Rome antique.
Significations, traductions métaphoriques :
- Déliaison, " déliement " (Erny, 1994), " déliement " (Erny, 1994), détachement, arrachement d'avec le groupe d'appartenance , détachement, arrachement d'avec le groupe d'appartenance ;
- Expérience d'un seuil à franchir
- Faire prendre conscience de la réalité de la perte et des renoncements ;
- Lutter contre le refoulement ou l'occultation des expressions émotionnelles individuelles ;
– Attester publiquement de l’entrée du novice dans le processus initiatique ou d’apprentissage
- Aider socialement la personne à affronter l'inconnu, l'étrangeté d'une nouvelle position sociale ;
- Appel à des pontifes pour maîtriser le rituel ;
Dans le cas d’une expérimentation bien menée, visant à accompagner le parcours organisé des postulants à l’encadrement, il s’agirait tout d’abord de ritualiser très fortement cette étape habituellement banalisée et livrée à des formes opaques de désignation ou de nomination qui ont toujours fragilisé la légitimité des encadrants. Le futur encadrant n’étant pas officiellement - c’est-à-dire publiquement - et selon des critères explicites entré dans un processus promotionnel, il ne saurait en sortir avec les attributs de celui qui a traversé des obstacles socialement attestés. Ici comme pour les autres séquences, les ensembles rituels qu’il conviendrait alors de concevoir devraient être en cohérence avec le cadre culturel de chaque entreprise : ici, des systèmes élaborés de " détection des potentiels managériaux " (comités de carrière, revues des talents, assessment centers…) à la recherche d’une objectivation des critères de sélection, là une simple utilisation des entretiens annuels mais des notes de service, des affichages informatifs ou des articles dans les journaux internes afin de confirmer publiquement l’entrée dans le processus promotionnel (Perrier, 2008).
Parallèlement aux critères de détection des potentiels managériaux se pose la question du volontariat dans de telles démarches. Möbus signale qu’une convergence serait à l’oeuvre en France, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni pour " remplacer les pratiques [de détection des encadrements intermédiaires] au cas par cas, fondés sur la tradition et la proximité encadrants/encadrés " pour les remplacer " par des outils techniques tels que les dispositifs d’évaluation des compétences et de gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, visant à objectiver les parcours dans l’entreprise " (2003 : 17). En Allemagne le volontariat prévaut, qui se traduit par un dépôt de candidature examiné par la ligne hiérarchique et qui marque l’entrée dans un parcours de formation-promotion en alternance (Aufstiegsfortbildung) de trois années en général. En France, la nomination aux fonctions d’encadrement est plutôt vécue comme un destin (une " chance ") ou une reconnaissance plus ou moins arbitraire de la hiérarchie, propice à des justifications ou des interrogations interminables sur sa propre légitimité (Trouvé, 1997 : 203 et sq.). C’est pourquoi deux axes pourraient être privilégiés dans la fabrication des rituels d’entrée : il s’agirait, d’une part, d’arracher le novice à son milieu habituel de travail par des rites de deuil et, d’autre part, de le préparer publiquement, matériellement et symboliquement à l’apprentissage se son nouveau métier.
Rituels emblématiques :
–Ascèse et " Ars moriendi " du moyen-âge européen (France, Allemagne, Italie, Autriche) ;
- Rituels de deuil ;
- Mutilations corporelles irréversibles (R.Bastide) ;
- Bain dans le marigot (R. Bastide) ;
- Eloignement dans la forêt ;
- Rituels de préparation, de purification ou de sanctification avant le départ en pèlerinage : changement de vêtements, adoption de conduites particulières qui marquent à l’extérieur son aspiration au sacré : ihrâm du pèlerin musulman, devotio dans la Rome antique.
Significations, traductions métaphoriques :
- Déliaison, " déliement " (Erny, 1994), " déliement " (Erny, 1994), détachement, arrachement d'avec le groupe d'appartenance , détachement, arrachement d'avec le groupe d'appartenance ;
- Expérience d'un seuil à franchir
- Faire prendre conscience de la réalité de la perte et des renoncements ;
- Lutter contre le refoulement ou l'occultation des expressions émotionnelles individuelles ;
– Attester publiquement de l’entrée du novice dans le processus initiatique ou d’apprentissage
- Aider socialement la personne à affronter l'inconnu, l'étrangeté d'une nouvelle position sociale ;
- Appel à des pontifes pour maîtriser le rituel ;
Dans le cas d’une expérimentation bien menée, visant à accompagner le parcours organisé des postulants à l’encadrement, il s’agirait tout d’abord de ritualiser très fortement cette étape habituellement banalisée et livrée à des formes opaques de désignation ou de nomination qui ont toujours fragilisé la légitimité des encadrants. Le futur encadrant n’étant pas officiellement - c’est-à-dire publiquement - et selon des critères explicites entré dans un processus promotionnel, il ne saurait en sortir avec les attributs de celui qui a traversé des obstacles socialement attestés. Ici comme pour les autres séquences, les ensembles rituels qu’il conviendrait alors de concevoir devraient être en cohérence avec le cadre culturel de chaque entreprise : ici, des systèmes élaborés de " détection des potentiels managériaux " (comités de carrière, revues des talents, assessment centers…) à la recherche d’une objectivation des critères de sélection, là une simple utilisation des entretiens annuels mais des notes de service, des affichages informatifs ou des articles dans les journaux internes afin de confirmer publiquement l’entrée dans le processus promotionnel (Perrier, 2008).
Parallèlement aux critères de détection des potentiels managériaux se pose la question du volontariat dans de telles démarches. Möbus signale qu’une convergence serait à l’oeuvre en France, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni pour " remplacer les pratiques [de détection des encadrements intermédiaires] au cas par cas, fondés sur la tradition et la proximité encadrants/encadrés " pour les remplacer " par des outils techniques tels que les dispositifs d’évaluation des compétences et de gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, visant à objectiver les parcours dans l’entreprise " (2003 : 17). En Allemagne le volontariat prévaut, qui se traduit par un dépôt de candidature examiné par la ligne hiérarchique et qui marque l’entrée dans un parcours de formation-promotion en alternance (Aufstiegsfortbildung) de trois années en général. En France, la nomination aux fonctions d’encadrement est plutôt vécue comme un destin (une " chance ") ou une reconnaissance plus ou moins arbitraire de la hiérarchie, propice à des justifications ou des interrogations interminables sur sa propre légitimité (Trouvé, 1997 : 203 et sq.). C’est pourquoi deux axes pourraient être privilégiés dans la fabrication des rituels d’entrée : il s’agirait, d’une part, d’arracher le novice à son milieu habituel de travail par des rites de deuil et, d’autre part, de le préparer publiquement, matériellement et symboliquement à l’apprentissage se son nouveau métier.
3.2 Les rituels de marge ou de transition
Dans la tradition anthropologique, les rites de marge doivent être considérés comme les rituels d’initiation proprement dits, ceux qui, comme le dit Bastide, procurent " l’intelligence du caché ", formant frontière entre le profane et le sacré, l’exotérique et l’ésotérique (Bastide, 1999). De cette profusion de registres considérés découle, selon Van Gennep, l'universalité des portes à franchir certes, mais aussi et surtout des précautions touchant l'entrée et les rites de franchissement : " quiconque passe [d’un groupe social à un autre] se trouve matériellement et magico-religieusement, pendant un temps plus ou moins long, dans une situation spéciale : il flotte entre deux mondes. C’est cette situation que je désigne du nom de marge, et l’un des objets du présent livre est de démontrer que cette marge idéale et matérielle à la fois se retrouve, plus ou moins prononcée, dans toutes les cérémonies qui accompagnent le passage d’une situation magico-religieuse ou sociale à une autre " (1909 : 23-24).
La caractéristique majeure de cette séquence est l’isolement. C’est pourquoi, il serait nécessaire de transporter les apprentis managers, hors de leur entreprise, hors de leur service, hors de leur quotidien. Dans certaines tribus de l’Australie, le novice est considéré comme mort pendant la durée du noviciat (Van Gennep, 1909 : 108). Et l’auteur considère que l’expression la mieux accomplie des rituels de marge réside dans les pratiques du portage : " le sujet de la cérémonie ne doit pas, pendant un temps plus ou moins long, toucher la terre. On le porte à bras, en litière, on le met à cheval, à dos de boeuf, en voiture ; on l’installe sur une claie mobile ou fixe, sur un échafaudage ou sur un siège élevé, sur un trône. Ce rite est essentiellement différent de celui d’enjamber quelque chose, ou d’être transporté par-dessus quelque chose, bien que les deux se combinent parfois. L’idée est que l’on doit être soulevé ou surélevé […] a ce moment l’individu n’appartient ni [plus] au monde sacré, ni [encore] au monde profane, ou encore qu’appartenant à tous les deux, on ne veut pas qu’il se réagrège mal à propos à l’autre, on l’isole, on le maintient dans une position intermédiaire, on le soutient entre ciel et terre… (Ibid. : 205-206). Comment ne pas songer à nos futurs encadrants qu’il conviendrait de faire décoller plus que de les confiner ou de les confire ? Car, comme le souligne Turner, les " liminaristes ", c’est-à-dire les personnes qui passent par des périodes de transitions ritualisées doivent être transportés hors de " l’activité structurale aride " pour aller vers un lieu magique où " tout " est possible, un lieu qui donne de la force (1969 : 164).
Selon Bastide (1999), deux composantes essentielles structurent l’espace et le temps liminaires (du latin limen : la frontière) (Rituels de marge ou de transition (" liminaires ") : initiation proprement dite). Tout d’abord, la notion d’épreuves (physiques et/ou morales), de lutte (souvent contre soi-même), de souffrances ayant pour propriété " d’infuser une vie nouvelle ", de passer " à travers une porte étroite, difficile à franchir ", celles-ci devant être d’autant plus fortes que " le néophyte […] doit être placé haut à la fin des rites " (Turner, 1969 : 193). Et Bourdieu de peaufiner la justification suivante : " l’utilisation que les rites d’initiation font, en toute société, de la souffrance infligée […] se comprend si l’on sait que, comme nombre d’expériences psychologiques l’ont montré, les gens adhérent d’autant plus fortement à une institution que les rites initiatiques qu’elle leur a imposés ont été plus sévères et plus douloureux " (Bourdieu, 1982 : 61). Ces rituels de marge, de durée variable, sont donc souvent connotés comme des " brimades " aux vertus pédagogiques, cette " école de souffrance " permettant au profane en voie d’initiation de montrer qu’il est capable de dépasser sa condition antérieure, de sortir des pesanteurs quotidiennes. Ensuite, dit Bastide, " à côté des sévices […] il y a toute une resocialisation de [l’apprenti] qui a fait appeler les maisons ou les enclos d’initiation des " écoles de brousse […] Au cours de cette période de marge, on apprenait souvent une langue secrète aux candidats (nouveau signe pour eux de reconnaissance) et le trésor des mythes, des légendes de l’ethnie ". D’où la transmission de connaissances comme d’éducation morale (le contrôle de soi-même appris à travers les souffrances), mais surtout la mise en place de procédés pédagogiques plus ou moins sophistiqués pour en faciliter l’apprentissage : (dessins chez les indiens […] apprentissage de proverbes ou de la résolution d’énigmes métaphysiques), que l’auteur assimile à " de véritables universités audiovisuelles où l’on mémorise tout un système de correspondance mystiques, d’une cosmologie savante, où l’on passe graduellement du concret aux degrés les plus élevés de l’abstrait et du spirituel ". Et pourquoi pas, dirions-nous, une initiation aux (ou une revisitation des) grandes mythologies de l’entreprise ? Pourquoi pas une véritable cosmologie organisationnelle ?
On comprendra dès lors que par analogie, cette phase de liminarité (le terme est de V. Turner) comprenne dans nos propositions expérimentales une part non négligeable d’ingénierie pédagogique. Mais il y faudra des pontifes, c’est-à-dire l’analogue des prêtres romains autorisés à ruser avec la nature pour littéralement jeter des ponts entre les deux rives d’un fleuve et aider les postulants à franchir le pas, autrement dit des experts internes ou externes dûment accrédités pour conduire cette opération délicate. Car, comme le dit Bastide : " Au cours de cette période les candidats ont échappé à un monde sans encore être intégrés dans un autre et se trouvent donc particulièrement " vulnérables " […] [ceux qui] dirigent les cérémonies doivent veiller sur leurs nouveaux enfants en train de renaître, s’ils les font souffrir d’un côté, ils les protègent et les aident de l’autre ". Et d’ajouter joyeusement que dans certaines régions du monde, les postulants à un nouveau statut ayant échappé aux contraintes de leur ancienne fonction sans être encore intégrés aux normes de leur nouvelle fonction, " ils peuvent connaître une période de licence : vols, liberté sexuelle, droit à injurier autrui ". Pourquoi ne pas en profiter dès lors pour organiser des séances où les candidats à l’encadrement pourraient critiquer vertement leur entreprise ou les figures de l’autorité. Comme dans les rituels d’inversion de statuts où les personnes de statut inférieur exercent saisonnièrement " une autorité rituelle sur leurs supérieurs " ou sont habilités à " contredire la hiérarchie séculière " (Turner, 1969 : 162).
Il faut savoir gré à V. Turner (1969 : chap. 3, 4, 5) d’avoir réalisé un travail méticuleux sur ce moment liminaire et d’en avoir souligné un aspect particulièrement négligé par Van Gennep, Bastide et bien d’autres. Une négligence d’autant plus préjudiciable que cet élément jouerait, selon lui, un rôle central dans les rituels d’élévation de statut où " le novice est transporté de façon irréversible d'une position inférieure à une position supérieure ". Pour bien négocier cette étape transitoire ou intermédiaire entre deux mondes structurés, celui d’où l’on sort et celui où l’on compte entrer, la constitution d’une " Communitas " et/ou d’un " Comitatus " (que l’on pourrait traduire par compagnonnage entre pairs) serait presque toujours attestée. Il s’agirait d’ " une communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même [d’] une communion d’individus égaux qui se soumettent ensemble à l’autorité générale des aînés rituels " (ibid. : 162). D’où, selon nous, la nécessité de constituer des promotions (au sens de classes ou de vagues) de futurs managers intermédiaires au lieu de les envoyer individuellement en formation.
Dans la tradition anthropologique, les rites de marge doivent être considérés comme les rituels d’initiation proprement dits, ceux qui, comme le dit Bastide, procurent " l’intelligence du caché ", formant frontière entre le profane et le sacré, l’exotérique et l’ésotérique (Bastide, 1999). De cette profusion de registres considérés découle, selon Van Gennep, l'universalité des portes à franchir certes, mais aussi et surtout des précautions touchant l'entrée et les rites de franchissement : " quiconque passe [d’un groupe social à un autre] se trouve matériellement et magico-religieusement, pendant un temps plus ou moins long, dans une situation spéciale : il flotte entre deux mondes. C’est cette situation que je désigne du nom de marge, et l’un des objets du présent livre est de démontrer que cette marge idéale et matérielle à la fois se retrouve, plus ou moins prononcée, dans toutes les cérémonies qui accompagnent le passage d’une situation magico-religieuse ou sociale à une autre " (1909 : 23-24).
La caractéristique majeure de cette séquence est l’isolement. C’est pourquoi, il serait nécessaire de transporter les apprentis managers, hors de leur entreprise, hors de leur service, hors de leur quotidien. Dans certaines tribus de l’Australie, le novice est considéré comme mort pendant la durée du noviciat (Van Gennep, 1909 : 108). Et l’auteur considère que l’expression la mieux accomplie des rituels de marge réside dans les pratiques du portage : " le sujet de la cérémonie ne doit pas, pendant un temps plus ou moins long, toucher la terre. On le porte à bras, en litière, on le met à cheval, à dos de boeuf, en voiture ; on l’installe sur une claie mobile ou fixe, sur un échafaudage ou sur un siège élevé, sur un trône. Ce rite est essentiellement différent de celui d’enjamber quelque chose, ou d’être transporté par-dessus quelque chose, bien que les deux se combinent parfois. L’idée est que l’on doit être soulevé ou surélevé […] a ce moment l’individu n’appartient ni [plus] au monde sacré, ni [encore] au monde profane, ou encore qu’appartenant à tous les deux, on ne veut pas qu’il se réagrège mal à propos à l’autre, on l’isole, on le maintient dans une position intermédiaire, on le soutient entre ciel et terre… (Ibid. : 205-206). Comment ne pas songer à nos futurs encadrants qu’il conviendrait de faire décoller plus que de les confiner ou de les confire ? Car, comme le souligne Turner, les " liminaristes ", c’est-à-dire les personnes qui passent par des périodes de transitions ritualisées doivent être transportés hors de " l’activité structurale aride " pour aller vers un lieu magique où " tout " est possible, un lieu qui donne de la force (1969 : 164).
Selon Bastide (1999), deux composantes essentielles structurent l’espace et le temps liminaires (du latin limen : la frontière) (Rituels de marge ou de transition (" liminaires ") : initiation proprement dite). Tout d’abord, la notion d’épreuves (physiques et/ou morales), de lutte (souvent contre soi-même), de souffrances ayant pour propriété " d’infuser une vie nouvelle ", de passer " à travers une porte étroite, difficile à franchir ", celles-ci devant être d’autant plus fortes que " le néophyte […] doit être placé haut à la fin des rites " (Turner, 1969 : 193). Et Bourdieu de peaufiner la justification suivante : " l’utilisation que les rites d’initiation font, en toute société, de la souffrance infligée […] se comprend si l’on sait que, comme nombre d’expériences psychologiques l’ont montré, les gens adhérent d’autant plus fortement à une institution que les rites initiatiques qu’elle leur a imposés ont été plus sévères et plus douloureux " (Bourdieu, 1982 : 61). Ces rituels de marge, de durée variable, sont donc souvent connotés comme des " brimades " aux vertus pédagogiques, cette " école de souffrance " permettant au profane en voie d’initiation de montrer qu’il est capable de dépasser sa condition antérieure, de sortir des pesanteurs quotidiennes. Ensuite, dit Bastide, " à côté des sévices […] il y a toute une resocialisation de [l’apprenti] qui a fait appeler les maisons ou les enclos d’initiation des " écoles de brousse […] Au cours de cette période de marge, on apprenait souvent une langue secrète aux candidats (nouveau signe pour eux de reconnaissance) et le trésor des mythes, des légendes de l’ethnie ". D’où la transmission de connaissances comme d’éducation morale (le contrôle de soi-même appris à travers les souffrances), mais surtout la mise en place de procédés pédagogiques plus ou moins sophistiqués pour en faciliter l’apprentissage : (dessins chez les indiens […] apprentissage de proverbes ou de la résolution d’énigmes métaphysiques), que l’auteur assimile à " de véritables universités audiovisuelles où l’on mémorise tout un système de correspondance mystiques, d’une cosmologie savante, où l’on passe graduellement du concret aux degrés les plus élevés de l’abstrait et du spirituel ". Et pourquoi pas, dirions-nous, une initiation aux (ou une revisitation des) grandes mythologies de l’entreprise ? Pourquoi pas une véritable cosmologie organisationnelle ?
On comprendra dès lors que par analogie, cette phase de liminarité (le terme est de V. Turner) comprenne dans nos propositions expérimentales une part non négligeable d’ingénierie pédagogique. Mais il y faudra des pontifes, c’est-à-dire l’analogue des prêtres romains autorisés à ruser avec la nature pour littéralement jeter des ponts entre les deux rives d’un fleuve et aider les postulants à franchir le pas, autrement dit des experts internes ou externes dûment accrédités pour conduire cette opération délicate. Car, comme le dit Bastide : " Au cours de cette période les candidats ont échappé à un monde sans encore être intégrés dans un autre et se trouvent donc particulièrement " vulnérables " […] [ceux qui] dirigent les cérémonies doivent veiller sur leurs nouveaux enfants en train de renaître, s’ils les font souffrir d’un côté, ils les protègent et les aident de l’autre ". Et d’ajouter joyeusement que dans certaines régions du monde, les postulants à un nouveau statut ayant échappé aux contraintes de leur ancienne fonction sans être encore intégrés aux normes de leur nouvelle fonction, " ils peuvent connaître une période de licence : vols, liberté sexuelle, droit à injurier autrui ". Pourquoi ne pas en profiter dès lors pour organiser des séances où les candidats à l’encadrement pourraient critiquer vertement leur entreprise ou les figures de l’autorité. Comme dans les rituels d’inversion de statuts où les personnes de statut inférieur exercent saisonnièrement " une autorité rituelle sur leurs supérieurs " ou sont habilités à " contredire la hiérarchie séculière " (Turner, 1969 : 162).
Il faut savoir gré à V. Turner (1969 : chap. 3, 4, 5) d’avoir réalisé un travail méticuleux sur ce moment liminaire et d’en avoir souligné un aspect particulièrement négligé par Van Gennep, Bastide et bien d’autres. Une négligence d’autant plus préjudiciable que cet élément jouerait, selon lui, un rôle central dans les rituels d’élévation de statut où " le novice est transporté de façon irréversible d'une position inférieure à une position supérieure ". Pour bien négocier cette étape transitoire ou intermédiaire entre deux mondes structurés, celui d’où l’on sort et celui où l’on compte entrer, la constitution d’une " Communitas " et/ou d’un " Comitatus " (que l’on pourrait traduire par compagnonnage entre pairs) serait presque toujours attestée. Il s’agirait d’ " une communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même [d’] une communion d’individus égaux qui se soumettent ensemble à l’autorité générale des aînés rituels " (ibid. : 162). D’où, selon nous, la nécessité de constituer des promotions (au sens de classes ou de vagues) de futurs managers intermédiaires au lieu de les envoyer individuellement en formation.
Rituels de marge ou de transition (" liminaires ") : initiation proprement dite
Rites emblématiques :
- Franchissement d’un seuil, réclusion, noviciat, comportant en général deux moments :
• affaiblissement corporel ou mental du novice pour lui faire perdre la mémoire de sa vie antérieure ;
• partie " positive " : enseignement du code coutumier, apprentissages.
Significations, traductions métaphoriques :
- Il s'agit de " pivoter sur soi-même " (V.G.) ;
- Séparer les individus du groupe initial ;
- Les tenir " à l’écart de la vie quotidienne " (V. Turner) ;
– 1° temps : prise en charge, accompagnement ;
– 2° temps : transmission de savoirs nouveaux ;
Rites emblématiques :
- " Rites d’installation "
- " Rites d’élévation de statut "
- " Rites d’inversion de statut "
Significations, traductions métaphoriques :
- Mises à l’épreuve, " souffrances renforçant l’éclat de la nouvelle position sociale " (V. Turner) : ex. construction d'une cabane ou d'un pont chez Michelin ;
- Nivellement (E. Goffman), " rabaissement du néophyte parce qu'il doit être placé haut à la fin des rites " (V. Turner)
Rites emblématiques :
" Voyage ", pérégrination post-mortem des mythologies eschatologiques (traditions judaïque, chrétienne, musulmane...), pèlerinage.
- Pratiques du " portage "
Significations, traductions métaphoriques :
- " parcours " ;
- Longs apprentissages (par opposition aux " stages ")
- " flottement entre deux mondes "
Rites emblématiques :
- " stades intermédiaires " du livre des morts des tibétains ;
Significations, traductions métaphoriques :
(Van Gennep)
Rites emblématiques :
- Appartenance à une communitas de retraite ou de retrait (V. Turner)
- " maladie initiatique " et purification des Chamans (changement de peau) ;
Significations, traductions métaphoriques :
- " Communitas/Comitatus : constitution plus ou moins spontanée d’un collectif de pairs en voie d’initiation : fraternité entre les candidats qui vivent ensemble et subissent les mêmes épreuves " (V Turner).
Rites emblématiques :
- Cartographie de l’au-delà chez les égyptiens
Significations, traductions métaphoriques :
- " cartographier " le parcours ;
En résumé, si la plupart des travaux anthropologiques ont insisté sur " la pédagogie sui generis de l’état de seuil " (Wulf, 1998 : 157), on pourrait dire surtout que dans la scénrisation des rituels de passage, la séquence liminaire est presque exclusivement pédagogique. Elle implique mise à l’écart et mise à l’épreuve, efforts, souffrances, cartographie d’un parcours institutionnellement imposé, socialement connu, reconnu et validé. Autant de caractéristiques qui font, au moins partiellement, défaut aux dispositifs généralement construits pour accompagner la promotion des acteurs au statut d’encadrement. Déjà, la mise à l’écart à l’occasion de séminaires résidentiels a souvent été testée dans le cadre des formations au développement personnel au cours desquelles les apprenants ont souvent le sentiment de vivre des expériences extravagantes qui les éloignent de leur condition quotidienne. Ces formations devraient-elles être intra- ou inter-entreprises ? Plutôt la seconde option : d’une part pour élargir l’employabilité et éviter de renforcer la dépendance des futurs encadrants à leur entreprise à laquelle ils doivent traditionnellement d’être tout ce qu’ils sont et, d’autre part pour faciliter l’émergence d’un compagnonnage (communitas) et d’une solidarité propices à la libération d’un potentiel d’action et d’évolution jusqu’ici insoupçonné et trop souvent inhibé par les situations institutionnelles les plus familières (Turner, 1969 : 97). Des données structurées sur le management participatif pourraient bien sûr être transmises, mais relayées, renforcées et testées par des mises en situation visant par exemple à faire intervenir de façon croisée les futurs encadrants dans les services ou les entreprises de leurs compagnons d’apprentissage, sous forme de missions de progrès et de management de transition28. Car les rites de seuil permettent de " roder des comportements " (Wulf : 1998 : 157) en régime de flottement identitaire. C’est pourquoi une telle ingénierie de formation supposerait des " pontifes " (experts intra- ou inter-entreprises, anciens promus…) accompagnateurs d’individus (coaching de soutien) et de groupes (training groups).
On aurait tort cependant de réduire cette ingénierie à son instrumentation. Car ce serait oublier le rôle dynamogénique des rites. En tentant de démêler les multiples manifestations de la ritualité (religion, sacrifices, magie, ascèse personnelle...), M. Mauss avait certes soupçonné une similitude entre les techniques industrielles et les rites, mais il en avait conclu que la supériorité des seconds tient à " la force spirituelle et psychologique ", qu’ils donnent et qui n’est pas un pur effet mécanique de l’action que l’on a menée. Ils ont une " faculté créatrice ", immanente, une force intrinsèque, sans doute vague et inassignable, mais qui surpassent de ce point de vue l’acte technique (Mauss, 1909 : 404-406). Dans notre cas précis, ils sont les seuls à pouvoir étayer les transformations identitaires.
Rites emblématiques :
- Franchissement d’un seuil, réclusion, noviciat, comportant en général deux moments :
• affaiblissement corporel ou mental du novice pour lui faire perdre la mémoire de sa vie antérieure ;
• partie " positive " : enseignement du code coutumier, apprentissages.
Significations, traductions métaphoriques :
- Il s'agit de " pivoter sur soi-même " (V.G.) ;
- Séparer les individus du groupe initial ;
- Les tenir " à l’écart de la vie quotidienne " (V. Turner) ;
– 1° temps : prise en charge, accompagnement ;
– 2° temps : transmission de savoirs nouveaux ;
Rites emblématiques :
- " Rites d’installation "
- " Rites d’élévation de statut "
- " Rites d’inversion de statut "
Significations, traductions métaphoriques :
- Mises à l’épreuve, " souffrances renforçant l’éclat de la nouvelle position sociale " (V. Turner) : ex. construction d'une cabane ou d'un pont chez Michelin ;
- Nivellement (E. Goffman), " rabaissement du néophyte parce qu'il doit être placé haut à la fin des rites " (V. Turner)
Rites emblématiques :
" Voyage ", pérégrination post-mortem des mythologies eschatologiques (traditions judaïque, chrétienne, musulmane...), pèlerinage.
- Pratiques du " portage "
Significations, traductions métaphoriques :
- " parcours " ;
- Longs apprentissages (par opposition aux " stages ")
- " flottement entre deux mondes "
Rites emblématiques :
- " stades intermédiaires " du livre des morts des tibétains ;
Significations, traductions métaphoriques :
(Van Gennep)
Rites emblématiques :
- Appartenance à une communitas de retraite ou de retrait (V. Turner)
- " maladie initiatique " et purification des Chamans (changement de peau) ;
Significations, traductions métaphoriques :
- " Communitas/Comitatus : constitution plus ou moins spontanée d’un collectif de pairs en voie d’initiation : fraternité entre les candidats qui vivent ensemble et subissent les mêmes épreuves " (V Turner).
Rites emblématiques :
- Cartographie de l’au-delà chez les égyptiens
Significations, traductions métaphoriques :
- " cartographier " le parcours ;
En résumé, si la plupart des travaux anthropologiques ont insisté sur " la pédagogie sui generis de l’état de seuil " (Wulf, 1998 : 157), on pourrait dire surtout que dans la scénrisation des rituels de passage, la séquence liminaire est presque exclusivement pédagogique. Elle implique mise à l’écart et mise à l’épreuve, efforts, souffrances, cartographie d’un parcours institutionnellement imposé, socialement connu, reconnu et validé. Autant de caractéristiques qui font, au moins partiellement, défaut aux dispositifs généralement construits pour accompagner la promotion des acteurs au statut d’encadrement. Déjà, la mise à l’écart à l’occasion de séminaires résidentiels a souvent été testée dans le cadre des formations au développement personnel au cours desquelles les apprenants ont souvent le sentiment de vivre des expériences extravagantes qui les éloignent de leur condition quotidienne. Ces formations devraient-elles être intra- ou inter-entreprises ? Plutôt la seconde option : d’une part pour élargir l’employabilité et éviter de renforcer la dépendance des futurs encadrants à leur entreprise à laquelle ils doivent traditionnellement d’être tout ce qu’ils sont et, d’autre part pour faciliter l’émergence d’un compagnonnage (communitas) et d’une solidarité propices à la libération d’un potentiel d’action et d’évolution jusqu’ici insoupçonné et trop souvent inhibé par les situations institutionnelles les plus familières (Turner, 1969 : 97). Des données structurées sur le management participatif pourraient bien sûr être transmises, mais relayées, renforcées et testées par des mises en situation visant par exemple à faire intervenir de façon croisée les futurs encadrants dans les services ou les entreprises de leurs compagnons d’apprentissage, sous forme de missions de progrès et de management de transition28. Car les rites de seuil permettent de " roder des comportements " (Wulf : 1998 : 157) en régime de flottement identitaire. C’est pourquoi une telle ingénierie de formation supposerait des " pontifes " (experts intra- ou inter-entreprises, anciens promus…) accompagnateurs d’individus (coaching de soutien) et de groupes (training groups).
On aurait tort cependant de réduire cette ingénierie à son instrumentation. Car ce serait oublier le rôle dynamogénique des rites. En tentant de démêler les multiples manifestations de la ritualité (religion, sacrifices, magie, ascèse personnelle...), M. Mauss avait certes soupçonné une similitude entre les techniques industrielles et les rites, mais il en avait conclu que la supériorité des seconds tient à " la force spirituelle et psychologique ", qu’ils donnent et qui n’est pas un pur effet mécanique de l’action que l’on a menée. Ils ont une " faculté créatrice ", immanente, une force intrinsèque, sans doute vague et inassignable, mais qui surpassent de ce point de vue l’acte technique (Mauss, 1909 : 404-406). Dans notre cas précis, ils sont les seuls à pouvoir étayer les transformations identitaires.
3.3 Les rituels de réagrégation ou post-liminaires
D’après Bastide (1999), " les rituels de sortie comprennent en gros deux séquences de réapprentissage de la vie quotidienne : l’initié est censé avoir tout oublié, il ne sait plus marcher, parler, rire ; il retourne au village courbé, comme s’il ne savait avancer qu’à quatre pattes, il ne reconnaît plus ses parents, sa maison ; il faut donc lui donner de nouveau l’usage de ce qu’il a perdu. Mais ce retour chez les siens, avec un statut supérieur, est aussi, pour lui et pour ceux qui l’accueille, une fête, et cette fête se marque par des chants, des danses, des processions solennelles " (Rituels d’agrégation ou d’intégration (" Post-liminaires ")). Van Gennep, de même, repère que " dans les rituels d’accès aux sociétés secrètes du Congo ou de Nouvelle Guinée, les initiés font semblant de ne savoir ni marcher, ni manger etc., bref agissent comme des nouveau-nés (ressuscités) et réapprennent tous les gestes de la vie commune. Il leur faut pour cela plusieurs mois " (1909 : 117).
Rituels d’agrégation ou d’intégration (" Post-liminaires ")
Rites emblématiques :
– Renaissance, régénération
Significations, traductions métaphoriques :
– Intégration, nouvelle affiliation au groupe social de référence
Rites emblématiques :
– Réapprentissage de tous les gestes de la vie (Congo, golfe de Guinée)
Significations, traductions métaphoriques :
– Intronisation
Rites emblématiques :
– Fêtes, rites de contact, de " jonction "
Significations, traductions métaphoriques :
– Reconnaissance sociale
– Réunification du sujet, accomplissement
– " Le rituel efficace est celui qui parvient à se symboliser, à se mythifier, à se faire reconnaître. Il se raconte par un petit récit " (Jeffrey, 1994 : 94) ;
– Permettre à la personne de réinterroger les évidences
Tout est dit dans ces fragments d’anthropologie aisément transposables. Ils répondent en particulier à une question très souvent posée : les encadrants nouvellement promus doivent-ils réintégrer leur équipe initiale et peuvent-ils l’encadrer, ou bien est-il préférable de les affecter, sinon dans un nouvel établissement du moins dans une nouvelle équipe ? Réponse : peu importe. Mais en tout cas, il convient de célébrer leur retour par des sortes de " cérémonies de consécration et de reconnaissance par la société (nous soulignons) de la nouvelle personnalité ", comme dans le cas des chamans et des sorciers. Il faut donc faire apparaître un homme nouveau, littéralement ressuscité. Van Gennep ne dit pas autre chose : dans certaines formes de christianisme primitif, " le catéchumène se trouve regeneratus, recréé, selon les termes mêmes des prières prononcées " (1909 : 135). Mais il ajoute : " Là où le novice est considéré comme mort, on le ressuscite et on lui apprend à vivre, mais autrement que pendant l’enfance " (ibid. : 108). C’est pourquoi, de même que la réintégration doit être considérée comme une période transitoire de réadaptation durant laquelle le nouveau promu pourrait s’adonner à l’écoute, à l’enquête, à l’observation auprès de ses nouveaux collaborateurs, de même serait-il bon de l’accompagner institutionnellement pour l’aider à s’approprier sa nouvelle identité au lieu de l’abandonner à sa solitude. Une telle séquence constituerait en même temps une opportunité pour créer une communauté d’encadrement, jamais totalement reconnue dans la plupart des entreprises. Pour quelques unes d’entre elles seulement, certaines expériences vont dans ce sens avec la création de groupes de travail, d’échange de pratiques et de " teams learning " (Deffayet, 2010). De ce point de vue, Hughes avait bien observé que l’adéquation du travailleur à son statut ne saurait se réduire aux prescriptions institutionnelles qui lui sont imposées et que l’on présente aujourd’hui sous la forme des " référentiels d’emplois " ou " de métiers ". Car la socialisation professionnelle, jamais complètement achevée, ne repose pas seulement sur l’exercice d’activités principales, mais aussi sur la détention de " caractéristiques accessoires " socialement construites dans l’interaction de l’acteur avec ses pairs et, dans le cas de l’encadrement, avec ses subordonnés. " En ce qui concerne le statut professionnel, écrivait-il, c’est par les collègues et les compagnons de travail que les attentes concernant les caractéristiques auxiliaires appropriées sont intégrées le plus étroitement aux opinions et aux comportements. Elles deviennent en fait la base de la définition que le groupe de collègues donne de ses intérêts communs, de son code de conduite informel, et de la sélection de ceux qui feront partie de la fraternité interne du métier - trois aspects de la vie professionnelle qui sont si étroitement liés que peu de gens les distinguent en pensée ou dans la conversation " (Hughes, 1945 éd. franç. 1997 ; 190).
D’après Bastide (1999), " les rituels de sortie comprennent en gros deux séquences de réapprentissage de la vie quotidienne : l’initié est censé avoir tout oublié, il ne sait plus marcher, parler, rire ; il retourne au village courbé, comme s’il ne savait avancer qu’à quatre pattes, il ne reconnaît plus ses parents, sa maison ; il faut donc lui donner de nouveau l’usage de ce qu’il a perdu. Mais ce retour chez les siens, avec un statut supérieur, est aussi, pour lui et pour ceux qui l’accueille, une fête, et cette fête se marque par des chants, des danses, des processions solennelles " (Rituels d’agrégation ou d’intégration (" Post-liminaires ")). Van Gennep, de même, repère que " dans les rituels d’accès aux sociétés secrètes du Congo ou de Nouvelle Guinée, les initiés font semblant de ne savoir ni marcher, ni manger etc., bref agissent comme des nouveau-nés (ressuscités) et réapprennent tous les gestes de la vie commune. Il leur faut pour cela plusieurs mois " (1909 : 117).
Rituels d’agrégation ou d’intégration (" Post-liminaires ")
Rites emblématiques :
– Renaissance, régénération
Significations, traductions métaphoriques :
– Intégration, nouvelle affiliation au groupe social de référence
Rites emblématiques :
– Réapprentissage de tous les gestes de la vie (Congo, golfe de Guinée)
Significations, traductions métaphoriques :
– Intronisation
Rites emblématiques :
– Fêtes, rites de contact, de " jonction "
Significations, traductions métaphoriques :
– Reconnaissance sociale
– Réunification du sujet, accomplissement
– " Le rituel efficace est celui qui parvient à se symboliser, à se mythifier, à se faire reconnaître. Il se raconte par un petit récit " (Jeffrey, 1994 : 94) ;
– Permettre à la personne de réinterroger les évidences
Tout est dit dans ces fragments d’anthropologie aisément transposables. Ils répondent en particulier à une question très souvent posée : les encadrants nouvellement promus doivent-ils réintégrer leur équipe initiale et peuvent-ils l’encadrer, ou bien est-il préférable de les affecter, sinon dans un nouvel établissement du moins dans une nouvelle équipe ? Réponse : peu importe. Mais en tout cas, il convient de célébrer leur retour par des sortes de " cérémonies de consécration et de reconnaissance par la société (nous soulignons) de la nouvelle personnalité ", comme dans le cas des chamans et des sorciers. Il faut donc faire apparaître un homme nouveau, littéralement ressuscité. Van Gennep ne dit pas autre chose : dans certaines formes de christianisme primitif, " le catéchumène se trouve regeneratus, recréé, selon les termes mêmes des prières prononcées " (1909 : 135). Mais il ajoute : " Là où le novice est considéré comme mort, on le ressuscite et on lui apprend à vivre, mais autrement que pendant l’enfance " (ibid. : 108). C’est pourquoi, de même que la réintégration doit être considérée comme une période transitoire de réadaptation durant laquelle le nouveau promu pourrait s’adonner à l’écoute, à l’enquête, à l’observation auprès de ses nouveaux collaborateurs, de même serait-il bon de l’accompagner institutionnellement pour l’aider à s’approprier sa nouvelle identité au lieu de l’abandonner à sa solitude. Une telle séquence constituerait en même temps une opportunité pour créer une communauté d’encadrement, jamais totalement reconnue dans la plupart des entreprises. Pour quelques unes d’entre elles seulement, certaines expériences vont dans ce sens avec la création de groupes de travail, d’échange de pratiques et de " teams learning " (Deffayet, 2010). De ce point de vue, Hughes avait bien observé que l’adéquation du travailleur à son statut ne saurait se réduire aux prescriptions institutionnelles qui lui sont imposées et que l’on présente aujourd’hui sous la forme des " référentiels d’emplois " ou " de métiers ". Car la socialisation professionnelle, jamais complètement achevée, ne repose pas seulement sur l’exercice d’activités principales, mais aussi sur la détention de " caractéristiques accessoires " socialement construites dans l’interaction de l’acteur avec ses pairs et, dans le cas de l’encadrement, avec ses subordonnés. " En ce qui concerne le statut professionnel, écrivait-il, c’est par les collègues et les compagnons de travail que les attentes concernant les caractéristiques auxiliaires appropriées sont intégrées le plus étroitement aux opinions et aux comportements. Elles deviennent en fait la base de la définition que le groupe de collègues donne de ses intérêts communs, de son code de conduite informel, et de la sélection de ceux qui feront partie de la fraternité interne du métier - trois aspects de la vie professionnelle qui sont si étroitement liés que peu de gens les distinguent en pensée ou dans la conversation " (Hughes, 1945 éd. franç. 1997 ; 190).
3.4 Principaux apports et limites de notre contribution
Quels apports principaux est-on dès lors, en mesure de retirer d’un usage managérial des données issues de l’anthropologie des rituels de passage ? A quels types de questions seraient-ils susceptibles de répondre ? Quels éléments nouveaux apportent ce détour épistémologique et les propositions expérimentales qui en résultent aux dispositifs déjà existants ? Quelles limites enfin doit-on concéder à l’ensemble de notre démarche et des résultats obtenus ?
Nous pourrions ici retenir quatre ensembles de contributions de l’anthropologie au management.
Le premier, en élargissant nos modes de lecture des dispositifs existants, offrirait un nouveau cadre de compréhension et de traitement des dynamiques identitaires à l’oeuvre dans les processus de promotion, notamment des encadrements de proximité. Une généralisation possible du schéma ternaire de Van Gennep pourrait même être imaginée - sous conditions - pour s’appliquer aussi bien aux futurs encadrants de promotion ou à leurs reconversions actuelles, qu’à des catégories professionnelles ou des groupes de populations actives également confrontées à des transitions professionnelles, à des mobilités inter-emplois ou inter-métiers, et donc à toutes les situations qui sollicitent des remaniements identitaires profonds. Que l’on songe ici aux populations au chômage et à leur migration vers des activités post-salariales ou à des salariés du back office contraints aujourd’hui de se reconvertir à des fonctions commerciales dans certains secteurs d’activité.
Le deuxième ensemble d’apports concernerait l’ajustement des dispositifs expérimentaux à construire, à la diversité des situations d’entreprises. Cette extrême plasticité serait en effet cohérente avec les principes contingentiels de la science anthropologique. En effet, en dépit de - ou grâce à - la forte stabilité structurale du modèle attesté par Van Gennep, le contenu concret et la complexité des rituels n’en sont pas moins variables. Ils dépendraient en particulier de la culture de la communauté d’appartenance et, plus spécifiquement dans les situations qui nous occupent, des cultures intra-organisationnelles. On pourrait ainsi imaginer de construire des dispositifs et des épreuves initiatiques capables de renforcer la légitimité des " initiés " selon les formes de socialisation adaptées à chaque entreprise, métier ou branche professionnelle : formations de longue durée (opposées aux simples " stages "), tests en " assessment centers " ou bilans de compétences, sans négliger les rituels initiatiques nationalement institutionnalisés ou valorisés comme les titres, les diplômes ou les classifications, bref tout une série de " signes standardisés et répétitifs " (Isambert, 1979), tout un ensemble symbolique activant ou réactivant les signes d’appartenance et de reconnaissance sociales. Car, si l’on ose dire, il n’y a pas de renaissance sans reconnaissance.
Le troisième point est sans doute le plus central. Si la promotion professionnelle confine au rituel de passage, alors il convient, sinon de l’institutionnaliser, du moins, de la (re)socialiser très fortement. C’est là une leçon omniprésente en anthropologie, trop souvent négligée dans les pratiques ordinaires de promotion des encadrements de proximité. Déjà Durkheim et Mauss avaient noté que l’efficacité des rites se tient dans leur dimension collective ; c’est elle qui leur donne leur puissance et les distingue de l’ascétisme individuel, et l’on ferait bien de méditer certaines de leurs sentences : " sur le terrain du sacrifice [qui est un rite] la société entoure le fidèle de son assistance morale, c’est elle qui lui donne sa foi, la confiance qui l’anime dans la valeur de ses actes. Si on croit au sacrifice, s’il est efficace, c’est qu’il est un acte social " (Hubert et Mauss, 1906 : 16) ; " Les rites commencent par être surtout collectifs ; ils ne sont guère accomplis qu’en commun, par le groupe rassemblé : (Mauss, 1909 : 361). Turner, de son côté, a insisté sur la constitution nécessaire d’une véritable communauté dans la plupart des rituels initiatiques (1969 : 95-128). C’est elle qui permet à l’individu de maîtriser le franchissement d’un seuil, en le soutenant pour affronter l’étrangeté d’une nouvelle position sociale ou le basculement dans une autre identité professionnelle. Or, force est de constater que cette dimension ritualisée et collective, ritualisée parce que collective ou collective parce que ritualisée, fait défaut dans les procédures de nomination aux fonctions d’encadrement et dans les tentatives actuelles pour la moderniser qui sont la plupart du temps expéditives ou furtives. C’est ce qu’établissent nos propres enquêtes portant sur le vécu des promotions internes au statut de maîtrise (Trouvé, 1997). C’est ce que montrent d’autre part plusieurs contributions d’une publication collective (Trouvé, 1998) mettant l’accent sur l’absence d’aide et d’étayage social ou organisationnel susceptibles d’installer sereinement et durablement les encadrements de proximité dans leur légitimité. D’où leur flottement identitaire. A l’inverse, toute investiture collectivement ritualisée " exerce une efficacité symbolique tout à fait réelle en ce qu’elle transforme réellement la personne consacrée : d’abord parce qu’elle transforme la représentation que s’en font les autres agents et surtout peut-être les comportements qu’ils adoptent à son égard […] ; et ensuite parce qu’elle transforme du même coup la représentation que la personne investie se fait d’elle-même et les comportements qu’elle se croit tenue d’adopter pour se conformer à cette représentation " (Bourdieu, 1982 : 59).
Quatrième apport enfin : considérant que la formalisation récente des activités gestionnaires de l’encadrement (calcul des budgets, contrôle qualité, tenue des délais, nombreux reporting…) n’ont pas réduit pour autant sa fonction de régulation sociale dans les nouvelles politiques du travail (Trouvé, 2009), il faudrait s’attendre à ce que ces " actes de magie sociale " institués (Bourdieu) pour lesquels nous avons plaidé, aboutissent à rien moins qu’à une amélioration du fonctionnement opérationnel des unités dont il a la charge. C’est là peut-être ce qui pourrait intéresser au plus haut les dirigeants d’entreprise après notre long détour.
Mais toutes ces contributions de l’anthropologie appliquée et expérimentale au management ne vont cependant pas sans limite. Notamment, si la conception des rituels développée ici se concentre sur le renforcement institutionnel de la légitimité des encadrements de promotion, élargissant ainsi leur capacité d’action, elle ne s’interroge pas sur le bienfondé des multiples injonctions - parfois paradoxales - qui leur sont aujourd’hui inlassablement adressées. De ce point de vue, elle laisse de côté les conditions structurelles de la transformation des modes de management, car dans les rituels d’élévation tout comme dans ceux d’inversion, " le système des positions sociales n’est pas contesté " (Turner, 1969 : 193). De même elle ne distingue pas pour l’instant les politiques spécifiques à adopter pour le segment traditionnel et celui des jeunes diplômés en voie de promotion.
Quels apports principaux est-on dès lors, en mesure de retirer d’un usage managérial des données issues de l’anthropologie des rituels de passage ? A quels types de questions seraient-ils susceptibles de répondre ? Quels éléments nouveaux apportent ce détour épistémologique et les propositions expérimentales qui en résultent aux dispositifs déjà existants ? Quelles limites enfin doit-on concéder à l’ensemble de notre démarche et des résultats obtenus ?
Nous pourrions ici retenir quatre ensembles de contributions de l’anthropologie au management.
Le premier, en élargissant nos modes de lecture des dispositifs existants, offrirait un nouveau cadre de compréhension et de traitement des dynamiques identitaires à l’oeuvre dans les processus de promotion, notamment des encadrements de proximité. Une généralisation possible du schéma ternaire de Van Gennep pourrait même être imaginée - sous conditions - pour s’appliquer aussi bien aux futurs encadrants de promotion ou à leurs reconversions actuelles, qu’à des catégories professionnelles ou des groupes de populations actives également confrontées à des transitions professionnelles, à des mobilités inter-emplois ou inter-métiers, et donc à toutes les situations qui sollicitent des remaniements identitaires profonds. Que l’on songe ici aux populations au chômage et à leur migration vers des activités post-salariales ou à des salariés du back office contraints aujourd’hui de se reconvertir à des fonctions commerciales dans certains secteurs d’activité.
Le deuxième ensemble d’apports concernerait l’ajustement des dispositifs expérimentaux à construire, à la diversité des situations d’entreprises. Cette extrême plasticité serait en effet cohérente avec les principes contingentiels de la science anthropologique. En effet, en dépit de - ou grâce à - la forte stabilité structurale du modèle attesté par Van Gennep, le contenu concret et la complexité des rituels n’en sont pas moins variables. Ils dépendraient en particulier de la culture de la communauté d’appartenance et, plus spécifiquement dans les situations qui nous occupent, des cultures intra-organisationnelles. On pourrait ainsi imaginer de construire des dispositifs et des épreuves initiatiques capables de renforcer la légitimité des " initiés " selon les formes de socialisation adaptées à chaque entreprise, métier ou branche professionnelle : formations de longue durée (opposées aux simples " stages "), tests en " assessment centers " ou bilans de compétences, sans négliger les rituels initiatiques nationalement institutionnalisés ou valorisés comme les titres, les diplômes ou les classifications, bref tout une série de " signes standardisés et répétitifs " (Isambert, 1979), tout un ensemble symbolique activant ou réactivant les signes d’appartenance et de reconnaissance sociales. Car, si l’on ose dire, il n’y a pas de renaissance sans reconnaissance.
Le troisième point est sans doute le plus central. Si la promotion professionnelle confine au rituel de passage, alors il convient, sinon de l’institutionnaliser, du moins, de la (re)socialiser très fortement. C’est là une leçon omniprésente en anthropologie, trop souvent négligée dans les pratiques ordinaires de promotion des encadrements de proximité. Déjà Durkheim et Mauss avaient noté que l’efficacité des rites se tient dans leur dimension collective ; c’est elle qui leur donne leur puissance et les distingue de l’ascétisme individuel, et l’on ferait bien de méditer certaines de leurs sentences : " sur le terrain du sacrifice [qui est un rite] la société entoure le fidèle de son assistance morale, c’est elle qui lui donne sa foi, la confiance qui l’anime dans la valeur de ses actes. Si on croit au sacrifice, s’il est efficace, c’est qu’il est un acte social " (Hubert et Mauss, 1906 : 16) ; " Les rites commencent par être surtout collectifs ; ils ne sont guère accomplis qu’en commun, par le groupe rassemblé : (Mauss, 1909 : 361). Turner, de son côté, a insisté sur la constitution nécessaire d’une véritable communauté dans la plupart des rituels initiatiques (1969 : 95-128). C’est elle qui permet à l’individu de maîtriser le franchissement d’un seuil, en le soutenant pour affronter l’étrangeté d’une nouvelle position sociale ou le basculement dans une autre identité professionnelle. Or, force est de constater que cette dimension ritualisée et collective, ritualisée parce que collective ou collective parce que ritualisée, fait défaut dans les procédures de nomination aux fonctions d’encadrement et dans les tentatives actuelles pour la moderniser qui sont la plupart du temps expéditives ou furtives. C’est ce qu’établissent nos propres enquêtes portant sur le vécu des promotions internes au statut de maîtrise (Trouvé, 1997). C’est ce que montrent d’autre part plusieurs contributions d’une publication collective (Trouvé, 1998) mettant l’accent sur l’absence d’aide et d’étayage social ou organisationnel susceptibles d’installer sereinement et durablement les encadrements de proximité dans leur légitimité. D’où leur flottement identitaire. A l’inverse, toute investiture collectivement ritualisée " exerce une efficacité symbolique tout à fait réelle en ce qu’elle transforme réellement la personne consacrée : d’abord parce qu’elle transforme la représentation que s’en font les autres agents et surtout peut-être les comportements qu’ils adoptent à son égard […] ; et ensuite parce qu’elle transforme du même coup la représentation que la personne investie se fait d’elle-même et les comportements qu’elle se croit tenue d’adopter pour se conformer à cette représentation " (Bourdieu, 1982 : 59).
Quatrième apport enfin : considérant que la formalisation récente des activités gestionnaires de l’encadrement (calcul des budgets, contrôle qualité, tenue des délais, nombreux reporting…) n’ont pas réduit pour autant sa fonction de régulation sociale dans les nouvelles politiques du travail (Trouvé, 2009), il faudrait s’attendre à ce que ces " actes de magie sociale " institués (Bourdieu) pour lesquels nous avons plaidé, aboutissent à rien moins qu’à une amélioration du fonctionnement opérationnel des unités dont il a la charge. C’est là peut-être ce qui pourrait intéresser au plus haut les dirigeants d’entreprise après notre long détour.
Mais toutes ces contributions de l’anthropologie appliquée et expérimentale au management ne vont cependant pas sans limite. Notamment, si la conception des rituels développée ici se concentre sur le renforcement institutionnel de la légitimité des encadrements de promotion, élargissant ainsi leur capacité d’action, elle ne s’interroge pas sur le bienfondé des multiples injonctions - parfois paradoxales - qui leur sont aujourd’hui inlassablement adressées. De ce point de vue, elle laisse de côté les conditions structurelles de la transformation des modes de management, car dans les rituels d’élévation tout comme dans ceux d’inversion, " le système des positions sociales n’est pas contesté " (Turner, 1969 : 193). De même elle ne distingue pas pour l’instant les politiques spécifiques à adopter pour le segment traditionnel et celui des jeunes diplômés en voie de promotion.
Conclusion
Au final, nous avons vu que pour transformer durablement les conditions et le comportement des agents d’encadrement de proximité recrutés sur le marché interne, les dispositifs d’accompagnement et de formation habituellement utilisés ne suffisent pas. Car, dans le contexte actuel de forte transformation des organisations et des contenus du travail, c’est leur identité professionnelle et sociale qui est en jeu. En s’inspirant des rituels initiatiques issus de l’anthropologie sociale, notre contribution visait à montrer que leurs principales séquences sont pleinement transférables, dans une perspective expérimentale, non seulement pour comprendre mais également pour améliorer le management des mobilités au sein de ces populations. Les résultats escomptés pourraient porter sur un double registre : celui de la légitimité des encadrements de proximité sans cesse interrogée au cours de l’histoire industrielle ; celui du fonctionnement interne des unités opérationnelles dont la performance dépend inséparablement des savoir-faire techniques et gestionnaires de ceux-ci certes, mais aussi de leur bonne maîtrise des rapports sociaux. C’est pourquoi, notre démarche est délibérément ancrée dans l’entreprise comme communauté d’appartenance culturelle et symbolique tout autant que comme espace technico-économique. C’est une proposition qui ne demande qu’à se tester au cours de recherches-actions orientées dans des entreprises volontaires.
Pour visualiser l'intervention de Philippe Trouvé sur ce thème lors du séminaire de recherche " Anthropologie et Management (2012) "
Pour visualiser l'intervention de Philippe Trouvé sur ce thème lors du séminaire de recherche " Anthropologie et Management (2012) "
Présentation de l'auteur :
Philippe Trouvé est professeur en Sociologie de l’entreprise et Management des ressources humaines,docteur en sociologie (HDR), chercheur sur les utopies entrepreneuriales, directeur de la recherche au Groupe ESC Clermont France Business School, CRCGM (EA 3849) ▪
Bibliographie :
Bastide R. (1999), " Initiation " (article), Encyclopaedia Universalis.
Bellini S., Labit A. (2005), Des petits chefs aux managers de proximité. L’évolution des rôles de la maîtrise dans l’industrie, Paris, l’Harmattan, Logiques Sociales.
Belloncle G. (1993), " L’anthropologie appliquée de R. Bastide ", Bastidiana, Cahiers d’études bastidiennes, n° 4, octobre-décembre, pp. 55-65.
Boltanski L. (1982), Les cadres, formation d’un groupe social, Paris, éd. de Minuit.
Bourdieu P. (1966), " Conditions de classes et position de classe ", Archives européennes de sociologie, VII, pp. 201-223.
Bourdieu P. (1982), " Les rites comme actes d’institution ", Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 43, juin, pp. 58-63.
Buscatto M. (2006), " Des hiérarchies intermédiaires sous le signe de la " psychologisation sociale " ", Empan, n° 61-1, pp. 69-75.
Cadet J.-P., Möbus M. (2011), La promotion au statut de cadre des professions intermédiaires, analyse quantitative, enquêtes en entreprises, Apec/Céreq.
Centlivres P., Hainard J. (dir.) (1986), Les rites de passage aujourd’hui. Actes du Colloque de Neuchâtel, 1981, Paris, L’âge d’homme.
Chauvel L. (2006), Les classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, " La République des idées ".
Cohen Y. (2001), Organiser à l’aube du taylorisme. La pratique d’Ernest Mattern chez Peugeot, 1906-1919, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, série " Historiques ".
Coutrot L. (2002), " Les catégories socioprofessionnelles : changement des conditions, permanence des positions ", Sociétés contemporaines, 1, n° 45-46, pp. 107-129.
Deffayet S. (2010), Les clés de l’autorité. Renforcez votre légitimité, Paris, Eyrolles.
De Gauléjac V. (1987), La névrose de classe, Paris, Hommes et Groupes éditeurs
Dewerpe A. (1989), Le monde du travail en France 1800-1950, Paris, Armand Colin.
Dubar C. (1991 - 2002), La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin.
Durand M. (1990), Grain de sable sous le capot, édit. La Brèche, 2ème éd. augmentée : Marseille, Agone, 2006
Durand-Richard M.-J. (2007), Le statut de l’analogie dans la démarche scientifique, Paris, l’Harmattan.
Durkheim E. (1912, 5ème édit. 1968), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF.
Erny P. (1994), " La notion de rite de passage ", in Th. Goguel d’Allondans (dir.), Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Eres, pp. 21-29.
Felloux M. (2002), A la recherche de nouveaux rites. Rites de passage et modernité avancée, Paris, l’Harmattan.
Fridenson P. (1978), " France-Etats-Unis : genèse de l’usine nouvelle ", Recherches, n° 32/33, Le soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme, sous la dir.de L. Murard et P. Zylberman, septembre, pp. 375-388.
Fridenson P. (1987), " Un tournant taylorien de la société française (1904-1918) ", Annales, vol. 42, n° 5, pp. 1031-1060.
Gillet A. (2009), " Transformation du travail et formation des agents de maîtrise ", Education permanente, n° 178-1, pp.93-106.
Godelier M., 1984, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard.
Goguel d’Allondans Th. (dir.) (1994), Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Eres.
Goguel d’Allondans Th. (2002), Rites de passage, rites d’initiation, lecture d’A. Van Gennep, Presses de l’Université Laval.
Hubert H. Mauss M. (1906), " Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 3-106.
Hughes E.-C. (1945, trad. franç. 1997), " Dilemmes et contradictions de statut ", in E.-C. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd. de l’EHESS, pp.187-197.
Hughes E.-C. (1958, 2ème éd.1981), Men and Their Work, London, The Free Press of Glencoe.
Hughes E.-C. (1951, trad. franç. 1997), " Le travail et le soi ", in E.-C. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd. de l’EHESS, pp. 75-85.
Isambert, F.-A. (1979), Rite et efficacité symbolique, Paris, Le Cerf.
Jarrige F., Chalmin C. (2008), " L’émergence du contremaître. L’ambivalence d’une autorité en construction dans l’industrie textile française (1800-1860) ", Le mouvement social, n° 224, juillet-septembre, pp. 47-60.
Jeffrey D. (1994), " Approches symboliques de la mort et ritualités ", in Th. Goguel d’Allondans, Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Erès, coll. " pratiques sociales transversales ", pp. 87-96.
Lachmann H., Larose Ch., Penicaud M. (2010), Bien-être et efficacité au travail, Rapport au Premier Ministre, février, 19 p
Lecourt D. (1999), Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, Paris, PUF, pp. 32-36.
Mauss M. (1909), " La Prière ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 357-558.
Mauss M. (1910), " Les rites de passage ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 553-555.
Mispelblom Beyer F. (2006), Encadrer, un métier impossible ? Paris, Armand Colin.
Möbus M. (2003), " L’accès à l’encadrement intermédiaire dans la production industrielle. Comparaison France, Allemagne, Royaume-Uni ", in R. Le Saout, J.-P. Saulnier, L’encadrement intermédiaire. Les contraintes d’une position ambivalente, L’Harmattan, Paris.
Möbus M. (2009), Les professions intermédiaires dans les entreprises. Techniciens, agents de maîtrise et assimilés. Cadrage statistique, NEF-Céreq, n° 39, janvier.
Monjardet D., Benguigui G. (1985), " Travail et culture dans l’analyse des classes moyennes , in Aupetit B., Benguigui C, Bidou et alii., Classes et catégories sociales, Paris, Edires, pp.141-151.
Morgan G. (1989), Images de l’organisation, Presses de l’Université de Laval / Ed. Eska
Morin F. (1975), " Roger Bastide ou l’anthropologie des gouffres ", Archives des sciences sociales des religions, vol. 40, n° 40, pp. 99-106.
Mothé-Gautrat D. (1986), Pour une nouvelle culture d’entreprise, Paris, éd. La Découverte, coll. Cahiers Libres 415.
Moutet A. (1978), " Patrons de progrès ou patrons de combat ? La politique de rationalisation de l’industrie française au lendemain de la Première Guerre mondiale ", Recherches, n° 32/33, Le soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme, sous la dir.de L. Murard et P. Zylberman, septembre, pp. 449-489.
Moutet A. (1997), Les logiques de l’entreprise. La rationalisation dans l’industrie française de l’entre-deux-guerres, Paris, éd. de l’EHESS, coll. " civilisations et sociétés ", 495 p.
Nadeau R. (1999), Vocabulaire technique et analytique de l’épistémologie, Paris, PUF, pp. 9-11.
Nelson D. (1976), Managers and Workers : Origins of the New Factory System in the United States (1880-1920), Madison, The University of Wisconsin Press.
Perrier P. (2008), " Détecter les potentiels managériaux ", Note de Synthèse, Entreprise & Personnel, décembre.
Rausis Ph.-E. (1994), " j’existe, Dieu m’a rencontré… ", in Th. Goguel d’Allondans (dir.), Rites de passage, Paris, Eres, pp. 41-73.
Ròheim G. (-1925-, 1967), Psychanalyse et anthropologie, Paris, Gallimard.
Sudreau P. (1975), La réforme de l’entreprise, Rapport du comité présidé par P. Sudreau, Paris, Christian Bourgois éd., 10/18, 254 p.
Tajfel H. (1981), Human Groups and Social Categories, Cambridge, Cambridge University Press.
Tajfel H. (1982), Social Identity and Intergroup Relations, Cambridge, Cambridge University Press.
Trouvé Ph. (1996), " La fin des contremaîtres traditionnels ? ", Revue française de sociologie, vol. XXXVII, pp. 287-308.
Trouvé Ph. (1997), Les agents de maîtrise à l’épreuve de la modernisation industrielle, L’harmattan, Paris.
Trouvé Ph. (Dir.) (1998), Le devenir des catégories intermédiaires d'encadrement, entre gestion d'entreprise, marché du travail et transitions identitaires, Paris, Dares/Ministère de l'emploi et de la solidarité, Documentation Française, coll. " Cahiers Travail et emploi ".
Trouvé Ph. (2009), " La contribution des entreprises à la formation de leur encadrement intermédiaire : un investissement sans retour ? ", Éducation permanente, n° 178, 1, dossier : Peut-on former à la fonction d’encadrement ? pp. 37-53.
Trouvé Ph. (à paraître), " Les encadrements de proximité : enquête sur une bibliographie trentenaire ", NEF-Céreq.
Turner V.-W. (-1969-, 1990), Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, Paris, PUF
Valeyre A., Lorenz E. (2005), " Les nouvelles formes d’organisation du travail en Europe ", Connaissance de l’emploi, Le 4 pages du CEE, n° 13, mars, 4 p.
Van Gennep A. (-1909-, 1981), Les rites de passage. Etude systématique des rites, Paris, éd. Picard.
Van Gennep A. (-1937-1958- ; 1999), Le folklore français, Paris, Robert Laffont éd., coll. " Bouquins ", 4 tomes.
Vigna X. (2007), L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Histoire ".
Villette M. (1976), " Psychosociologie d’entreprise et rééducation morale ", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 2, n° 4, pp.47-65.
Volkoff S. (1987), " L’encadrement : de la catégorie statistique à la fonction exercée ", Economie et Statistique, n° 204, novembre, pp. 29-33.
Wolff L. (2005), " Transformations de l’intermédiation hiérarchique ", Centre d’Etudes de l’Emploi, Rapport de Recherche, n° 29, novembre.
Wulf Ch. (1998), " Mimesis et rituel ", Hermès, n° 22, pp. 153-162.
Bellini S., Labit A. (2005), Des petits chefs aux managers de proximité. L’évolution des rôles de la maîtrise dans l’industrie, Paris, l’Harmattan, Logiques Sociales.
Belloncle G. (1993), " L’anthropologie appliquée de R. Bastide ", Bastidiana, Cahiers d’études bastidiennes, n° 4, octobre-décembre, pp. 55-65.
Boltanski L. (1982), Les cadres, formation d’un groupe social, Paris, éd. de Minuit.
Bourdieu P. (1966), " Conditions de classes et position de classe ", Archives européennes de sociologie, VII, pp. 201-223.
Bourdieu P. (1982), " Les rites comme actes d’institution ", Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 43, juin, pp. 58-63.
Buscatto M. (2006), " Des hiérarchies intermédiaires sous le signe de la " psychologisation sociale " ", Empan, n° 61-1, pp. 69-75.
Cadet J.-P., Möbus M. (2011), La promotion au statut de cadre des professions intermédiaires, analyse quantitative, enquêtes en entreprises, Apec/Céreq.
Centlivres P., Hainard J. (dir.) (1986), Les rites de passage aujourd’hui. Actes du Colloque de Neuchâtel, 1981, Paris, L’âge d’homme.
Chauvel L. (2006), Les classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, " La République des idées ".
Cohen Y. (2001), Organiser à l’aube du taylorisme. La pratique d’Ernest Mattern chez Peugeot, 1906-1919, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, série " Historiques ".
Coutrot L. (2002), " Les catégories socioprofessionnelles : changement des conditions, permanence des positions ", Sociétés contemporaines, 1, n° 45-46, pp. 107-129.
Deffayet S. (2010), Les clés de l’autorité. Renforcez votre légitimité, Paris, Eyrolles.
De Gauléjac V. (1987), La névrose de classe, Paris, Hommes et Groupes éditeurs
Dewerpe A. (1989), Le monde du travail en France 1800-1950, Paris, Armand Colin.
Dubar C. (1991 - 2002), La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin.
Durand M. (1990), Grain de sable sous le capot, édit. La Brèche, 2ème éd. augmentée : Marseille, Agone, 2006
Durand-Richard M.-J. (2007), Le statut de l’analogie dans la démarche scientifique, Paris, l’Harmattan.
Durkheim E. (1912, 5ème édit. 1968), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF.
Erny P. (1994), " La notion de rite de passage ", in Th. Goguel d’Allondans (dir.), Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Eres, pp. 21-29.
Felloux M. (2002), A la recherche de nouveaux rites. Rites de passage et modernité avancée, Paris, l’Harmattan.
Fridenson P. (1978), " France-Etats-Unis : genèse de l’usine nouvelle ", Recherches, n° 32/33, Le soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme, sous la dir.de L. Murard et P. Zylberman, septembre, pp. 375-388.
Fridenson P. (1987), " Un tournant taylorien de la société française (1904-1918) ", Annales, vol. 42, n° 5, pp. 1031-1060.
Gillet A. (2009), " Transformation du travail et formation des agents de maîtrise ", Education permanente, n° 178-1, pp.93-106.
Godelier M., 1984, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard.
Goguel d’Allondans Th. (dir.) (1994), Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Eres.
Goguel d’Allondans Th. (2002), Rites de passage, rites d’initiation, lecture d’A. Van Gennep, Presses de l’Université Laval.
Hubert H. Mauss M. (1906), " Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 3-106.
Hughes E.-C. (1945, trad. franç. 1997), " Dilemmes et contradictions de statut ", in E.-C. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd. de l’EHESS, pp.187-197.
Hughes E.-C. (1958, 2ème éd.1981), Men and Their Work, London, The Free Press of Glencoe.
Hughes E.-C. (1951, trad. franç. 1997), " Le travail et le soi ", in E.-C. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd. de l’EHESS, pp. 75-85.
Isambert, F.-A. (1979), Rite et efficacité symbolique, Paris, Le Cerf.
Jarrige F., Chalmin C. (2008), " L’émergence du contremaître. L’ambivalence d’une autorité en construction dans l’industrie textile française (1800-1860) ", Le mouvement social, n° 224, juillet-septembre, pp. 47-60.
Jeffrey D. (1994), " Approches symboliques de la mort et ritualités ", in Th. Goguel d’Allondans, Rites de passage : d’ailleurs, ici, pour ailleurs, Paris, Erès, coll. " pratiques sociales transversales ", pp. 87-96.
Lachmann H., Larose Ch., Penicaud M. (2010), Bien-être et efficacité au travail, Rapport au Premier Ministre, février, 19 p
Lecourt D. (1999), Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, Paris, PUF, pp. 32-36.
Mauss M. (1909), " La Prière ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 357-558.
Mauss M. (1910), " Les rites de passage ", in M. Mauss, Oeuvres, 1. Les fonctions sociales du sacré, Paris, éd. de Minuit, 1968, pp. 553-555.
Mispelblom Beyer F. (2006), Encadrer, un métier impossible ? Paris, Armand Colin.
Möbus M. (2003), " L’accès à l’encadrement intermédiaire dans la production industrielle. Comparaison France, Allemagne, Royaume-Uni ", in R. Le Saout, J.-P. Saulnier, L’encadrement intermédiaire. Les contraintes d’une position ambivalente, L’Harmattan, Paris.
Möbus M. (2009), Les professions intermédiaires dans les entreprises. Techniciens, agents de maîtrise et assimilés. Cadrage statistique, NEF-Céreq, n° 39, janvier.
Monjardet D., Benguigui G. (1985), " Travail et culture dans l’analyse des classes moyennes , in Aupetit B., Benguigui C, Bidou et alii., Classes et catégories sociales, Paris, Edires, pp.141-151.
Morgan G. (1989), Images de l’organisation, Presses de l’Université de Laval / Ed. Eska
Morin F. (1975), " Roger Bastide ou l’anthropologie des gouffres ", Archives des sciences sociales des religions, vol. 40, n° 40, pp. 99-106.
Mothé-Gautrat D. (1986), Pour une nouvelle culture d’entreprise, Paris, éd. La Découverte, coll. Cahiers Libres 415.
Moutet A. (1978), " Patrons de progrès ou patrons de combat ? La politique de rationalisation de l’industrie française au lendemain de la Première Guerre mondiale ", Recherches, n° 32/33, Le soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme, sous la dir.de L. Murard et P. Zylberman, septembre, pp. 449-489.
Moutet A. (1997), Les logiques de l’entreprise. La rationalisation dans l’industrie française de l’entre-deux-guerres, Paris, éd. de l’EHESS, coll. " civilisations et sociétés ", 495 p.
Nadeau R. (1999), Vocabulaire technique et analytique de l’épistémologie, Paris, PUF, pp. 9-11.
Nelson D. (1976), Managers and Workers : Origins of the New Factory System in the United States (1880-1920), Madison, The University of Wisconsin Press.
Perrier P. (2008), " Détecter les potentiels managériaux ", Note de Synthèse, Entreprise & Personnel, décembre.
Rausis Ph.-E. (1994), " j’existe, Dieu m’a rencontré… ", in Th. Goguel d’Allondans (dir.), Rites de passage, Paris, Eres, pp. 41-73.
Ròheim G. (-1925-, 1967), Psychanalyse et anthropologie, Paris, Gallimard.
Sudreau P. (1975), La réforme de l’entreprise, Rapport du comité présidé par P. Sudreau, Paris, Christian Bourgois éd., 10/18, 254 p.
Tajfel H. (1981), Human Groups and Social Categories, Cambridge, Cambridge University Press.
Tajfel H. (1982), Social Identity and Intergroup Relations, Cambridge, Cambridge University Press.
Trouvé Ph. (1996), " La fin des contremaîtres traditionnels ? ", Revue française de sociologie, vol. XXXVII, pp. 287-308.
Trouvé Ph. (1997), Les agents de maîtrise à l’épreuve de la modernisation industrielle, L’harmattan, Paris.
Trouvé Ph. (Dir.) (1998), Le devenir des catégories intermédiaires d'encadrement, entre gestion d'entreprise, marché du travail et transitions identitaires, Paris, Dares/Ministère de l'emploi et de la solidarité, Documentation Française, coll. " Cahiers Travail et emploi ".
Trouvé Ph. (2009), " La contribution des entreprises à la formation de leur encadrement intermédiaire : un investissement sans retour ? ", Éducation permanente, n° 178, 1, dossier : Peut-on former à la fonction d’encadrement ? pp. 37-53.
Trouvé Ph. (à paraître), " Les encadrements de proximité : enquête sur une bibliographie trentenaire ", NEF-Céreq.
Turner V.-W. (-1969-, 1990), Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, Paris, PUF
Valeyre A., Lorenz E. (2005), " Les nouvelles formes d’organisation du travail en Europe ", Connaissance de l’emploi, Le 4 pages du CEE, n° 13, mars, 4 p.
Van Gennep A. (-1909-, 1981), Les rites de passage. Etude systématique des rites, Paris, éd. Picard.
Van Gennep A. (-1937-1958- ; 1999), Le folklore français, Paris, Robert Laffont éd., coll. " Bouquins ", 4 tomes.
Vigna X. (2007), L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Histoire ".
Villette M. (1976), " Psychosociologie d’entreprise et rééducation morale ", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 2, n° 4, pp.47-65.
Volkoff S. (1987), " L’encadrement : de la catégorie statistique à la fonction exercée ", Economie et Statistique, n° 204, novembre, pp. 29-33.
Wolff L. (2005), " Transformations de l’intermédiation hiérarchique ", Centre d’Etudes de l’Emploi, Rapport de Recherche, n° 29, novembre.
Wulf Ch. (1998), " Mimesis et rituel ", Hermès, n° 22, pp. 153-162.