La laïcité : une métaphore pour libérer le management des dogmes qui l'inspirent
Devant tant de bruit entourant le débat sur la laicité et les valeurs au Québec (et dans toute l'Europe !), la montée, un peu partout dans le monde, d’idées communautaristes et xénophobes, revenons sur les origines des idées dites laïques et de laïcité, qui ont, historiquement, bien plus à voir d’abord, avec des révoltes contre l'exploitation des peuples, les inégalités et les injustices, que le seul retrait, stricto sensu, du religieux par rapport au politique.
Le terme de laïcité vient du grec " laïkos " qui signifie littéralement " Peuple "
Le terme de laïcité vient du grec " laïkos " qui signifie littéralement " Peuple "
Dénoncer la collusion des clercs du management avec le pouvoir dominant
Depuis des temps immémoriaux, ceux parmi les humains qui désiraient détenir et conserver des pouvoirs et privilèges réservés devaient s’appuyer sur des complices chargés (par la prétention de détention de savoirs spéciaux : cosmogonies, théologies, idéologies…) de faire accepter aux peuples la légitimité de ce désir. Ce sont ceux que l’on peut désigner par le terme clercs (qui a donné clergé), c’est-à-dire " ceux qui savent ". C’est ainsi que sorciers, chamans, prêtres…, se sont alliés, d’abord, à ceux qui avaient l’usage du plus ancien instrument de pouvoir : les armes (chasseurs, guerriers, noblesses de souche militaire).
Ces clercs élaborèrent les savoirs devant servir à la légitimation de l’accaparement exclusif du pouvoir par un groupe social donné, en échange de quoi ils obtenaient des privilèges garantis. Ce furent, de tous temps (les études ethnologiques le montrent) des justifications invoquant des raisons transcendantales (transcendant la condition humaine) conférant un statut spécial, hors du commun, aux accapareurs du pouvoir.
Cette collusion clergés-politiques, sans doute née à des époques très reculées, a toujours constitué une farouche défense d’intérêts réciproques, défense indispensablement construite sur l’exploitation et la subordination de ceux qui deviendront sujets, puis simples citoyens.
Ces derniers constituaient la chair à canon des guerres royales et seigneuriales, les sources de fort nombreuses taxes telles que tailles, cens, banalités, gabelles, champarts au bénéfice des seigneurs ; et dîmes, corvées, dons, indulgences à celui des clergés. Voilà pourquoi, pour ne parler que de l’Occident, le roi français devint de " droit divin ", le royaume d’Espagne " très catholique ", le souverain anglais " doté de corps immortel ", l’Empire romain-germanique " saint ".
En échange de cette sacralisation du politique et de ses privilèges, l’Église pouvait exploiter de son côté populaces et paysans, jusqu’aux excès culminant avec l’affaire des indulgences sous le pape Léon X, excès qui menèrent au schisme déclenché par Luther au 16e siècle. Schisme survenu précisément en des temps dits de " Renaissance " (avec ses nouvelles idées plus humanistes, plus scientifiques et rationnelles…), un terreau fertile qui enfantera plus ou moins directement ceux qu’on dénommera plus tard libres penseurs et rationalistes : les Rousseau (Discours sur l’inégalité…), Montesquieu, Voltaire, Diderot.
Il est de première importance de rappeler que leurs hérétiques idées furent d’abord dénonciation de l’exploitation concertée du peuple par le couple Monarchie/noblesse-Église. Le tout trouvera un épilogue, notamment, avec la Révolution de 1789, mettant à bas le pouvoir église-noblesse au profit du tiers-état, mais ouvrant la voie à une nouvelle classe de privilégiés : la bourgeoisie manufacturière, qui aura bientôt son clergé.
Ces clercs élaborèrent les savoirs devant servir à la légitimation de l’accaparement exclusif du pouvoir par un groupe social donné, en échange de quoi ils obtenaient des privilèges garantis. Ce furent, de tous temps (les études ethnologiques le montrent) des justifications invoquant des raisons transcendantales (transcendant la condition humaine) conférant un statut spécial, hors du commun, aux accapareurs du pouvoir.
Cette collusion clergés-politiques, sans doute née à des époques très reculées, a toujours constitué une farouche défense d’intérêts réciproques, défense indispensablement construite sur l’exploitation et la subordination de ceux qui deviendront sujets, puis simples citoyens.
Ces derniers constituaient la chair à canon des guerres royales et seigneuriales, les sources de fort nombreuses taxes telles que tailles, cens, banalités, gabelles, champarts au bénéfice des seigneurs ; et dîmes, corvées, dons, indulgences à celui des clergés. Voilà pourquoi, pour ne parler que de l’Occident, le roi français devint de " droit divin ", le royaume d’Espagne " très catholique ", le souverain anglais " doté de corps immortel ", l’Empire romain-germanique " saint ".
En échange de cette sacralisation du politique et de ses privilèges, l’Église pouvait exploiter de son côté populaces et paysans, jusqu’aux excès culminant avec l’affaire des indulgences sous le pape Léon X, excès qui menèrent au schisme déclenché par Luther au 16e siècle. Schisme survenu précisément en des temps dits de " Renaissance " (avec ses nouvelles idées plus humanistes, plus scientifiques et rationnelles…), un terreau fertile qui enfantera plus ou moins directement ceux qu’on dénommera plus tard libres penseurs et rationalistes : les Rousseau (Discours sur l’inégalité…), Montesquieu, Voltaire, Diderot.
Il est de première importance de rappeler que leurs hérétiques idées furent d’abord dénonciation de l’exploitation concertée du peuple par le couple Monarchie/noblesse-Église. Le tout trouvera un épilogue, notamment, avec la Révolution de 1789, mettant à bas le pouvoir église-noblesse au profit du tiers-état, mais ouvrant la voie à une nouvelle classe de privilégiés : la bourgeoisie manufacturière, qui aura bientôt son clergé.
La finance-business et ses " écoles " : nouveaux clergés de l'idéologie ultra libérale
À ce qui précède, on comprendra qu’il est fallacieux de réduire l’idée de laïcité à la seule séparation entre religion et politique. La lutte contre les injustices et inégalités sociales y est aussi importante sinon prépondérante. Est-ce fortuit si l’encyclique Rerum Novarum (sorte de réponse aux Conditions de la classe laborieuse en Angleterre en 1844 de F. Engels -) sacralisant propriété privée et droits de gérance parut à l’apogée de la Révolution industrielle ?
Est-ce aussi fortuit si, en toute fin du 19e et débuts du 20e apparurent les premiers gourous de l’économie-management moderne, Fayol et Taylor ? Ils furent les premiers " clercs " du nouvel ordre bourgeois-manufacturier qui domine aujourd’hui à l’échelle de la planète. Ils en engendreront d’innombrables autres.
Ce nouveau clergé dédié aux intérêts des faiseurs d’argent (money making), fabriquera deux grandes idéologies présentées comme sciences : l’économie néoclassique-néolibérale et le management. S’entre-alimentant sans cesse à tour de rôle, ils ne sont qu’auto-renforcement tautologique de pseudo savoirs : des techniques, habiletés et théories du " comment faire plus d’argent " présentées comme des connaissances.
Ce clergé a ses gourous : Drucker, Simon, Porter … ses messes : congrès, colloques, ses prédicateurs : animateurs-vedettes et experts des médias (propriétés de membres du clergé), ses fanatiques, intégristes, et dogmes… (J. Stiglitz, La grande désillusion, 2002) auxquels il faut croire (les journaux rapportent en ce moment que la BCE européenne ne croit pas ce que croit le FMI, qu’au Forum de Davos on croit autre chose). Ces dogmes sont marché autorégulé, libre concurrence, croissance infinie, justesse scientifique d’enrichissement illimité des riches (surhumains leaders, héros, génies, qui le méritent). Ils sont produits de temples : facultés d’économie néolibérale, écoles de business, instituts, avec leurs lieux sacrés : Harvard, Sloan, Wall-Street.
En pleine connivence avec les milieux d’affaires (sauf rares exceptions tels des Musk ou Cascades) ces temples fournissent les savoirs et les élites (nouveaux clercs) dont nos " États " (en fait comités de gestion des intérêts des dominants) se gavent : hauts commis, consultants, conseillers, éminences grises. Les milieux finance-busines téléguident lois et décisions étatiques. Il faut toujours davantage socialiser les coûts et privatiser profits et privilèges (James O’connor, The Fiscal Crisis of the State, 1973) pour maintenir richesses des uns et pouvoir des autres.
Est-ce aussi fortuit si, en toute fin du 19e et débuts du 20e apparurent les premiers gourous de l’économie-management moderne, Fayol et Taylor ? Ils furent les premiers " clercs " du nouvel ordre bourgeois-manufacturier qui domine aujourd’hui à l’échelle de la planète. Ils en engendreront d’innombrables autres.
Ce nouveau clergé dédié aux intérêts des faiseurs d’argent (money making), fabriquera deux grandes idéologies présentées comme sciences : l’économie néoclassique-néolibérale et le management. S’entre-alimentant sans cesse à tour de rôle, ils ne sont qu’auto-renforcement tautologique de pseudo savoirs : des techniques, habiletés et théories du " comment faire plus d’argent " présentées comme des connaissances.
Ce clergé a ses gourous : Drucker, Simon, Porter … ses messes : congrès, colloques, ses prédicateurs : animateurs-vedettes et experts des médias (propriétés de membres du clergé), ses fanatiques, intégristes, et dogmes… (J. Stiglitz, La grande désillusion, 2002) auxquels il faut croire (les journaux rapportent en ce moment que la BCE européenne ne croit pas ce que croit le FMI, qu’au Forum de Davos on croit autre chose). Ces dogmes sont marché autorégulé, libre concurrence, croissance infinie, justesse scientifique d’enrichissement illimité des riches (surhumains leaders, héros, génies, qui le méritent). Ils sont produits de temples : facultés d’économie néolibérale, écoles de business, instituts, avec leurs lieux sacrés : Harvard, Sloan, Wall-Street.
En pleine connivence avec les milieux d’affaires (sauf rares exceptions tels des Musk ou Cascades) ces temples fournissent les savoirs et les élites (nouveaux clercs) dont nos " États " (en fait comités de gestion des intérêts des dominants) se gavent : hauts commis, consultants, conseillers, éminences grises. Les milieux finance-busines téléguident lois et décisions étatiques. Il faut toujours davantage socialiser les coûts et privatiser profits et privilèges (James O’connor, The Fiscal Crisis of the State, 1973) pour maintenir richesses des uns et pouvoir des autres.
Le " Travail " accaparé par des minorités arrogantes
Napoléon disait qu’un État qui dépend des banques (il dirait aujourd’hui finance-business) n’est maître ni de ses décisions ni des intérêts qu’il défend.
L’ampleur grandissante des inégalités sociales (Inequality for All de R. Reich ; inquiétude n° 1 de l’actuel Forum de Davos ; le site https://www.youtube.com/watch?v=QPKKQnijnsM …) due à cette collusion business-État, impose des politiques (dites économiques) d’enrichissement infini des riches qui, forcément, se fait au détriment de la nature, du salariat et des services publics (Oxfam 2014 : la fortune des top 85 mondiaux équivaut à l’avoir de 50% des habitants de la planète ; une journée de nos 100 tops PDG égale le revenu familial moyen annuel canadien).
Quand un tel milieu qui prétend détenir le savoir bénéfique à tous (un clergé) s’acoquine, pour des intérêts égoïstes, aussi étroitement avec le milieu des décideurs publics (managers du privé devenant ministres et vice et versa… comme jadis cardinaux et chanceliers ; révélations de la Commission Charbonneau …) il n’y a ni démocratie ni laïcité.
La frustration populaire monte et exige des boucs émissaires. On peut aisément l’abreuver de démagogie, de coupables tout désignés, de diversions de basse politique. Mais demeure le problème de fond : des richesses communes scandaleusement accaparées par des minorités arrogantes. Donc : la laïcité, bien sûr, mais d’abord la vraie, celle qui sépare tout clergé, quel qu’il soit, de l’État. Les kippas, kirpans, croix et tchadors… ne sont qu’artéfacts secondaires et viennent bien après.
L’ampleur grandissante des inégalités sociales (Inequality for All de R. Reich ; inquiétude n° 1 de l’actuel Forum de Davos ; le site https://www.youtube.com/watch?v=QPKKQnijnsM …) due à cette collusion business-État, impose des politiques (dites économiques) d’enrichissement infini des riches qui, forcément, se fait au détriment de la nature, du salariat et des services publics (Oxfam 2014 : la fortune des top 85 mondiaux équivaut à l’avoir de 50% des habitants de la planète ; une journée de nos 100 tops PDG égale le revenu familial moyen annuel canadien).
Quand un tel milieu qui prétend détenir le savoir bénéfique à tous (un clergé) s’acoquine, pour des intérêts égoïstes, aussi étroitement avec le milieu des décideurs publics (managers du privé devenant ministres et vice et versa… comme jadis cardinaux et chanceliers ; révélations de la Commission Charbonneau …) il n’y a ni démocratie ni laïcité.
La frustration populaire monte et exige des boucs émissaires. On peut aisément l’abreuver de démagogie, de coupables tout désignés, de diversions de basse politique. Mais demeure le problème de fond : des richesses communes scandaleusement accaparées par des minorités arrogantes. Donc : la laïcité, bien sûr, mais d’abord la vraie, celle qui sépare tout clergé, quel qu’il soit, de l’État. Les kippas, kirpans, croix et tchadors… ne sont qu’artéfacts secondaires et viennent bien après.
Présentation de l'auteur : Omar Aktouf, Ph. D est Professeur titulaire en Management à HEC Montréal
Omar Aktouf est professeur titulaire en management à l'HEC Montréal. Outre ses articles de recherche, il est l'auteur de nombreux ouvrages originaux dans la discipline :
Aktouf O, Halte au gâchis (2013), Arak Editions
Aktouf, O. (2005). Le management entre tradition et renouvellement, Montréal, Gaëtan Morin, 4eme édition remaniée et mise à jour. (Ouvrage traduit en anglais, espagnol et portugais).
Aktouf O. (2005). La stratégie de l'autruche ; post-mondialisation, management et rationalité économique. Montréal, Ecosociété.
Aktouf O. (1987). Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations, Montréal-Québec: Presses des H.E.C. et Presses de l'Université du Québec. (Traduit en espagnol et en portugais).
En savoir plus sur l'auteur et HEC Montréal
Aktouf O, Halte au gâchis (2013), Arak Editions
Aktouf, O. (2005). Le management entre tradition et renouvellement, Montréal, Gaëtan Morin, 4eme édition remaniée et mise à jour. (Ouvrage traduit en anglais, espagnol et portugais).
Aktouf O. (2005). La stratégie de l'autruche ; post-mondialisation, management et rationalité économique. Montréal, Ecosociété.
Aktouf O. (1987). Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations, Montréal-Québec: Presses des H.E.C. et Presses de l'Université du Québec. (Traduit en espagnol et en portugais).
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