Le Temps des Valeurs

4.81 La raison d’être d'une entreprise est-elle un levier stratégique ?


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Le 22 mai 2019, l’Assemblée nationale a adopté la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Outre le plan d’épargne retraite, la loi PACTE permet d’intégrer la raison d’être d’une entreprise dans ses statuts. Encore faut-il comprendre ce qu’est une raison d’être et les enjeux de sa définition. Cet article se propose de faire le tour de ce sujet qui annonce peut - être une véritable métamorphose du rôle de l'entreprise dans un avenir plus ou moins proche.

Il a été écrit par : 

Laura Murazzano & Emeline Joly avec la collaboration de  Hanine Imane, Hicham Janati, Issam Boukhari, Youssef Belahrach, Youssef Krada, tous étudiants en 3° Année du programme Master en Management du Groupe ESC Clermont Business School. 

La vidéo à droite résume les points clés de leur article qui a été désigné par un Jury composé de professeurs du groupe, de 2 journalistes et des lecteurs des 4 Temps du Management comme un des 3 meilleurs articles du concours de futurologie organisé duirant le premier semestre. Un deuxième concours du même type sera organisé au cours du 2° semestre. Les 2 autres articles désignés seront prochainement diffusés. 
 
 

​Qu’est-ce que la raison d’être ?

Dans le rapport Notat-Senard, la raison d’être est définit de la manière suivante : " La raison d’être se définit comme ce qui est indispensable pour remplir l’objet social, c’est-à-dire le champ des activités de l’entreprise. La raison d’être fournira à la plupart des conseils d’administration un guide pour les décisions importantes, un contrepoint utile aux critères financiers de court terme, qui ne peut servir de boussole. La notion de raison d’être consiste à donner corps à la fiction juridique que représente l’entreprise. "
La loi PACTE quant à elle, définie la raison d’être comme étant " le motif, la raison pour laquelle la société est constituée. Elle détermine le sens de la gestion de la société et en définit l’identité et la vocation (étude d’impacts). La notion de raison d’être vise à rapprocher les chefs d’entreprise et les entreprises avec leur environnement de long terme. "
A travers ces définitions, nous comprenons que la raison d’être apporte à une entreprise un moyen de constituer une vision long-terme. Celle-ci guide les choix de l’entreprise, structure l’entreprise et prend en considération la société dans ses actions. De même, elle permet d’enrichir l’entreprise d’un sens et de la notion de responsabilité dans ses activités.
La raison d’être peut être adoptée suite à un vote des actionnaires, ou bien elle peut simplement être communiquée dans les supports de communication (site web, plaquettes, affiches). Ce choix de communication est également légal et a une valeur juridique. Quel que soit le support de communication, il s’agit d’un engagement de la part de l’entreprise.
 

La raison d’être : une nouveauté ?

La notion de " raison d’être " n’est apparue que récemment au sein de la société française. Cependant, le concept " d’entreprise sociale " a émergé en Europe au début des années 1990, sous une impulsion Italienne (loi offrant un statut spécifique aux coopératives sociales en 1991). En 2002, le Royaume-Uni souhaite promouvoir les entreprises sociales et lance une " Coalition for Social Enterprise " et crée une " Social Enterprise Unit ". En 2010, les Etats-Unis créent une nouvelle forme juridique, la " Benefit Corporation ". Ensuite, sont apparues la " Social Purpose " et la " Public Benefit Corporation ". En 2019, plus de 180 dirigeants, dont les chefs de Walmart et de JPMorgan Chase, ont renversé les principes fondamentaux du rôle de l’entreprise installés depuis au moins trois siècles. Ils ont promis que l'objectif de leur entreprise ne se limite plus à servir les actionnaires, mais aussi les consommateurs, les employés, les fournisseurs et les collectivités. "Bien que chacune de nos sociétés individuelles serve ses propres objectifs, nous partageons un engagement fondamental envers toutes nos parties prenantes ", a déclaré la déclaration signée par 181 PDG. "Nous nous engageons à leur apporter une valeur ajoutée, pour le succès futur de nos entreprises, de nos communautés et de notre pays."
 

La notion de raison d’être peut donc paraître novatrice, mais le concept sous-jacent d’entreprise à rôle social est bien ancien. Déjà en 2005, Gérard Charreaux affirmait dans « Pour une gouvernance d’entreprise comportementale, une réflexion exploratoire… », que « l’entreprise est un acteur de la société et qu’elle doit contribuer à construire le monde de demain ». Selon lui, l’entreprise doit redéfinir son rôle au sein de la société et réinscrire dans sa mission une dimension non plus seulement économique mais aussi éthique et politique. L’entreprise doit inclure dans sa stratégie, une réflexion sur l’éthique de l’avenir. Cette réflexion doit conduire l’entreprise à placer au cœur de ses principes d’action, des valeurs susceptibles d’apporter un éclairage moral à ses choix et à ses comportements sociétaux. Nous retrouvons bien ici, la définition de la raison d’être.
 

Ainsi, cette notion qui aurait pu apparaître comme inédite ne l’ai pas. C’est réellement entre 2018 et 2019 que nous percevons sa réelle émergence. Pourquoi cet essor aujourd’hui ?
 
Selon une première hypothèse, le chercheur Stéphane Vernac (conférence PROFILE, 2019), estime que l’instauration grandissante de la raison d’être dans les entreprises est notamment due à l’évolution de son contexte. En effet, de plus en plus de faits marquants comme les catastrophes naturelles, conduit à une prise en compte de l’impact que produit l’activité d’une entreprise. Ceci pourrait alors s’apparenter au développement durable qui a connu une progression de sa définition suite avec les changements majeurs qui ont marqués l’histoire.
 

Les entreprises sont alors aujourd’hui obligées de s’adapter au changement d'attitude de la part de la population. 
L’indice de confiance des français envers les grandes entreprises privées est tombé à 36% en 2019. De même, si nous prenons le secteur de l’agriculture, « 57% des consommateurs français déclarent que la qualité des produits alimentaires est leur première motivation d'achat », selon une analyse InVivo (site entreprise InVivo, 2019). Les plus jeunes veulent travailler pour des entreprises qui prennent position sur les questions morales et politiques de l'heure. Alors, pour attirer et garder ses talents, l’entreprise doit savoir répondre à leurs attentes.
Le dirigeant de l’entreprise SOS soutient la thèse que la raison d’être n’est pas une conséquence des mutations que connaît le contexte dans lequel l’entreprise évolue. La raison d’être doit, selon lui, être la base initiale d’une entreprise. Elle n’est, ainsi, pas la cause des transformations actuelles et intervient par une volonté bien plus réfléchis en amont.
 

​Définir sa raison d’être : intérêt réel ou investissement inutile ?

Après ces explications, vous pourriez vous demander « La raison d’être est-elle bénéfique pour mon entreprise ? »
Dans un premier temps, nous serions tentés de répondre « oui ». En effet, la définition de la raison d’être de l’entreprise présente divers avantages.
 
La raison d’être encadre toutes les décisions relatives à la stratégie de l’entreprise ce qui va encourager une ouverture stratégique. Comme le souligne Martin Richer, sur son site web Management & RSE, si KODAK avait élaboré une raison d’être consistant à mettre la capture d’image au service de tous les utilisateurs, peut-être aurait-elle survécu à la mutation technologique de la photo argentique vers le numérique.

De la même manière, la raison d’être encapsule la stratégie auprès de tous les acteurs intéressés. Ceux-ci sont à la fois internes : les dirigeants, les salariés, les actionnaires, mais aussi externes à savoir les clients, les fournisseurs, l’Etat. Par exemple, la raison d’être de la CAMIF est «  Au bénéfice de l’Homme et de la planète ». Cette raison d’être implique les différentes parties prenantes. La CAMIF doit donc augmenter la part des produits fabriqués en France, pour être au service de l’emploi en France, et s’assurer de la recyclabilité des produits, pour être au service de la planète.
 
A cela s’ajoute, l’idée que les projets d’entreprises incluant les dimensions sociales et environnementales ne sont pas assurés d’aboutir, surtout lorsqu’un changement de direction s’opère. Ainsi, la définition de la raison d’être place les dimensions économiques, sociales et environnementales au même niveau d’importance. De même, cette mise en œuvre permet de garder le sens du projet tout comme ses objectifs.
 

De plus, définir sa raison d’être permet de resserrer les liens entre les parties prenantes. Effectivement, la raison d’être est co-construite avec les parties prenantes, en prenant en compte leurs enjeux et leurs préoccupations, ce qui permet de créer une chaîne de valeur solidaire. La définition de la raison d’être confère de la substance au projet d’entreprise. C’est une démarque qui permet de définir collectivement le principe de bienveillance. La raison d’être exprime la réalité de comportement, qui crée un ancrage dans le corps social, un sentiment d’identité. Cela permet alors de conférer de la substance au projet d’entreprise et donc de motiver les troupes. Cet engagement se poursuit sur le long terme, puisque la raison d’être n’est pas destinée à changer chaque matin. Ceci allant jusqu’à tenir compte de cette notion dans l’évaluation du travail des employés (actions individuelles pour le bien du collectif).
Cette notion permet à l’entreprise de revoir sa gestion prévisionnelle des emplois et compétences. Plus particulièrement, au niveau du recrutement. Les recruteurs peuvent véhiculer la raison d’être de l’entreprise, et donc ses valeurs. Ceci peut alors attirer de nouveaux talents et les fidéliser. De plus, le recrutement peut être plus efficace, puisque les candidats qui postulent sont (en principe) d’accord avec la raison d’être de l’entreprise. Ils auront donc plus de facilités à s’intégrer au sein des différentes équipes.
 

Définir sa raison d’être : une aventure risquée

Cependant, tenir compte des intérêts de chaque partie prenante peut s’avérer compliqué.  En effet, le fait de prioriser ou de favoriser le travail sur une partie prenante en particulier n’est possible que si l’entreprise a les ressources pour le faire. Cela concerne par exemple les moyens financiers. En effet, une entreprise qui souhaite recycler ses eaux usées doit avoir les financements nécessaires pour mettre en place ce changement. Les moyens fonctionnels font également partis des ressources nécessaires. En effet, définir sa raison d’être engage à maîtriser la chaîne de valeur, du début à la fin du processus. Une entreprise qui place l’écologie au cœur de sa raison d’être, mais qui n’a aucun moyen de vérifier la traçabilité des produits fournit par ses fournisseurs, et sur les matières premières utilisées, aura du mal à soumettre des preuves aux consommateurs.
Dans le cas d’InVivo, par exemple, les intérêts des consommateurs finaux ne peuvent être considérés que si ceux des producteurs sont analysés, écoutés et intégrer, soit en impliquant aussi une autre partie prenante (celle-ci, peut ne pas être prise autant en considération que celle mise en premier sur la liste des priorités). L’entreprise doit avoir, alors, cette capacité à engager chacun et à adapter ses processus, sa structure, ses axes de recherches, ses employés notamment. Tout en intégrant que l’acceptation et la mise en place d’un changement adapté est difficile.

Parallèlement, le fait d’inclure toutes les parties prenantes dans la définition de la raison d’être peut poser problème pour certaines entreprises. Effectivement, pour les multinationales, qui coordonnent diverses cultures, une raison d’être collective pourrait être difficile à définir. C’est ce qu’explique Agathe Cagé dans « La raison d‘être peut-elle vraiment être globale ? », dans la revue The Conversation. Elle exprime qu’il n’est pas si évident qu’une multinationale soit capable de définir sa raison d’être indépendamment de sa nationalité. Agathe Cagé compare les entreprises SNCF et Renault. Selon elle, pour SNCF, qui opère quasiment exclusivement sur le territoire français, la raison d’être apparaît comme une évidence. Il s’agit « d’apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète ». En revanche, pour le constructeur automobile Renault, définir sa raison d’être est plus délicat. « Rendre la mobilité durable et accessible à tous dans le monde », telle est leur raison d’être. Or, Renault est l’un des fleurons de l’industrie française, alors, selon Agathe Cagé, la raison d’être du groupe devrait être complétée par « en préservant prioritairement l’emploi en France et l’influence française ».

De même, pour les entreprises basées sur la performance économique, il pourrait être compliqué de passer d’une entreprise capitaliste à une entreprise qui a un autre modèle économique. A travers la raison d’être, les entreprises se positionnent sur des enjeux qui vont au-delà de la recherche du profit à court terme. La notion de lucrativité ne disparaît pas, mais l’objectif est d’associer résultats économiques et intérêt général. Certaines dépenses devront probablement être mises en œuvre à court terme, afin de pouvoir en récolter les bénéfices à plus long terme (bénéfices économiques ou éthiques).
Pour aller plus loin, nous pouvons nous demander « quelle raison d’être pourrait être définie par les entreprises d’armement ? ».
 

D’autre part, nous pouvons évoquer un obstacle phare à toutes les entreprises : la croyance des consommateurs. Aujourd’hui, les consommateurs sont de plus en plus vigilants sur les produits qu’ils consomment et se méfient des phrases marketing. Si vous avez bien suivi cet article, vous avez compris que la raison d’être n’est en aucun cas un slogan marketing. En revanche, pour le consommateur, cette prise de conscience de la part des entreprises peut être difficile à croire. Pratiquer une culture de la preuve est nécessaire, ce point sera explicité lors du dévoilement de nos conseils.
 

Ce point est également valable pour les salariés. Si les salariés de votre entreprise ne croient pas en votre discours, ils ne seront pas aptes à respecter les valeurs de l’entreprise. Selon une étude de l’Ifop pour No Com, Tikehau Capital et l’Essec, réalisée en 2019, 69% des salariés considèrent que la définition de la raison d’être s’agit uniquement d’une opération de communication. Pierre Giacometti, président et co-fondateur du cabinet No Com, explique que les salariés n’ont pas d’opposition de principe à la raison d’être, mais ils font preuve de vigilance. Toutefois, des chiffres sont un peu plus motivants. 75% des salariés jugent que présenter la raison d’être de l’entreprise dans laquelle ils travaillent est important. Plus intéressant encore, 77% estiment que, « au-delà de son activité économique, leur entreprise joue un rôle au sein de la société ». Un autre chiffre a retenu notre attention. Les salariés sont 59% à être prêts à contribuer à la réflexion si leur entreprise venait à se lancer dans un processus de définition d’une raison d’être. Ces ratios élevés démontrent l’engouement pour cette problématique.

D’autre part, la mise en place d’une raison d’être au sein de l’entreprise est source de changements. Nous savons que le changement est compliqué à manœuvrer. Là aussi, les processus entre les différents départements doivent être au point. Cela peut nécessiter des moyens supplémentaires.
 

Concrètement, comment s'y prendre ?

La notion de raison d’être est encore très récente dans la société, très peu d’entreprises ont osé se plonger dans le grand bain. Il n’existe pas de protocole exact pour définir la raison d’être de son entreprise. Cependant, nous pouvons vous donner quelques conseils pour mettre toutes les chances de votre côté.

Tout d’abord, c’est un exercice qui prend du temps. Selon les entreprises déjà lancées, la mise en place d’une raison d’être peut prendre jusqu’à dix-huit mois. Sachez donc faire preuve de patience et de persévérance. « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point » disait Jean de La Fontaine. Notre premier conseil est donc de laisser mûrir le sujet pour éviter le « mission washing », le slogan publicitaire. Si vous avez bien suivi cet article, vous avez compris que la raison d’être n’est pas un slogan marketing. La raison d’être ne se limite pas à une baseline, à une phrase choc. Par exemple, l’entreprise VEOLIA a publié un rapport de deux pages où est expliquée leur raison d’être. Il est important de créer toutes les briques, avant de créer la phrase qui inspire.

Comme expliqué précédemment, faire accepter le changement peut s’avérer difficile. En effet, la définition de la raison d’être peut engendrer des changements d’organisation et de fonctionnement. L’aspect de récompense collective pourrait alors être envisagé. Le renfort des liens au sein du groupe peuvent aussi être renforcés par le partage d’activités en dehors de l’entreprise, tels que les teams buildings.
L’engagement de l’entreprise doit être entier, envers toutes les parties prenantes ; le comité de direction, le conseil d’administration, les collaborateurs internes, les collaborateurs externes, les comités… C’est à vous de repérer vos parties prenantes et de trouver les mots pour les convaincre. Par exemple,  les financiers ont besoin de stratégie à long terme. De même, les actionnaires peuvent parfois être un frein si le débat n’est pas bien mené et que l’intérêt de la démarche n’a pas assez été explicité.
 

De même, il serait irrespectueux de ne pas prévenir vos parties prenantes. Imaginez l’accueil de la raison d’être au sein de votre entreprise, si le conseil d’administration l’apprenait par la presse… La communication est un pilier essentiel de la définition de la raison d’être, pour son implantation, mais aussi pour sa pérennité. Pensez à organiser des rencontres avec vos parties prenantes, afin de recueillir leurs pensées et avis. Mettre en place une boite à idées et des groupes de travail rassemblant différents services, peuvent s’avérer fructueux.
Justement, notre prochain conseil concerne le statut juridique. En omettant de définir votre raison d’être dans vos statuts (tel que le prévoit la loi PACTE), et en communiquant uniquement dessus, vos parties prenantes internes pourraient se sentir excluent. Vous risquerez de ne parler qu’à vos parties prenantes externes, ce qui n’est pas un bon point. De plus, quand elle est inscrite dans les statuts, la raison d’être devient opposable.
 

Aussi, il est très important de ne pas être trop ambitieux en définissant une raison d’être qui n’est pas possible de respecter. La raison d’être doit être crédible. Ce point nous conduit à expliciter la culture de la preuve.
Par exemple, la raison d’être du site d’éducation en ligne, Open Classroom, est « Making education accessible ». Cette raison d’être est crédible, car les cours sont publiés sur la plateforme en ligne. Cela permet des centaines de milliers de connexions, depuis des pays tels que le Gana. L’entreprise a également signé un accord avec pôle emploi, qui donne un accès privilégié aux chômeurs.

De même, InVivo se donne comme engagement de suivre le programme des Nations Unis, ceci comme preuve d’intégration de la raison d’être.
Cependant cette méthode connait une limite, puisque ce programme a connu quelques échecs (notamment dus par la difficulté d’obtenir un accord global dans la gestion des situations complexes).
Pour entretenir la culture de la preuve, n’hésitez pas à être transparent et à publier vos chiffres, vos actions et vos projections. De nos jours, nous avons besoin de voir pour croire. Ce conseil vaut pour les consommateurs, mais également pour vos employés ! Il faut que vous soyez capable de montrer que vous avez les moyens pour y arriver, des moyens concrets. Cependant, la raison d’être c’est ce que l’on veut être demain, donc pas de panique si vous ne l’êtes pas aujourd’hui.

Par ailleurs, une des contraintes du Star Model est la variation du contexte. Définir une raison d’être permet de prendre en compte le contexte, tout en ayant une ligne directrice. L’objectif est de transformer la contrainte en apport de sources d’innovation utiles au développement de l’organisation. Le contexte alors vu comme une contrainte devient un avantage pour la création de valeur car il est une force pour l’innovation.
 
Enfin, n’oubliez pas que la performance a trois piliers : économique, sociétal, écologique. La raison d’être doit synthétiser ce trépied, en créant une valeur combinée avec ces trois composants.

Et si vous vous sentez de sauter le pas, à la suite de la définition d’une raison d’être, vous pouvez devenir une société à mission  !

Deux personnes stratégiques interviewées

D’un côté la directrice de la communication d’une entreprise de plutôt grande envergure (personne que nous nommerons Madame D). D’un autre côté, un salarié, manager d’une équipe IT (que nous appellerons Monsieur A). Ces derniers ont des points de vus différents mais aussi complémentaires. C’est alors que ces deux témoignages nous permettent d’illustrer les recherches, réflexions préliminaires et d’aller plus loin dans l’étude présentée.

Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés à une entreprise qui est en conversion actuelle pour établir une raison d’être dans son entreprise. D’autant plus captivant qu’elle est exactement à la frontière entre mise en place d’une raison d’être avec les interrogations relatives et comment, pourquoi implémenter cette notion.

Selon Madame D, l'entreprise rencontrait un besoin de renforcer sa communication de marque employeur externe. L'objectif était de créer un contenu riche, au-delà des produits, en se basant sur la mission l'entreprise. Cela dans le but d'attirer de nouveaux talents.
Le conseil d'administration a alors challengé le service communication, en lui proposant de définir une raison d'être. Le but étant de repositionner le discours comme quelque chose d'engageant, de créer un discours "corporate".
De cette manière, la marque employeur interne serait également renforcée et les collaborateurs pourraient s'identifier et renforcer leur engagement auprès de l'entreprise. À terme, et dans l'idéal, les collaborateurs deviendraient des ambassadeurs de l'entreprise. Avec la mise en place de la raison d'être, es traits identitaires de l'entreprise serait renforcés. La raison d'être serait basée sur la culture de l'entreprise. Les engagements RSE sont déjà respectés, la raison d'être viendrait renforcer cette responsabilisation de l'entreprise. Comme le rappelle Madame D, il paraît évident d’éviter de décevoir et/ou de pas être en phase avec ce qui a été promis, discuter ensemble (au niveau des collaborateurs). Le risque est ici de créer des personnes qui deviennent des « détracteurs » et/ou se retourne et parle contre vous ».
 
Monsieur A, quant à lui, ne croit pas à la notion de raison d’être : ni à son intérêt pour la société, ni pour les parties prenantes. Il évoque la notion de communication qui ne se traduira pas par une réalité conséquente. Pour démontrer cet avis, Monsieur A prend plusieurs exemples.
Tout d’abord, selon lui, une personne ne sera pas plus motivée à choisir une entreprise dans ses candidatures pour un emploi. Elle cherchera partout où il est possible de postuler afin de trouver un travail pour « survivre ». De même, côté consommateur, un client n’achètera pas un produit parce qu’il est plus sain ou éthique, s’il est plus cher. Monsieur A donne l’exemple de Danone. La réponse du salarié face à la raison d’être mise en avant “Une  alimentation pour tous” est “qu’il faut quand même payer pour y avoir accès”. De plus, pour Monsieur A, avec ou sans raison d’être, l’objectif d’une entreprise est de faire du profit sans considération de l’humain. Par exemple, ce n’est pas parce qu’il y a une raison d’être que les salaires vont augmenter.
 
Il semblerait que Monsieur A ne soit pas contre la raison d’être mais plutôt qu’il ait des à priori sur la sincérité des dirigeants. Effectivement, ce dernier nous fait part qu’il a une raison d’être à titre personnel. Celle-ci s’agit d’un moteur pour lui-même. C’est ce qui guide sa manière de travailler  et la façon dont il mène son équipe. Cependant, il rappelle que ce qui s’applique à son équipe n’est pas nécessairement fait dans une plus grande mesure, tout dépend de la manière de fonctionner de chaque manager. Car lui a besoin d‘agir avec « bienveillance, aider son équipe à progresser, en permettant aux salariés d’apprendre et se former, de faire en sortes de garder de bonnes relations avec les collaborateurs et les clients.”
Ses valeurs et son fonctionnement ne veulent pas dire que la raison d’être comme définit pour une entreprise est pour lui crédible et envisageable à grande échelle. D’ailleurs, Monsieur A participe à des actions en lien avec la fondation de l’entreprise, qui œuvre à travers des projets humanitaires. Ici, il mentionne la limite de cette démarche par le fait qu’il s’agit d’initiatives qui sont trop loin par rapport à l’entreprise dont il fait partie, ce qui rend les réalisations moins impactantes dans le long-terme.
 
Après analyse de ces deux regards, nous comprenons que la vision de A est très « terre à terre ».  La thèse d’une simple action marketing mise en avant par Monsieur A justifie bien la perte de confiance des salaries envers les entreprises.  Des paroles sans réalisations concrètes qui conduiraient à l’échec dans la mise en place de la notion de raison d’être. C’est pourquoi la directrice de la communication, précédemment mentionnée, souhaite inscrire la raison d’être dans les statuts de l’entreprise. Ceci dans le but d’apporter plus de légitimité au discours.
En outre, un point commun que nous pouvons reconnaître entre les deux interviews est l’importance de la cohérence à apporter aux parties prenantes qui doit motiver les salariés.
 
 
Il restera néanmoins difficile de se projeter et de connaître les évolutions politiques, sociales, économiques et environnementales que connaîtra le monde. Des enjeux qui font parfois partie de l’histoire et de la difficulté à résoudre les questions complexes d’aujourd’hui.
 

Bibliographie

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Consulté le 7 octobre 2019

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