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Chroniques impertinentes & constructives

La fabrication sociale de la subjectivité néolibérale

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Introduction

La fabrication sociale de la subjectivité néolibérale
La subjectivité se réfère à la manière unique dont chaque individu perçoit, ressent, pense et interprète le monde qui l'entoure. Elle englobe les croyances, les émotions, les expériences, les souvenirs et les aspirations qui déterminent la perception qu'a une personne de sa propre réalité. Cette perception est influencée par une multitude de facteurs, notamment la culture, l'éducation, les expériences personnelles, ainsi que les facteurs biologiques et psychologiques intrapsychiques. 

En bref, la subjectivité est la qualité de ce qui est basé sur ou influencé par les émotions ou les opinions personnelles, plutôt que sur des faits objectifs ou des vérités universelles.

La subjectivité n'est pas seulement le résultat des premières interactions avec la mère ou le père, elle se construit aussi à travers des interactions sociales, culturelles et institutionnelles. 
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1. Les auteurs clés qui ont particulièrement explorés ce concept sont :

- Dans le champs de la sociologie:
 
- Émile Durkheim est mieux connu pour son concept de fait social, qui traduit une manière de penser, de se comporter ou de sentir qui est extérieure  à l'individu. Celui - ci est doué d'un pouvoir de coercition sur lui. Il suggérait que les individus internalisent ces "faits sociaux", ce qui façonne ensuite leur comportement, leurs croyances et leurs sentiments. Par exemple, la manière dont une société conçoit le mariage ou la mort influence la manière dont les individus la ressentent et se comportent vis-à-vis d'elle.

- Michel Foucault s'est concentré sur les relations de pouvoir et sur la manière dont elles influencent la production de discours et de savoir. Pour lui, les institutions (comme les prisons, les hôpitaux, les asiles) et les discours dominants (comme la médecine ou la science) déterminent largement ce qui est considéré comme "normal" ou "anormal". Ces constructions discursives façonnent la subjectivité des individus, car elles définissent les catégories et les normes selon lesquelles les gens s'identifient et sont identifiés.

- Pierre Bourdieu a développé le concept d'habitus, qui peut être décrit comme un ensemble de dispositions acquises, influencé par les expériences passées, qui orientent nos actions et nos pensées. Ces dispositions sont façonnées par les structures sociales, mais elles sont également flexibles et changeantes. Il a également introduit le concept de "champ", qui est un espace de jeu où les acteurs sociaux interagissent selon certaines règles. Ensemble, habitus et champ déterminent la manière dont les individus perçoivent le monde et se perçoivent eux-mêmes.

- Erving Goffman Goffman a étudié les interactions face-à-face et a proposé que la vie sociale est un "théâtre" où les individus jouent des rôles. Ces rôles sont définis par la société et influencent la manière dont les individus se présentent et se perçoivent. Sa théorie de la "mise en scène du moi" suggère que les individus modèlent constamment leur comportement en fonction des attentes des autres, révélant ainsi comment la subjectivité est formée en interaction avec la société.

- Judith Butler a mis en avant l'idée que le genre n'est pas une substance fixe, mais quelque chose que nous "performons" ou "jouons" continuellement dans nos interactions sociales. Elle suggère que notre compréhension de ce que signifie être "masculin" ou "féminin" est le résultat de pratiques culturelles et sociales répétées, plutôt que d'une essence naturelle ou biologique. Cela montre comment des catégories apparemment fixes comme le genre sont en réalité des constructions sociales.

-  George Herbert Mead  a présenté la notion de "soi social", qui émerge à travers l'interaction avec les autres. Selon lui, la compréhension que l'individu a de lui-même est le produit de ses interactions sociales. Il a distingué le "moi" (la réponse de l'individu aux attitudes des autres) et le "je" (la réponse spontanée et créative de l'individu à l'environnement). Cette distinction montre comment la subjectivité est à la fois influencée par la société et dotée d'une certaine autonomie.

Max Weber : Dans son ouvrage "L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme", Weber soutient que certaines formes de protestantisme, en particulier le calvinisme, ont favorisé une éthique du travail acharné, de la frugalité et de l'investissement économique. Cela a eu des implications pour la structure familiale, mettant l'accent sur la discipline, l'éducation et l'épargne pour l'avenir.

 Un des thèmes centraux de l'œuvre de Weber est la progression de la rationalisation dans la société occidentale. Il a vu le passage de la pensée magique traditionnelle à la pensée rationnelle moderne comme ayant des implications majeures pour toutes les institutions, y compris la famille. Avec la montée de la bureaucratie et de la rationalité, les décisions concernant la famille deviennent moins traditionnelles et plus calculées.
les_apports_des_theories_sociologiques_1_.m4a Les_apports_des_théories_sociologiques[1].m4a  (5.13 Mo)


- Dans le champs de l'anthropologie, on peut citer :
 
- Bronisław Malinowski: Dans des études comme "La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives", Malinowski a discuté des dynamiques de la sexualité dans les cultures insulaires du Pacifique, contestant certaines des affirmations de Freud sur la nature universelle de la famille œdipienne.
    
- Georges Devereux: Fondateur de l'ethnopsychanalyse, il a exploré la manière dont différentes cultures conçoivent et traitent la maladie mentale. Dans "L'angoisse à l'échelle sociale", Devereux examine les façons dont les cultures gèrent collectivement l'anxiété et le conflit.

- Claude Lévi-Strauss: . Dans "Les structures élémentaires de la parenté", il explore les lois universelles de la parenté et les compare à la théorie freudienne de la famille.

- Victor Turner a examiné les rites et les symboles culturels, en particulier dans les sociétés africaines. Dans ses travaux sur le Ndembu de Zambie, il décrit des rituels comme des "drames sociaux" où les tensions et les crises communautaires sont jouées et résolues.

- Mary Douglas: Connue pour ses travaux sur la symbolique de la pureté et de la saleté. Elle explore comment différentes cultures catégorisent ce qui est considéré comme propre ou sale, suggérant que ces classifications reflètent des ordres sociaux plus profonds et des anxiétés culturelles.

- Emmanuel Todd; Les théories d'Emmanuel Todd tentent de relier des structures familiales apparemment banales et quotidiennes à de grands mouvements historiques et culturels. Bien que ses idées aient été parfois contestées, elles ont apporté une contribution importante au débat sur les forces sous-jacentes qui façonnent l'histoire et la culture.
 
Système nucléaire absolu : Ce système est caractérisé par des familles nucléaires sans cohabitation étendue avec d'autres membres de la famille. Todd l'associe à l'individualisme et à une tendance à l'égalitarisme.

Système nucléaire égalitaire : Semblable au système nucléaire absolu, mais avec une importance accordée à l'égalité entre les héritiers, notamment en termes d'héritage. Cela se retrouve souvent dans les régions de petite propriété.

Système communautaire : Ce système est marqué par la cohabitation de plusieurs générations sous un même toit. Les aînés ont généralement une autorité marquée et il peut y avoir des inégalités dans l'héritage. Todd associe ce système à des valeurs collectivistes.

Système autoritaire : C'est une variante du système communautaire où seuls les fils aînés héritent des biens, renforçant l'autorité du père et les inégalités entre les frères.
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- Dans le champs  de la psychanalyse 

La psychanalyse suggère que la subjectivité est le résultat d'une interaction complexe entre des pulsions internes, des défenses, des expériences développementales, le langage et les relations avec les autres. Elle est à la fois profondément personnelle et intimement liée aux structures sociales et culturelles plus larges.:
 
- Le ça, le moi et le surmoi : Freud a divisé la psyché en trois instances. 
   - Le ça est la réserve des pulsions et des instincts, opérant selon le principe de plaisir.
  - Le moi tente de naviguer entre les désirs du ça et les exigences de la réalité extérieure, opérant selon le principe de réalité.
  - Le surmoi est la voix de l'autorité morale et des interdits, souvent assimilée à la conscience.
 
- Les stades psychosexuels : Freud a suggéré que la subjectivité se développe à travers une série de stades (oral, anal, phallique, latent et génital), où l'individu est confronté à différents conflits liés à ses pulsions érotiques. Les expériences et les résolutions (ou non-résolutions) de ces conflits influencent la formation de la personnalité adulte.

- Le complexe d'Œdipe: L'un des conflits les plus cruciaux dans le développement psychique est le complexe d'Œdipe, où le jeune enfant éprouve des sentiments érotiques pour le parent du sexe opposé et de la rivalité avec le parent du même sexe. La résolution de ce complexe est centrale pour le développement ultérieur de la subjectivité.

- Défense et refoulement : Le moi développe des mécanismes de défense pour gérer l'anxiété et les conflits internes. Le refoulement est l'un des mécanismes les plus notables, où les souvenirs et les désirs inacceptables sont poussés hors de la conscience.

- Rôle du langage : Pour Jacques Lacan, psychanalyste post-freudien, le langage joue un rôle essentiel dans la formation de la subjectivité. L'entrée dans le "Symbolique" (l'ordre du langage) façonne l'inconscient et la façon dont l'individu se situe par rapport aux autres.

- Le désir et le manque : Lacan a également mis l'accent sur le rôle du désir dans la formation de la subjectivité. Selon lui, le désir est toujours un désir de l'Autre, et la subjectivité est structurée autour d'un manque fondamental.

- Rôle de l'Autre : Tant Freud que Lacan ont souligné l'importance de l'Autre (qu'il s'agisse des parents, de la société ou du langage) dans la formation de la subjectivité. La reconnaissance et la validation de l'Autre sont essentielles pour le développement du sens de soi.
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2. Comment peut s'opérer l'articulation du social et du psychisme individuel

L'articulation entre la construction sociale et la sphère intrapsychique peut être comprise de la manière suivante :
 
- Origines de la subjectivité : Tandis que la psychanalyse s'intéresse à la manière dont la subjectivité se forme à partir de dynamiques internes, souvent liées à des expériences précoces, les sciences sociales s'intéressent à la manière dont la société et la culture influencent cette formation. La vraie subjectivité est un mélange de ces influences internes et externes.

- Influence de la société sur l'inconscient : Les normes et les valeurs de la société peuvent influencer l'inconscient d'un individu. Par exemple, des normes sociales concernant la sexualité peuvent influencer les désirs et les défenses d'une personne à un niveau inconscient.

- Externalisation des conflits internes : Les individus peuvent projeter leurs conflits internes sur la société. Par exemple, un individu ayant des sentiments d'infériorité peut adhérer à des idéologies suprémacistes pour compenser.

- La société comme espace de transfert : De la même manière que les patients en psychanalyse peuvent transférer leurs sentiments sur l'analyste, ils peuvent également transférer leurs conflits internes sur des institutions ou des groupes sociaux.

L'articulation entre la construction sociale et la sphère intrapsychique est complexe. Tandis que les structures et les normes sociales influencent notre subjectivité, notre monde interne – avec ses désirs, ses conflits et ses défenses – donne également forme à notre expérience du monde social.
articulation_social_intrapsychique_1_.m4a Articulation_social_intrapsychique[1].m4a  (1.91 Mo)


3. Articulation capitalisme et structure psychique des individus

Le lien entre le capitalisme et la structure psychique des individus est un sujet complexe qui a été abordé par de nombreux penseurs depuis l'émergence du capitalisme moderne. La manière dont le capitalisme influence, façonne ou est façonné par les structures psychiques individuelles peut être abordée sous divers angles :
 
- Aliénation : Karl Marx a été l'un des premiers à discuter de la manière dont le capitalisme peut aliéner les travailleurs de leur travail, de leurs produits, d'eux-mêmes et des autres. Cette aliénation peut engendrer des sentiments d'isolement, d'insatisfaction et de déconnexion d'avec la réalité.

- Désir et consumérisme : Le capitalisme, en particulier dans sa forme consumériste, stimule et exploite constamment le désir individuel pour les biens et les services. Les individus sont encouragés à identifier leur valeur personnelle à travers la consommation, ce qui peut créer une insatisfaction chronique, car les désirs matérialistes sont rarement satisfaits de manière permanente.

- Névrose de performance : La compétitivité inhérente au capitalisme et l'importance accordée à la productivité et à la performance peuvent conduire à ce que certains appellent une "névrose de performance", où la valeur de l'individu est constamment mesurée en termes de réussite et de productivité.

- Standardisation de l'identité : La logique du capitalisme tend à favoriser la standardisation pour maximiser l'efficacité. Cela peut se manifester dans la culture populaire, où certaines normes de beauté, de comportement ou de réussite sont promues au détriment de la diversité individuelle.

- Insecurité et précarité : Dans de nombreux systèmes capitalistes, en particulier avec la montée du néolibéralisme, il existe une précarité croissante pour les travailleurs. Cette insécurité économique peut conduire à l'anxiété, au stress et à d'autres troubles psychologiques.

- Freud et la civilisation : Sigmund Freud, dans "Malaise dans la civilisation", a exploré les tensions entre les désirs individuels et les contraintes de la société. Il a suggéré que la civilisation, en réprimant certaines impulsions, génère du malaise et de la névrose. Bien que Freud ne se concentre pas spécifiquement sur le capitalisme, ses idées peuvent être appliquées au capitalisme en tant que force dominante de la civilisation moderne.

- La société du spectacle : Guy Debord, dans son travail sur "La Société du Spectacle", a examiné comment le capitalisme moderne crée une société où les relations authentiques entre les individus sont remplacées par des relations avec des images et des marchandises. Cette médiation par des images peut avoir des implications profondes pour la psyché individuelle.

- Individualisme et isolement : Le capitalisme est souvent associé à l'individualisme, où l'accent est mis sur l'autonomie personnelle et la réussite. Cependant, cela peut parfois mener à un sentiment d'isolement, où les relations communautaires et collectives sont affaiblies.
 
Le capitalisme, en tant que système économique et culturel, a une influence profonde sur la manière dont les individus perçoivent leur place dans le monde, leurs relations avec les autres et leur propre valeur. Les répercussions psychologiques de cette interaction sont vastes et continuent d'être un sujet de débat et de recherche.
capitalisme_1_.m4a Capitalisme[1].m4a  (4.05 Mo)


4. Un extrait du livre Capitalisme et colonisation mentale de David Muhlman (PUF, 2021)

La fabrication sociale de la subjectivité néolibérale
"Dans l’économie subjective constituée par l’entre-deux des processus psychiques inconscients et la réalité socioéconomique capitaliste, cela signifie qu’un circuit pulsionnel unique intègre l’agression, qui n’est pas un bouclage autonome d’énergie mais l’élément continu d’un flux général d’excitation et de dépense de la libido, circulant dans le champ social. Pris dans une demande d’amour déçue dans la réalité, car ratée du point de vue de l’attente régressive inconsciente impossible, le sujet frustré nourrit une agressivité qu’il investit d’un côté dans la compétition interne, de l’autre dans la lutte pour la consommation.

Le schéma suivant établit la représentation synthétique de la dynamique pulsionnelle du capitalisme avancé. Le sujet, investi dans une quête de reconnaissance managériale dans le champ du travail, fait dériver une part de sa frustration par l’acquisition dans le champ de la consommation ; la satisfaction obtenue n’est que temporaire, ce qui relance sans fin le cycle de la production et de la consommation.

Le sujet du capitalisme avancé est un être en tension, balloté de façon systémique entre ses attentes profondes et la réalité sociale, partagé entre des moments de tension et de stress intense, et la décompensation dépressive, une « fatigue d’être soi ». La sollicitation croissante et continue de l’individu par un travail engageant, l’hédonisme dominant et plus généralement le pousse-à-jouir de la consommation ont sans doute enclenché une mutation anthropologique au sens d’un relâchement des contraintes collectives, tel qu’avait su déjà en son temps le déceler Émile Durkheim à travers son concept d’anomie, qui désigne la diminution des moyens traditionnels de contrôle social avec pour conséquence le dérèglement subjectif. On peut regretter l’émergence de cet « homme sans gravité », et vouloir réinjecter de la « fonction symbolique » dans le champ social et subjectif, mais cette nostalgie est stérile à l’âge de la défaite des grands récits collectifs. "
muhlman_1_.m4a Muhlman[1].m4a  (4.66 Mo)


David Muhlman, docteur en sociologie


5. Le modèle tridimensionnel de Kaës

René Kaës est un psychanalyste français dont les travaux se sont particulièrement centrés sur la psychanalyse groupale et la dimension intersubjective de la psyché. Il a élaboré un modèle conceptuel qui cherche à articuler les dimensions intra, inter, et transsubjectives de la psyché. Cette conception se traduit par 3 dimensions qui sont constitutives de la psyché humaine: Intrasubjectif, l'intersubjectif et le trans subjectif qu'il défini ainsi 

1. Intrasubjective:
   - Cela se réfère à ce qui se passe à l'intérieur de l'individu, à ses processus psychiques internes. Cette dimension couvre les expériences personnelles, les mécanismes de défense, les fantasmes, les rêves, etc.
   - La dimension intrasubjective englobe la manière dont une personne intègre et donne un sens à ses expériences individuelles.

2. Intersubjective :
   - L'intersubjectivité concerne les interactions entre deux sujets ou plus. Elle porte sur les phénomènes qui émergent de ces relations, comme la communication, la projection, l'identification, la rivalité, etc.
   - Les dynamiques intersubjectives sont essentielles pour comprendre les relations humaines, les formations groupales, les transmissions intergénérationnelles, et d'autres interactions sociales.
   - René Kaës a particulièrement insisté sur la notion de "pacte dénégatif" dans les relations, un accord inconscient entre deux parties pour ne pas reconnaître et discuter certaines choses.

3. Transsubjective :
   - Cette dimension se réfère aux phénomènes qui dépassent l'individu et l'interaction dyadique. Elle concerne les influences culturelles, sociales, historiques et institutionnelles qui affectent les individus et les groupes.
   - C'est là que Kaës relie la psychanalyse à la sociologie, à l'anthropologie et à d'autres disciplines, en reconnaissant que la psyché est aussi formée et influencée par des structures et des processus sociaux plus larges.
kaes_1_.m4a Kaes[1].m4a  (2.65 Mo)


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