Le Temps des Equipes et des Projets

Le "brief / debrief": une petite routine qui peut tout changer


Depuis le XVIIIe siècle, les organisations ont souvent adopté des modes de management autoritaire, caractérisés par une grande directivité et une hiérarchie stricte. Ces pratiques n’ont pas été sans conséquences sur les individus qui les subissaient. Les collaborateurs ont appris à obéir, à suivre des consignes sans remettre en question les ordres donnés. Cet héritage a marqué des générations de travailleurs qui, lorsqu'ils sont au travail adoptent des attitudes régressives inhibant leur capacités à prendre des  initiatives et à réprimer leur créativité. 

Cependant, à partir des années 2005, l’environnement économique a subi des bouleversements majeurs, notamment avec la fin des quotas d’importation en France. Les frontières économiques sont devenues poreuses, et les marchés locaux se sont retrouvés inondés de produits fabriqués venus du  monde entier. Cela a été appelé "La mondialisation". 

Ce changement brusque a rendu l’environnement Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu (VICA), un acronyme qui décrit parfaitement les nouveaux défis auxquels les entreprises ont dû faire face. Dans ce contexte, l’ancien modèle de gestion autoritaire et directif est devenu obsolète. Il fallait désormais des collaborateurs plus autonomes et responsables, capables de s’adapter rapidement à ces nouvelles réalités.

Cependant, cette autonomie ne peut pas être décrétée. Elle ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des managers ou sur un simple changement d’organisation. Les collaborateurs, habitués à obéir et à inhiber leur pouvoir d’action, doivent réapprendre à prendre des initiatives. Leurs années de soumission ont créé des chaînes aliénantes qu’ils doivent désormais dépasser  pour devenir plus responsables et plus créatifs.

C’est dans cette perspective de libération et de responsabilisation que nous avons observé une initiative originale mise en place par un chef de pôle dans une grande entreprise du secteur de l’électricité. Cette expérience est intéressante car elle ne repose pas sur des théories abstraites, mais part du quotidien pour redonner aux acteurs la capacité à développer leur responsabilité. Ce chef de pôle a décidé de revisiter un outil simple et largement répandu dans les organisations : le brief et le débrief. Pratiqués quotidiennement, ces moments d’échanges ont été réinventés pour responsabiliser les équipes et leur redonner du pouvoir d’action.

Le chef de pôle a initié ce que l’on appelle aujourd’hui le Brief / Débrief inversé. Dans cette approche, ce ne sont plus les managers qui imposent les directives et évaluent les résultats de manière unilatérale. Au contraire, ce sont les collaborateurs eux-mêmes qui préparent le brief en identifiant les risques, les obstacles et les priorités.

Lors du débrief, ils font un retour sur les résultats obtenus, analysent les difficultés rencontrées et proposent des solutions pour améliorer les performances futures. Les managers, quant à eux, deviennent des facilitateurs, accompagnant les équipes dans cette prise de responsabilité.

Ce changement, bien que subtil en apparence, permet de transformer en profondeur la dynamique de travail. Il redonne du pouvoir aux collaborateurs, les incite à prendre des initiatives et leur permet de s’approprier les défis qu’ils rencontrent. Cette responsabilisation progressive des équipes a des effets positifs sur leur motivation, leur engagement et, in fine, sur la performance globale de l’entreprise.

Le Brief / Débrief inversé est ainsi un exemple concret de la manière dont des pratiques managériales simples peuvent, si elles sont repensées, contribuer à libérer les collaborateurs des chaînes du passé et à développer leur autonomie dans un environnement de plus en plus incertain et complexe.

Qu'est-ce que le Brief / Débrief inversé ?

Dans le monde professionnel, le brief et le débrief sont des étapes essentielles dans la gestion des tâches quotidiennes. Traditionnellement, ces moments sont pilotés par les managers, qui définissent les objectifs (brief) et évaluent les résultats (débrief). Mais que se passerait-il si nous inversions cette dynamique ? Le "Brief / Débrief inversé" propose de transformer cette routine managériale pour responsabiliser les équipes, améliorer leur autonomie et, in fine, leur performance. Cette pratique, bien que simple en apparence, peut entraîner des changements profonds dans la culture d’entreprise.

Le Brief / Débrief inversé repose sur un principe fondamental : donner aux chefs d’équipe la responsabilité de préparer eux-mêmes le déroulement du chantier. Il ne s’agit plus d’attendre des managers qu’ils dictent les étapes à suivre, mais d’inciter les équipes à identifier les risques, planifier le phasage du projet et analyser les points de difficulté. Ces éléments sont ensuite présentés aux managers lors d’un brief plus court, axé sur la facilitation plutôt que sur la direction..

En inversant les rôles, les équipes ne sont plus de simples exécutants mais deviennent acteurs du processus. Elles s'approprient les enjeux du projet, ce qui favorise une montée en compétences. Pour les managers, cela signifie moins de temps consacré à la préparation des briefs, leur rôle devenant celui de facilitateur : ils soutiennent les équipes en cas de difficulté mais ne dirigent plus directement chaque étape.

Les bénéfices du Brief / Débrief inversé

L’implémentation du Brief / Débrief inversé apporte plusieurs avantages majeurs :

1. Autonomisation et responsabilisation des équipes : Les collaborateurs deviennent proactifs et acteurs de leur propre sécurité et performance. Ils sont ainsi mieux préparés à anticiper les problèmes potentiels, ce qui se traduit par une réduction des erreurs et des accidents. En prenant les rênes du brief, ils développent une meilleure compréhension globale de leur environnement de travail..

2. Amélioration de l’engagement et de la motivation: Ce changement de paradigme renforce l’implication des équipes. Ils ne se contentent plus de suivre des directives, mais sont au cœur du processus décisionnel. Cela contribue à une meilleure satisfaction au travail, comme l'a montré une enquête menée auprès des collaborateurs d’Enedis, où un management plus collaboratif et responsabilisant est ressorti comme l’une des principales attentes.

3. Gain de temps et d'efficacité : Pour les managers, le brief traditionnel peut s’avérer chronophage, nécessitant de longues préparations. En adoptant cette pratique inversée, le temps gagné peut être réinvesti dans des activités à plus forte valeur ajoutée, comme le terrain ou l’accompagnement des équipes. Les gains sont non seulement en temps mais aussi en termes de sécurité et de performance globale.

4. Développement du leadership des managers : En passant d'un rôle directif à celui de facilitateur, les managers se concentrent davantage sur le développement des compétences de leurs équipes. Ils deviennent des leaders qui accompagnent, encouragent l’autonomie et valorisent les initiatives des collaborateurs. Cela participe également à installer progressivement une "culture juste", où les erreurs sont perçues comme des opportunités d’apprentissage et non des échecs. 

​Comment l'implémenter ?

La mise en place d'un Brief / Débrief inversé nécessite une certaine préparation. Voici quelques étapes clés :

1. Préparation et accompagnement des équipes : Il est essentiel d’accompagner les chefs d’équipe dans cette nouvelle posture. Ils doivent être formés à identifier les risques, à planifier les chantiers et à anticiper les obstacles. Cette montée en compétences doit être progressive, en commençant par des groupes tests, comme cela a été fait chez Enedis, avec des agents sélectionnés pour leur potentiel à devenir de futurs managers.

2. Facilitation et soutien managérial : Les managers jouent un rôle crucial dans cette transition. Ils doivent soutenir les équipes sans reprendre les rênes du processus. Cela implique de pratiquer régulièrement des feedbacks constructifs, afin d’encourager l’initiative et de valoriser les réussites des collaborateurs.

3. Évaluation des résultats et ajustements : La mise en place du Brief / Débrief inversé doit être accompagnée d’indicateurs de performance clairs. Parmi eux, la réduction du taux de chantiers annulés, une meilleure satisfaction client et une baisse des incidents de sécurité. Ces indicateurs permettent de mesurer les bénéfices concrets de cette pratique et de l’ajuster si nécessaire

La nécessité de faire appel à des objets transitionnels pour libérer les collaborateurs des chaînes aliénantes du passé

Le "Brief / Débrief" est un objet qui peut paraitre anodin. Il constitue cependant un véritable "Objets transitionnels" au sens de   Winnicott qui fait référence à ce terme pour désigner un objet qui aide l’individu à passer d’une phase de dépendance à une phase d’autonomie.

Appliqué au management, ce concept peut expliquer comment certains rituels ou routines, comme le brief et le débrief, peuvent aider les collaborateurs à se libérer d’anciennes pratiques aliénantes pour devenir plus autonomes et responsables.

Voici en quoi le "Brief / Débrief inversée peut jouer ce rôle transitionnel pour les collaborateurs :

 1. Il constitue un espace sécurisé pour expérimenter l’autonomie

L’objet transitionnel permet aux individus d’explorer de nouveaux comportements tout en maintenant un lien avec une forme de sécurité ou de contrôle. Le "Brief / Débrief inversé" joue ce rôle en offrant un cadre structuré et familier (le brief et le débrief existent déjà dans la plupart des organisations), mais qui invite à une nouvelle posture. Les collaborateurs ne sont plus de simples récepteurs d’instructions, mais deviennent acteurs de leur propre travail. Cela leur permet de tester leur capacité à s’auto-organiser tout en sachant que les managers restent présents en tant que facilitateurs. Cette sécurité relative facilite la transition vers une plus grande autonomie.

2. Il permet de faire rupture avec le modèle d'obéissance du passé:

Les pratiques de management autoritaires ont souvent plongé les collaborateurs dans une forme de "régression", en les rendant passifs, dépendants de la hiérarchie pour chaque décision. Le "Brief / Débrief inversé" permet de sortir de cette régression en incitant les collaborateurs à reprendre l’initiative. Le simple fait de diriger le brief, d’identifier les risques et d’analyser les performances les force à réactiver leur pouvoir d’action. Ce processus graduel de responsabilisation permet aux individus de rompre avec les schémas d’obéissance appris, tout en conservant un cadre de travail collectif.

 3. C'est une manière nouvelle de vivre un rituel connu depuis longtemps 

Le brief et le débrief, par leur fréquence et leur régularité, peuvent devenir des rituels symboliques qui marquent le passage d’une ancienne culture managériale basée sur la soumission à une nouvelle culture plus collaborative. En changeant la nature de ces rituels, on permet aux collaborateurs de s’adapter en douceur à ce nouveau paradigme. Ces moments de transition sont essentiels car ils représentent un apprentissage actif où les collaborateurs réinvestissent progressivement leur rôle d'acteur plutôt que de suiveur.

 4.  Il offre une expérience de   revalorisation  et de  confiance

Le "brief et le débrief inversé" permettent aux collaborateurs de montrer leur expertise, leur capacité à anticiper des problèmes et à proposer des solutions. En adoptant ce rôle actif, ils regagnent de la **confiance en eux-mêmes**, sentiment souvent perdu dans des environnements hiérarchiques stricts. Ce processus est essentiel pour **restaurer la valeur** de leurs compétences et pour se détacher de l’idée qu’ils sont simplement des exécutants sans marge de manœuvre. 

 5. Il favorise le passage de l'individualisme à la co - construction

Dans un management classique, les collaborateurs travaillent souvent de manière cloisonnée, exécutant des tâches précises sans comprendre les enjeux globaux. Le "Brief / Débrief inversé" encourage une co - construction entre les équipes et les managers. Ce dialogue permet aux collaborateurs de réintégrer un sentiment de communauté et de collaboration. L'objet transitionnel qu'est le brief inversé permet ainsi de passer de la solitude face aux ordres à une collaboration active et responsable dans la conduite des projets.

Le "Brief / Débrief inversé" constitue ainsi un objet transitionnel en ce sens qu’il offre aux collaborateurs une opportunité de réécrire leur rôle au sein de l’entreprise. En permettant un passage progressif de la passivité à l’autonomie, il les aide à sortir d’une **régression managériale** pour s’engager dans une dynamique d’émancipation et de responsabilisation. À travers ce rituel quotidien, les collaborateurs expérimentent de nouvelles postures, réactivent leur pouvoir d’action et prennent confiance dans leur capacité à co-construire les succès de l’organisation.

Conclusion

Le Brief / Débrief inversé est une petite révolution dans les pratiques managériales quotidiennes. En responsabilisant les équipes et en changeant le rôle des managers, cette pratique favorise l’autonomie, l’efficacité et l'engagement des collaborateurs. Un simple changement de posture peut transformer en profondeur la culture d’une organisation, en renforçant la confiance, l'initiative et la performance collective. C’est une approche à tester progressivement, mais dont les bénéfices peuvent se faire sentir rapidement, aussi bien pour les équipes que pour l’entreprise.


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