Par Jean-Jacques Pluchart
Le contrôle et la communication de gestion sont définis comme des discussions – des accounting talks - sur les performances de l’entreprise, mais ils semblent être de plus en plus soumis à des incitations au « silence ». Si la fonction et le langage du contrôle contribuent à l’exercice du pouvoir et à la prise de décision, les dernières recherches sur la transparence dans le management, montrent que la non-information ou la sous-information devient un mode essentiel de gestion des risques et donc, une nouvelle source de création de valeur pour des raisons à la fois stratégiques et opérationnelles. Ce droit au silence des contrôleurs et des auditeurs varie évidemment selon les niveaux hiérarchiques des managers des entreprises et selon les implications de leurs parties prenantes. Il est généralement limité vis-à-vis des administrateurs, des dirigeants et des autorités publiques (auditeurs légaux, administrations fiscale et sociale…) et plus souple vis-à-vis des autres cibles de l’information de gestion.
Les motifs les plus fréquemment invoqués pour éviter de communiquer certains indicateurs de gestion, sont le manque de données valides ou régulières, ainsi que la volonté de simplifier les tableaux de bord ou de faciliter la compréhension de phénomènes complexes. Un autre argument justifiant l’absence d’information de gestion, est le souci de ne pas dévoiler des objectifs ou des projets stratégiques, des recherches déjà avancées ou des secrets d’affaires non protégées. Un autre facteur moins invoqué mais de plus en plus observé, réside dans la volonté de ne pas communiquer sur des « secrets publics » ou « collectifs » couvrant des sujets sensibles (conflit ou malaise social, risque de licenciement ou de faillite, non-respect de la conformité, comportement inapproprié…).
Depuis les années 2010, les analyses des déclarations de performances extra-financières (DPEF), des rapports climatiques, des rapports intégrés et des rapports de durabilité des entreprises ont montré qu’ils présentent de multiples formes d’évitement, de dissimulation ou d’oubli. Les derniers rapports de l’Autorité des Marchés Financiers constatent que le niveau global des informations communiquées depuis 10 ans, a bien progressé mais que les méthodes et les données des sociétés cotées étaient encore hétérogènes, et surtout, insuffisamment robustes, tracées et suivies. L’AMF observe que pour ces raisons, les indicateurs ESG ont encore un moindre impact sur les marchés que les indicateurs purement financiers.
Les critiques les plus récurrentes à l’encontre du « silence des rapports » portent sur leur caractère orienté, étant rédigés dans le seul but de défendre la réputation d’une entreprise ou la légitimité d’un projet (O’Donovan, 2002), à répondre à une campagne de presse ou à influencer certaines parties prenantes par des messages relevant du nudging ( Spence, 2007). D’autres recherches révèlent les intentions de certains émetteurs de masquer ou de minimiser les impacts sensibles de nature écologique (notamment des pollutions) ou social (notamment des conflits sociaux) et de ne communiquer que sur les impacts positifs de leurs activités (green ou social washing) ou de se contenter de « rapports de façade » selon Cho et al (2015) et Diouf et Boiral (2017). Les entreprises les plus exposées à des critiques sont généralement celles qui communiquent le plus sur leurs actions en faveur de la conformité écologique et sociale, et/ou qui recherchent des labels ISG et diligentent des audits et des certifications de leurs rapports (Mori et al, 2014).
A partir de 2024, il est probable que le manque de transparence résultera également de la difficulté pour les entreprises à répondre aux nouvelles règles du reporting de durabilité imposées par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Si les entreprises peuvent généralement construire des indicateurs mesurant la matérialité financière, elles auront les plus grandes difficultés à répondre au principe de la double matérialité. La première approche priorise la mesure et la prévention des risques financiers encourus par l’entreprise pour non-respect de l’Environnement, de la Société et/ou des règles de Gouvernance (ESG) ; la seconde s’efforce de concilier la mesure de ces risques et l’évaluation des impacts sur la société civile et la planète. Suivant la perspective financière, l’entreprise gère ses propres risques financiers et extra-financiers, et suivant la perspective « impact », elle doit évaluer les externalités positives et négatives supportées par toutes ses parties prenantes. Emmanuel Faber, président de l’ International Sustainability Standards Board , dénonce le « simplisme et les illusions » de la double matérialité et l’incapacité des entreprises à mesurer précisément les impacts de leurs activités sur les écosphères de la planète et de la société civile.
Ces observations montrent que « l’image fidèle de l’entreprise » qui fonde le contrôle et la comptabilité financière (accountancy) ne peut être convertie en « image responsable » grâce à la comptabilité extra-financière (accountability) que si est repensée la notion de « « silence » en management.
Les motifs les plus fréquemment invoqués pour éviter de communiquer certains indicateurs de gestion, sont le manque de données valides ou régulières, ainsi que la volonté de simplifier les tableaux de bord ou de faciliter la compréhension de phénomènes complexes. Un autre argument justifiant l’absence d’information de gestion, est le souci de ne pas dévoiler des objectifs ou des projets stratégiques, des recherches déjà avancées ou des secrets d’affaires non protégées. Un autre facteur moins invoqué mais de plus en plus observé, réside dans la volonté de ne pas communiquer sur des « secrets publics » ou « collectifs » couvrant des sujets sensibles (conflit ou malaise social, risque de licenciement ou de faillite, non-respect de la conformité, comportement inapproprié…).
Depuis les années 2010, les analyses des déclarations de performances extra-financières (DPEF), des rapports climatiques, des rapports intégrés et des rapports de durabilité des entreprises ont montré qu’ils présentent de multiples formes d’évitement, de dissimulation ou d’oubli. Les derniers rapports de l’Autorité des Marchés Financiers constatent que le niveau global des informations communiquées depuis 10 ans, a bien progressé mais que les méthodes et les données des sociétés cotées étaient encore hétérogènes, et surtout, insuffisamment robustes, tracées et suivies. L’AMF observe que pour ces raisons, les indicateurs ESG ont encore un moindre impact sur les marchés que les indicateurs purement financiers.
Les critiques les plus récurrentes à l’encontre du « silence des rapports » portent sur leur caractère orienté, étant rédigés dans le seul but de défendre la réputation d’une entreprise ou la légitimité d’un projet (O’Donovan, 2002), à répondre à une campagne de presse ou à influencer certaines parties prenantes par des messages relevant du nudging ( Spence, 2007). D’autres recherches révèlent les intentions de certains émetteurs de masquer ou de minimiser les impacts sensibles de nature écologique (notamment des pollutions) ou social (notamment des conflits sociaux) et de ne communiquer que sur les impacts positifs de leurs activités (green ou social washing) ou de se contenter de « rapports de façade » selon Cho et al (2015) et Diouf et Boiral (2017). Les entreprises les plus exposées à des critiques sont généralement celles qui communiquent le plus sur leurs actions en faveur de la conformité écologique et sociale, et/ou qui recherchent des labels ISG et diligentent des audits et des certifications de leurs rapports (Mori et al, 2014).
A partir de 2024, il est probable que le manque de transparence résultera également de la difficulté pour les entreprises à répondre aux nouvelles règles du reporting de durabilité imposées par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Si les entreprises peuvent généralement construire des indicateurs mesurant la matérialité financière, elles auront les plus grandes difficultés à répondre au principe de la double matérialité. La première approche priorise la mesure et la prévention des risques financiers encourus par l’entreprise pour non-respect de l’Environnement, de la Société et/ou des règles de Gouvernance (ESG) ; la seconde s’efforce de concilier la mesure de ces risques et l’évaluation des impacts sur la société civile et la planète. Suivant la perspective financière, l’entreprise gère ses propres risques financiers et extra-financiers, et suivant la perspective « impact », elle doit évaluer les externalités positives et négatives supportées par toutes ses parties prenantes. Emmanuel Faber, président de l’ International Sustainability Standards Board , dénonce le « simplisme et les illusions » de la double matérialité et l’incapacité des entreprises à mesurer précisément les impacts de leurs activités sur les écosphères de la planète et de la société civile.
Ces observations montrent que « l’image fidèle de l’entreprise » qui fonde le contrôle et la comptabilité financière (accountancy) ne peut être convertie en « image responsable » grâce à la comptabilité extra-financière (accountability) que si est repensée la notion de « « silence » en management.
Pour aller plus loin
Cho C.H. et al , Organized hypocrisy, organizational façades and sustainability reporting, Accounting, Organizations And Society ,2015/vol 40 .
Diouf D. et Boiral O., The quality of sustainability reports and impressions management – a stakeholder perspective, Journal Of Accouting, Auditing And Acoountability, 2017/VOL 30 (3).
Dupet K., Performative silences : potentiality of organizational change, Organization Studies, 40(5), 2019.
Drujon d’Astros C. & Morales J , The silent resistance : an ethnography study of the use of silence to resist acounting and managerialization , Critical Perspectives in Accounting, , 2023.
Mori Jr, Best P.J. et Cotter J, Sustainability reporting and assurance : a histotical analysis on a worl-wide phenomenon, Journal of business ethics, 2014/vol 120(1.
Patten D.M., The relation between environmental performance and environmental disclosure : a research note, Accounting, organizations and society, 2022/vol 27 .
Puyou F.R., Systems of secrecy : confidence and gossip in management accoutants ? Management Accounting Research , 40, 2018.
Spence C., Social and environmental reporting and hegemonic discourse, Accounting, , Auditing And Accountability Journal , vol 20(6), 2007.
Faire connaissance avec l'auteur
Diouf D. et Boiral O., The quality of sustainability reports and impressions management – a stakeholder perspective, Journal Of Accouting, Auditing And Acoountability, 2017/VOL 30 (3).
Dupet K., Performative silences : potentiality of organizational change, Organization Studies, 40(5), 2019.
Drujon d’Astros C. & Morales J , The silent resistance : an ethnography study of the use of silence to resist acounting and managerialization , Critical Perspectives in Accounting, , 2023.
Mori Jr, Best P.J. et Cotter J, Sustainability reporting and assurance : a histotical analysis on a worl-wide phenomenon, Journal of business ethics, 2014/vol 120(1.
Patten D.M., The relation between environmental performance and environmental disclosure : a research note, Accounting, organizations and society, 2022/vol 27 .
Puyou F.R., Systems of secrecy : confidence and gossip in management accoutants ? Management Accounting Research , 40, 2018.
Spence C., Social and environmental reporting and hegemonic discourse, Accounting, , Auditing And Accountability Journal , vol 20(6), 2007.
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