Chroniques impertinentes & constructives

Réforme du Code du travail : petit voyage en « absurdie »

par Fabrice Bien, Enseignant chercheur en droit des affaires et droit social au groupe ESC Clermont


Les deux derniers mois ont été riches d’informations, de chroniques, points de vue et débats sur le projet de réforme du Code du travail, lequel est présenté comme trop long, trop complexe et peu adapté à la réalité des entreprises. Et de fait, un projet de loi d’habilitation vient d’être adopté par le Parlement autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnances  des mesures qui relèvent de la loi.
 
Même si le contenu desdites ordonnances n’est pas encore connu dans son détail, tant la concertation avec les organisations syndicales que le contenu du projet de loi d’habilitation votée permettent d’apprécier la future réforme du Code du travail.
 
Cette réforme du Code du travail repose, notamment, sur quatre idées : la première est que l’assouplissement du Code du travail permettra la création d’emplois ; la deuxième est qu’il faut plafonner les indemnités de licenciement dépourvus de cause réelle et sérieuse ; la troisième est relative à l’inversion de la hiérarchie des normes en droit du travail ; la  quatrième concerne la fusion des instances représentatives du personnel.

Celles-ci méritent d’être examinées et analysées.

1° L’assouplissement du Code du travail sera favorable à l’emploi.

Afin de réformer le Code du travail, le même argument est repris en permanence : l’assouplissement du Code du travail permettra la création d’emplois.

Or, il semble bien que les économistes soient nettement moins enthousiastes en la matière, puisque certains attirent l’attention sur le fait que des réformes de grandes ampleurs provoquent dans un premier temps des effets négatifs avant de produire, peut-être, des effets positifs, et d’autres affirment qu’il n’existe pas de preuve que la libéralisation du marché du travail entraîne une baisse du chômage.

Par ailleurs, la note de conjecture de l’INSEE de juin 2017 intitulée « Que nous disent les entreprises sur les barrières à l’embauche ? » révèle que 47 % des entreprises enquêtées estiment qu’il existe des barrières à l’embauche en CDI ou en CDD de longue durée. Autrement dit, plus de la moitié des entreprises ayant fait l’objet de l’enquête considèrent, à l’inverse qu’il n’y a pas de barrières à l’embauche, soit que ces entreprises ont répondu non à la question posée, soit qu’elles ont considéré que la question était sans objet.

Cette note de conjoncture montre également que, contrairement à ce qui est affirmé par le Gouvernement dans son exposé des motifs du projet de loi d’habilitation (« Il s’agit de rendre les relations de travail plus prévisibles et plus sereines et de sécuriser les nouveaux modes de travail pour redonner confiance à tous, salariés comme employeurs (...) »), le coût du licenciement d’un salarié n’est une barrière à l’embauche que pour 10% des entreprises et que les risques juridiques associés au licenciement ne l’est que pour 14% des entreprises. Il ne faut pas  oublier non plus que la principale cause d’embauche reste le « cahier de commandes »…
 

2° Le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Avant d’évaluer ce plafonnement, il est nécessaire de rappeler ce qu’est un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le licenciement sans cause réelle et sérieuse signifie qu’un salarié a été licencié alors que l’employeur n’avait pas de motifs, donc de raisons pour le licencier. Plus précisément, le licenciement doit être prononcée pour un motif « inhérent à la personne du salarié ».

Les causes réelles et sérieuses de licenciement sont très diverses et, par exemple, peuvent consister soit en une faute du salarié, soit en un autre motif personnel (par exemple une insuffisance de résultat si des objectifs ont été fixés, le refus d’une modification du contrat par le salarié décidée par son employeur...).

Le projet de loi d’habilitation tel qu’il a été voté par le Parlement le 2 août 2017 dispose dans on article 3, 1°, a) la création d’un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts  alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une extrême gravité, notamment par des actes de harcèlement ou de discrimination.

Cette « barémisation » des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse interpelle en ce qu’elle risque, d’une part, d’avoir pour effet d’inciter les employeurs à licencier des salariés sans cause réelle et sérieuse et, d’autre part, de limiter considérablement l’indemnité obtenue par le salarié. Or, faut-il rappeler que le licenciement sans cause réelle et sérieuse est ni plus ni moins qu’une faute commise par un employeur qui n’avait pas de motifs, donc de raisons, de licencier son salarié ?

Cette disposition vise donc à avantager un employeur fautif et à désavantager un salarié victime ! En effet, le salarié est doublement victime, puisque non seulement il n’aurait pas dû être licencié, mais en plus il verra son indemnisation limitée !

Qui plus est, le projet de loi d’habilitation contient une malfaçon en ce que le texte vise les dommages et intérêts alloués au salarié. Mais de quels dommages et intérêts s’agit-il ? Lors d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié va pouvoir obtenir non seulement  des dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, mais également des dommages et intérêts pour préjudices distincts (il en va ainsi si le licenciement est, par exemple, intervenu dans des conditions vexatoires pour le salarié). La barémisation  des dommages et intérêts concerne-t-elle les seuls dommages et intérêts pour absence de  cause ou les deux types de dommages et intérêts précédemment mentionnés ?

Est-il nécessaire de rajouter que ce plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse est susceptible d’être contraire au principe de la réparation intégrale du préjudice en droit de la responsabilité civile ?

Enfin, il est permis de remarquer que le Gouvernement n’a nullement prévu le plafonnement des indemnités de révocation des dirigeants de sociétés (autrement dénommés « golden parachute ») ? Certes, un dirigeant de société n’est pas un salarié, mais tout de même...

3° Le droit du travail repose sur une hiérarchie des normes précise et complexe.

La loi d’habilitation votée le 2 août 2017 a pour objectif de voir reconnaître et d’attribuer une place centrale à la négociation collective, notamment la négociation d’entreprise, en  prévoyant que le Gouvernement pourra définir les domaines dans lesquels la négociation d’entreprise primera les conventions de branche ou les accords professionnels ou interprofessionnels.

Cette primauté est une amplification du rôle et de la place qui ont été donnés au fur et à mesure des années à l’accord d’entreprise par les réformes de 2004, 2008 et 2016. Elle résulte de la volonté du Gouvernement de permettre la prise de décision au niveau de l’entreprise, la négociation de branche étant jugée, dans un certain nombre de cas, comme trop éloignée de la réalité des entreprises entrant dans le champ d’application de la convention de branche.

Si c’est argument peut être entendu et compris, il ne doit pas masquer les conséquences négatives d’une primauté des accords d’entreprise. Tout d’abord, cela va donner davantage de possibilités aux employeurs de réduire les droits des salariés, la logique de bon nombre d’employeurs étant la logique du toujours moins, c’est-à-dire du moindre coût. Ensuite, cela va entraîner une fragmentation du droit du travail préjudiciable aux intérêts des salariés, complexifier la résolution des litiges  et rendre difficile l’enseignement du  droit. Par  ailleurs,

les accords d’entreprise ne sont pas soumis à un contrôle de légalité, et il est à craindre que  des employeurs en profitent en pariant sur le manque de compétence des représentants des salariés pour négocier des solutions qui seront moins favorables aux salariés au regard de ce qu’elles auraient pu être ou dû être. Cette possibilité sera sans doute amplifiée par l’instauration d’une consultation des salariés pour valider un accord à l’initiative de l’employeur.  Enfin,  la  primauté  de  l’accord  d’entreprise  risque  de  se  transformer  en « monologue social », l’employeur refusant les propositions des salariés pour imposer les siennes dans une logique de moins disant social.

4° La fusion des instances représentatives du personnel.

Dans son projet de loi enregistré le 29 juin 2017 à l’Assemblée Nationale, le Gouvernement justifie la fusion des instances représentatives du personnel par le fait que l’existence actuelle de trois instances et de délégués syndicaux « ne favorise ni la qualité du dialogue social, qui est éclaté et alourdi, ni la capacité d’influence des représentants des salariés, qui se spécialisent sur certaines questions mais sont privés d’une vision d’ensemble ».

L’étude d’impact énonce quant à elle que l’existence de ces trois institutions ont eu pour effet une « stratification/complexification des instances et à une forme d’ossification du dialogue social aboutissant à un fonctionnement cloisonné d’institutions dont le respect des attributions et du fonctionnement est souvent plus vécu comme la satisfaction formelle d’obligations légales que comme un levier de concertation de nature à concilier les attentes respectives de l’employeur et des salariés. »

Il faut préciser que dans un certain nombre d’entreprises, ces trois instances ont été réunies en une seule à travers la Délégation Unique du Personnel « élargie » (DUPE).

Le projet du Gouvernement est donc de généraliser cette délégation unique du personnel. Le présupposé de cette fusion de ces trois instances est l’amélioration du dialogue social. En réalité il est plus que permis d’en douter. Et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, la réunion des instances représentatives du personnel aboutit à une réduction des heures de délégation consacrées à l’exercice du mandat de représentant du personnel, et cette réduction des heures de délégation par salarié n’a pas d’autre effet que de dégrader les conditions de travail des représentants du personnel, et ce d’autant plus que seul les titulaires bénéficient légalement d’heures de délégation. Cette dégradation risque d’être encore plus durement ressentie si ce généralise la possibilité pour cette instance unique de négocier des accords  d’entreprise,  même  si  la  loi  d’habilitation  prévoie  que  l’instance  unique  devra
« disposer des moyens nécessaires à l’exercice de ces prérogatives ».

D’autre part, elle peut avoir pour effet de recréer dans les faits une division du mandat entre les fonctions relatives au comité d’entreprise, aux délégués du personnel et au comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et ce dans la mesure où les salariés élus ont des préférences en termes des fonctions à exercer et l’employeur est souvent demandeur d’un prise de position des élus quant à leur coloration, selon qu’elle est plutôt « comité d’entreprise » ou « comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail » ou « délégué du personnel. La fusion de ces trois instances pourrait avoir pour effet de perpétuer le cloisonnement contre lequel le Gouvernement veut lutter.

En outre, cette instance unique suppose qu’un effort considérable soit fait en faveur de la formation des salariés élus. En effet, pour prendre un exemple, la formation actuelle des élus du personnel repose beaucoup trop sur le budget de fonctionnement du  Comité d’entreprise qui va former les élus titulaires du CE et sur l’obligation légale de formation des élus du CHSCT qui n’a lieu qu’une fois tous les quatre ans pour une durée de trois jours pour les établissements de moins de 300 salariés. La situation se complique d’autant plus lorsque l’employeur, s’agissant de la formation des élus du CHSCT, propose aux élus une formation gratuite  et/ou  refuse  une  formation  dispensée  par  des  professionnels  (avocat  et  cabinet

technique spécialisé) aux motifs qu’elle est trop chère, alors que la proposition ne dépasse pas le montant maximum par salarié et par jour prévu par le Code du travail. Et, face au changement législatif permanent, il est plus que nécessaire que la formation des élus renforcée.
Le renforcement de la formation des élus dans le cadre d’une instance unique, et donc de leur compétence, passe nécessairement par la création d’une obligation légale annuelle de formation à la charge de l’employeur quelle que soit l’instance.

De ce qui précède, il est permis de considérer que la loi d’habilitation ayant pour objectif le renforcement du dialogue social contient des évolutions futures critiquables et qui seront contraires à l’intérêt des salariés. Certaines d’entre elles confinent à l’absurde en ayant probablement pour effet d’aller à l’encontre des objectifs recherchés.

Il apparaît, au global, que cette loi d’habilitation remplit en fait un objectif caché relevant  pour seule logique d’une réduction des coûts pour l’employeur. C’est ainsi que doivent être considérées la fusion des instances représentatives du personnel en une instance unique, la barémisation des indemnités de licenciement en l’absence de cause réelle et sérieuse et la primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. L’objectif de renforcer le « dialogue social » est finalement bien loin et l’intitulé de la loi d’habilitation bien trompeur.


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