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Les 4 Temps du Management

Le Temps de la Strategie

3.11 Stratégie de Service et Valeur de service par Philippe Zarifian


1. La valeur de service.

Le concept de " valeur de service ", que j'ai avancé dans cet ouvrage, peut être formulé d'une double manière :
- la valeur de service réside dans l'importance discriminante qu'un destinataire accorde à la transformation qui se trouve réalisée dans ses conditions d'activité et dans ses possibilités d'action, et donc au service qui lui est rendu.

- la valeur de service est le prix qu'un client est prêt à payer pour la transformation jugée par lui positive qui se trouve réalisée dans ses conditions d'activité et ses possibilités d'action, et donc pour le service qui lui est proposé, vendu et effectivement rendu.
Bien entendu, la première définition englobe la seconde. Dans la première définition, le destinataire peut être un client (particulier ou entreprise), mais tout autant une institution, un public, un usager du service public, etc. Dans la seconde, on ne s'intéresse qu'aux clients, au sein d'un univers concurrentiel.

Pour donner deux exemples concrets :

- le service procuré à un client particulier grâce à la fourniture d'un accès à Internet à haut débit ne réside pas dans la ligne ou dans la connexion, mais bien dans les nouvelles possibilités d'accéder à l'information, à la connaissance, à la communication, au loisir, en multimédia et avec confort, que lui offre cet accès. Dans la transformation que cela va opérer dans sa manière de vivre, pour autant qu'il parvienne à s'approprier ces possibilités.

- le service procuré à un malade dans un hôpital ne réside pas dans les soins qui lui sont prodigués, mais bien dans le rétablissement (complet ou partiel) de sa " santé ", dans la disposition de son corps, et dans les perspectives que cela va ouvrir de rétablir ou de modifier sa manière de vivre.

" Accès à Internet à haut débit " ou " soins " sont importants, mais ils ne peuvent être posés " en soi ". Ils ne sont que des voies empruntées pour générer le service, c'est-à-dire la transformation qui va effectivement bénéficier au destinataire, que ce dernier va s'approprier et apprécier comme telle. Il ne s'agit en aucun cas d'une nuance linguistique, mais de fortes différences dans la manière de considérer le service (au singulier).

Tous les malades, qui ont fait un séjour à l'hôpital, savent à quel point il est insupportable de n'être considéré que comme un objet, et de " subir " des soins, indépendamment du sens et de la portée que cela peut avoir pour soi-même, en tant qu'être humain.

De la même manière, il est totalement inutile de payer une possibilité technique d'accès à Internet à haut débit, si on n'en retire pas, effectivement, des possibilités d'ouverture sur différents mondes (de l'information, de la communication, etc.) que l'on ne possédait pas auparavant, à ce niveau de qualité. L'accès technique au haut débit n'a aucune signification " en soi ", et le client, même s'il a déjà contracté un contrat, posera jugement sur le service effectif - sur la qualité permanente de la connexion, sur la manière dont il pourra faire sien les nouvelles possibilités ainsi offertes dans la durée - dans l'usage de cet accès technique. Il jugera l'entreprise offreuse sur ce service, le seul qu'il lui importe de posséder. Il se posera cette simple question : qu'est-ce que ça a transformé pour moi (pour mes proches, etc.) ? Qu'est ce que ça m'a apporté ? Comment m'a-t-on accompagné lorsque je rencontrais des difficultés d'usage ?

La valeur de service n'est pas autre chose que ce jugement, et c'est sur sa base qu'une valeur monétaire peut être engendrée pour l'entreprise prestatrice, qu'une fidélisation peut se créer. Il est aisé de voir que cette valeur de service ne se réalise que si le destinataire oeuvre dans sa réalisation. Car un service, gratuit ou payant, n'existe que par l'appropriation que ce destinataire en fait et par l'accompagnement durable que le prestataire réalise. Si le client est incapable d'utiliser son micro-ordinateur connecté à Internet (ou le sous-utilise fortement par carence de compétences), ou si la connexion au réseau ne fonctionne pas, le service n'est pas rendu. Si la personne, une fois sortie de l'hôpital, n'arrive pas à s'approprier son nouvel état de santé, sombre dans la dépression, et/ou si un suivi et un appui médical, en cas de problème, ne sont pas réalisés, on voit que, là encore, le service n'aura pas été réellement rendu (ou que très partiellement). Le concept de service ainsi défini est donc exigeant. Il ne se vérifie que dans la durée. Mais tel est bien, me semble-t-il, ce qui est posé comme exigence dans la société d'aujourd'hui, en rupture forte avec la culture et les mesures de productivité industrialistes.

2. Cette définition est assez proche de celle donnée par Porter

Cette définition est assez proche de celle donnée par Porter : " La valeur est ce que les clients sont prêts à payer, et une valeur supérieure s'obtient, soit en pratiquant des prix inférieurs à ceux des concurrents pour des avantages équivalents, soit en fournissant des avantages uniques qui font plus que compenser des prix plus élevés ". Le service incarne ici ces " avantages uniques ", dès lors qu'une des entreprises offreuse est réellement capable de se distinguer de ses concurrents (de se différencier) dans le service qu'elle offre et réalise, et d'une manière qui sera appréciée comme telle par les clients. Il en est en réalité de même, dans un secteur hospitalier public, pour un médecin. Car tout malade sait différencier un bon d'un mauvais médecin, et cela ne se fait pas uniquement sur les actes techniques, mais bien sur l'approche globale et l'accompagnement que le médecin saura faire du patient dans toute la trajectoire de sa guérison.

Lorsque Porter évoque des " prix plus élevés ", il a raison : la qualité d'un service a un coût généralement supérieur, compte tenu des ressources, des capacités d'innovation et des compétences qu'il faut mobiliser. Mais en même temps, il est logique de vouloir limiter ces coûts. C'est de cette manière qu'on peut basculer d'un raisonnement en terme de valeur vers un raisonnement en terme de rentabilité. Quelles sont les voies pour limiter les coûts d'engendrement d'un service ?

Deux voies pour l'essentiel :
- une affectation judicieuse des ressources,
- une efficience dans leur utilisation.

Affectation judicieuse : bien des activités d'une entreprise ou d'une institution prestatrice peuvent s'avérer inutiles pour générer le service en question, ou, pour le moins, non différenciantes. Tout d'abord, et cela va de soi, l'expression " se centrer sur son métier " signifie " : choisir le ou les services sur lesquels l'entreprise a décidé de se centrer et donc ne retenir que les activités qui y concourent ". Je dis volontiers : le ou les services, car ceux-ci sont en nombre nécessairement limités. Si, du côté des modalités de prestation, on peut distinguer une pluralité de services (au pluriel), du type " service après-vente ", " services confort ", etc, du point de vue du service (au singulier), c'est-à-dire des transformations de base que l'on entend offrir dans le mode de vie des clients, les services sont peu nombreux. On peut sophistiquer et modifier une offre et apporter " plus de valeur ", mais cela se fera au sein d'une gamme de services déterminée, donc autour d'un nombre limité de valeurs de base, même si l'on tient compte de la différenciation des clientèles (du type : clientèle grand public, clientèle entreprise). C'est déjà une manière de penser la question des coûts : sur quoi se concentre-t-on ? Sur quel(s) services de base ?

Par ailleurs, toute organisation hérite d'un passé qui a solidifié et incrusté des activités, des modes d'organisation, des manières de raisonner et de faire qui ne sont plus pertinentes pour générer un service de qualité à des clients. En particulier, la vision " industrialiste " a en général développé des effets de centralisation, des fonctions, des cloisonnements qui s'avèrent sans raison d'être et qui " plombent " les coûts inutilement. La question de base est simple, dans son principe, même si son application mérite une analyse attentive : en quoi une activité ou un groupe de personnes concourent-ils, au sein de l'entreprise prestatrice, à générer la transformation positive dans les possibilités d'action et les conditions d'activités des clients réels (ou potentiels, lorsque le service s'appuie sur une innovation non-encore lancée sur le marché) ?

Si l'on ne peut répondre à cette question, il y a toutes chances pour que l'activité en question, et les ressources qui y correspondent, soient inutiles. Bien entendu, le concours peut être indirect. Par exemple, une fonction RH qui concourt réellement à élever la compétence des agents et encadrants, dans le sens d'un service perçu et apprécié comme tels par les clients, a un sens. Mais dans le cas inverse, elle n'en a pas. Mais affectation judicieuse, cela veut dire aussi : mettre les ressources nécessaires au bon endroit, au bon moment. Il est totalement faux de penser qu'une politique de réduction systématique des ressources (au sens où l'on parle de " tailler dans des ressources ", ou de " réduire des effectifs ") aboutit à une vraie réduction des coûts relativement à la valeur de service. Car une telle réduction systématique peut, tout à la fois, engendrer de nombreux coûts de dysfonctionnements (sans compter les coûts d'épuisement humain et de démotivation, lorsque la pression sur les agents devient trop forte), et laisser à nu des actions auxquelles pourtant les clients apporteraient une grande valeur. Par exemple : pour beaucoup d'internautes, l'installation d'un accès Internet à haut débit suppose une familiarisation, un accompagnement, un soutien de qualité, sans lesquels le service réellement rendu sera considérablement plus faible et difficile que ce qu'il pourrait être (parce que le client sous-utilisera considérablement ces possibilités, ou parce qu'il échouera dans ses tentatives).

Affectation judicieuse signifie donc une chose simple, et presque banale : affecter les ressources là où il faut. Pour certaines zones d'activité, il est inévitable, lorsqu'un service nouveau se développe, que ces ressources augmentent en quantité et se modifient en qualité. C'est d'ailleurs le sens de la remarque de Porter. Il n'existe donc aucune réponse automatique et dogmatique à la question de l'affectation judicieuse des ressources. Seul un examen raisonné permet d'y répondre.

Utilisation efficiente : l'affectation des ressources ne représente qu'une partie du problème des coûts. L'usage en détermine une autre facette, tout à fait discriminante. Ce n'est pas, en effet, le niveau absolu des coûts qui compte, mais les coûts relativement à la valeur générée, par unité de service (il faudrait dire désormais : par unité de client). Or, bien des coûts peuvent être réduits par une meilleure utilisation des ressources.

Et les deux leviers sont ici incontestablement :
- la qualité et l'efficience de l'organisation,
- la mobilisation et le développement des compétences professionnelles.

La démonstration n'est plus à faire que des gens compétents et motivés, même si leur rémunération est plus élevée, coûtent en réalité nettement moins cher, relativement à la satisfaction des clients et à l'efficience de l'organisation, que du personnel faiblement compétent. C'est une leçon que l'on redécouvre, peu à peu, sur les plateformes téléphoniques (après la grande mode des délocalisations).

3. La stratégie de service.

En quoi le concept de valeur de service peut-il modifier les acquis conceptuels et pratiques en matière d'analyse stratégique ? Nous reprendrons ici l'ouvrage de Porter, qui est à l'évidence la référence essentielle en la matière (succédant, avec succès, aux approches du type Boston Consulting Group).

Comme je l'ai indiqué, le concept de valeur de service introduit une parenté évidente avec une stratégie de différenciation concurrentielle. Elle suppose néanmoins d'être insérée dans une analyse précise des forces du marché (sur ce type de service de base) : analyse de la force des clients, des concurrents, des nouveaux entrants potentiels, des contraintes réglementaires, etc. C'est cette analyse qui permet de spécifier, non seulement ce qui peut être offert et rendu aux clients, mais en quoi une différenciation significative s'y trouve introduite par rapport aux offres concurrentielles, comment la maintenir et la renouveler. Sachant que les clients seront, bien sûr, les véritables arbitres. Néanmoins trois grandes différences doivent être introduites par rapport à Porter :

a) Porter publie son ouvrage, aux Etats Unis, en 1985, à une époque où l'on reste dans un raisonnement industrialiste. Porter ne parle jamais de service, mais toujours de produits. C'est sur et autour des produits que la différenciation doit se faire (différenciation sur la qualité des produits, sur la nouveauté technologique, sur un excellent marketing produit, etc.). Or, lorsqu'on bascule dans un raisonnement " service ", on voit aussitôt que l'approche doit changer : ce sur quoi le client jugera, ce n'est pas sur le produit, mais bien sur le service (donc sur l'usage du produit). Penser une stratégie de différenciation, c'est donc se poser la question : qu'est-ce que mon offre apporte de plus (qualitativement) dans la transformation du mode d'activité du client que les offres concurrentes, et comment cette différence peut être clairement perçue et appréciée par ce client ? Cela suppose aussi de se donner les moyens de connaître, voire d'anticiper, ces appréciations des clients (connaissance qui va bien au-delà des traditionnelles enquêtes de satisfaction). Pour éviter toute confusion, il me semble utile, en plus, d'opérer une distinction entre la qualité de la transformation et la qualité de la prestation qui autorise cette transformation. La qualité de la transformation est claire : c'est bien en quoi et sur quoi le mode de vie (pour un particulier), ou le mode de fonctionnement (pour une entreprise) sera modifié, et l'apport que cela peut représenter pour le client (du type " une vie meilleure "). La qualité de la prestation - que j'ai tendance à qualifier de " qualité logistique " - est importante, mais différente : respecter un délai, par exemple, c'est assurer cette qualité. Elle est indispensable et influe sur les jugements des clients, mais, dans la durée de la relation, elle est moins discriminante. Pour reprendre l'abonnement à un accès Internet haut débit, il est important, pour le client, d'être livré rapidement, mais il est encore plus important que cette connexion lui apporte réellement quelque chose. Il aura vite oublié le délai, mais il se rappellera quotidiennement de la qualité de la connexion, des possibilités d'échange et des contenus auxquels il peut accéder sur le Net. C'est pourquoi, quand on parle d'enquête de satisfaction clientèle, il faut soigneusement réfléchir aux questions que l'on pose, et savoir distinguer entre différents registres.

b) l'autre mutation concerne la pensée stratégique elle-même : comment cette pensée parvient-elle à sortir d'un raisonnement qui, depuis deux siècles, depuis que l'industrie est née, a toujours porté sur des produits et sur les technologies qui les soutiennent ? Qu'est-ce qu'une pensée stratégique orientée " service ", et que change-t-elle dans la manière de raisonner ? Je ne prendrai qu'un exemple pour illustrer le genre de question que cela pose. Si l'on raisonne " produit ", on peut dire qu'un nouveau produit va arriver sur le marché : le téléphone mobile de troisième génération. Mais si l'on raisonne " service ", on se demande : qu'est ce que cela peut (potentiellement) transformer dans les possibilités d'action et le mode de vie des clients (potentiels) ? Un des aspects évidents est d'avoir un accès haut débit à Internet sur un mobile. Toutefois, encore une fois, ce n'est pas l'accès haut débit qui compte, mais ce qu’il en sera fait. On voit que l'on peut adopter, sur cette question concrète, au moins deux positions :

- première position : on estime qu'il s'agit d'un service réellement nouveau, qui se distingue nettement de celui offert par l'accès actuel dominant par un micro-ordinateur, et que les clients percevront comme tel. Il est donc normal qu'une stratégie spécifique soit alors établie et développée, avec toutes ses conséquences (du type : ouverture d'un portail spécifique, etc.).

- deuxième position : on estime qu'il faudra offrir de nouvelles prestations, mais sur un service de base qui reste identique à tout accès à internet. Dans ce cas, il n'y a pas à élaborer une nouvelle stratégie, mais à développer et complexifier une stratégie déjà en place. Le choix entre ces deux positions n'est pas anodin.

c) Reste une troisième différence, tout à fait profonde : la manière de considérer l'organisation de l'entreprise ; Quand on lit ou relit l'ouvrage de Porter, on est frappé de voir à quel point sa vision de l'organisation reste industrielle (fordiste). La chaîne de valeur qu'il propose n'est jamais que l'enchaînement des grandes fonctions traditionnelles de l'entreprise, qui vont, d'amont en aval, de la recherche-développement, du marketing, jusqu'au service après-vente, en passant par la production, la commercialisation, etc. Et on retrouve les traditionnelles fonctions support, du type " fonction RH ". Rien de nouveau sous le soleil ! Or l'approche par la stratégie de service devrait conduire à modifier en profondeur ce découpage organisationnel.

4. J'ai proposé de distinguer 5 grandes macro-activités :

- connaître le client et son environnement de développement.

Aucune structure actuelle ne correspond complètement à cette activité. On pourra en trouver un morceau au marketing, à la vente, sur les plateformes téléphoniques, etc…, avec en général un déficit assez fort d'informations (de données structurées aptes à produire ces connaissances). Pourtant, dès lors que l'on se propose d'offrir et d'ajuster un service, il est logique de commencer par-là. Les outils actuels, en particulier le CRM, donnent aujourd'hui la possibilité technique de faire du " point à point ", donc de construire cette connaissance pour chaque client, y compris sur les marchés grand public (qui, du coup, cessent d'être des marchés dit de masse). Mais le problème central n'est pas celui de l'outil, mais de la conceptualisation, pleine et entière, de cette macro-activité et de son inscription dans l'organisation, en amont de toute la chaîne de valeur (donc en amont de la R&D et marketing), en consolidant les données pour pouvoir définir une stratégie sur des ensembles de clientèle.

- interpréter et comprendre ses problèmes et attentes quant au service.

Là aussi, aucune structure d'ensemble ne correspond à cette seconde macro-activité, que l'on laisse en général au vouloir des agents en contact avec les clients, ou localisée dans des services du type " écoute client ". Nous faisons une distinction d'avec la macro-activité précédente, car il ne s'agit plus ici de construire une connaissance préalable, mais d'engager la relation vivante avec le client, en tant qu'être spécifique et concret, en tenant compte de sa subjectivité ( de sa perception du service, de ses attentes, etc.), sachant que c'est bien lui, en tant qu'être humain concret (et non cible marketing abstraite) qui portera jugement sur la valeur de service. Il est certain que les différents front office préfigurent l'organisation d'une telle activité. Mais la dissémination de ces front office, de ces lieux de contact client, et le manque de systématisation de ces démarches de compréhension pose question quant à la cohérence de l'approche. Il serait logique que tous ces front office soient, sinon regroupés, du moins étroitement coordonnées (sachant que le client, lui, est un être unique).

- faire une proposition de solution (proposition de valeur de service), associée à un prix (ou un tarif), soumis à l'appréciation et la validation du client.

Cette troisième macro-activité est certainement celle qui est la mieux identifiée et organisée actuellement, puisqu'elle correspond, grosso modo, à l'activité commerciale. Ce qui change, c'est la manière de " prendre " l'activité commerciale. En effet, si l'on raisonne "service" et non plus " produit ", on voit que le placement et l'écoulement quantitatif des produits (du type Pack Wanadoo à France Télécom) n'ont de sens que par rapport au service généré pour les clients, donc par rapport à leur évaluation de ce service (qui ne peut être instantanée : elle dépasse largement le moment de l'acte d'achat). Cela suppose, par exemple, que l'argumentation des vendeurs se construise autour de la spécification du service à rendre au client, autour de la "proposition de valeur de service" qui conditionne le choix du " produit " qui sera le plus apte à soutenir ce service, et que les vendeurs soient animés et objectivés autour de la satisfaction des clients quant à ces propositions. Il est parfaitement possible que, dans l'organisation de l'entreprise, ce soit les mêmes personnes et les mêmes unités qui prennent en charge à la fois la deuxième macro-activité et cette troisième. Nous les avons toutefois distinguées parce qu'elles correspondent à des temps différents, dont le séquencement est important (par exemple : écouter et comprendre le client, avant de lui faire une proposition). Par ailleurs, si on a aujourd'hui les moyens de faire du point à point, une stratégie se doit d'opérer sur des consolidations, et donc de retrouver des concepts agrégés de " clientèles ". Il faut donc que des lieux précis et compétences existent pour opérer ces agrégations (qui sont tout autre chose que la déclinaison d'une démarche de cible clientèle dans un marketing produit)

- produire le service, donc réaliser la transformation ainsi définie et conclue avec le client.

Produire le service : cela ne saurait s'oublier ! Si l'on reprend le cas d'un accès à l'Internet haut débit, et si on le pense comme service, on voit que la production du service englobe, pour le moins, toute la qualité du réseau (et donc des connexions) et toute l'offre de contenu qui passe par les portails, pour la transformation de base.

- enfin, suivre et évaluer, dans la durée de la relation au client, la qualité de la prestation, son accompagnement et le recueil des jugements (évaluations) qu'il porte sur le service rendu.

On se rapproche ici des activités de SAV, mais là encore avec un renouvellement de l'approche. Tout d'abord, il me semble utile de revenir ici sur la différence, mais aussi la jonction, entre le service comme transformation et les services comme prestations, concourant à cette transformation. Le SAV, par exemple, relève typiquement d'un service de prestation, sur des renseignements, des signalisations et réparations de pannes, etc. Néanmoins, si on regarde ces services de prestation avec l'œil de la valeur de service, on s'aperçoit que la signification entière de ces prestations réside en ce qu'elles rétablissent, voire améliorent le service comme transformation. Trivialement : si votre connexion à l'Internet haut débit tombe en panne, il y aura bien une intervention pour la rétablir (et donc une prestation), mais l'important pour vous, comme client, est bien de retrouver l'usage d'Internet, du Web et de la messagerie, et de ce qu'ils vous offrent. La prestation de réparation prend sens dans le service, donc dans la transformation opérée ou rétablie dans le mode de vivre. Cela suppose de définir une certaine posture professionnelle de la part des agents, aussi bien pour les personnes qui reçoivent les signalisations au téléphone que pour les techniciens d'intervention. Car le véritable objet d'un technicien d'intervention en maintenance n'est pas la technologie (le changement d'un modem, le remplacement d'une broche, etc.). Il est le rétablissement du service au client, et donc la préoccupation que ce rétablissement ait véritablement eu lieu. C'est la raison pour laquelle il est parfaitement logique de confier, à ces mêmes agents, des missions d'accompagnement et de formation du client dans son usage d'Internet. Car, d'une certaine façon, un client incompétent se trouve placé dans la même situation qu'une rupture de connexion : il n'arrive pas à accéder (pleinement) au service dont il pourrait disposer. Que cet accompagnement soit directement payant ou introduit dans un forfait est une question seconde.

Mais j'ai tendance à penser, sur un plan organisationnel, qu'il serait bon que ces structures de suivi et d'accompagnement soient en même temps des structures où s'organisent les retours de jugements et d'évaluations de la part des clients sur le (et les) service offert et réalisé. S'il peut paraître logique, a priori, que ces retours s'organisent au sein de l'activité commerciale (et, dans une logique "produit", il est totalement cohérent qu'il en soit ainsi), dans une stratégie de service, qui part du point de vue du client (et non du point de vue de l'entreprise), il peut être parfaitement logique d'avoir un seul service après-vente, au sens large et complet du terme, identifié comme tel par le client. Et une seule structure à ce propos. Or, l'évaluation, menée dans la durée, du service rendu et de sa qualité, est typiquement une activité d'après-vente, au sens large du terme. Que cette activité reboucle sur les vendeurs, c'est à la fois logique et aisé à organiser (bien davantage que l'inverse..). Mais ce ne sont là que des suggestions, sujettes à discussion.

Je conclurai en disant que, tirer jusqu'au bout la signification du concept de " valeur de service ", et développer une " stratégie de service " imposent probablement toute une série de modifications importantes, aussi bien dans les postures et les compétences professionnelles, que dans l'organisation de l'entreprise et ses outils d'évaluation (et donc de pilotage de la performance). C'est, pour les entreprises engagées dans une stratégie de service, un chantier passionnant.

Ce exte est tiré du livre de Jean Gadrey et Philippe Zarifian, L'émergence d'un modèle du service, éditions Liaisons, janvier 2002, avec l'autorisation de l'auteur.

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Philippe Zarifian

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