Lejaby
1. Histoire d'une succès story (1930-1992)
Gabrielle Viannay était employée à l’origine comme " cousette " dans l’entreprise "F. Gauthier et Cie" à Bellegarde sur Valserine dans l’Ain. QuandlLes dirigeants de l’entreprise se délocaliseront à Bourg en Bresse, elle décide de créer avec son beau-frère Marcel Blanchard en 1930 sa propre entreprise. L’arrière salle du cinéma local va servir de premier atelier de fabrication. Nommée à l’origine La Gaby, la société prend au bout de quelques mois, le nom de Lejaby. Très vite, le succès est au rendez-vous. Celui-ci est dû autant à la qualité des produits qu' au dynamisme commercial des créateurs. L’entreprise comptera jusqu’à 1494 points de vente et restera longtemps le numéro 1 de la lingerie française. (Notamment avec en 1965 sa collection Miss Top)
En 1954, Gaby meurt et l’entreprise est rachetée par Maurice Bugnon avec son frère Charles. C’est surtout eux qui contribueront à donner toute son envergure à l’entreprise en développant la marque dans toute l’Europe. Tout en assurant le développement commercial de cette activité qui devient de plus en plus florissante, ils se diversifient dans le rachat d’une marque de maillots de bain (Rasurel), puis quelques années plus tard (1970) dans celui de la prestigieuse marque de collants Well ainsi que dans celui des chaussettes Stemm. A cette période, l’entreprise compte près de 1200 salariés répartis sur 8 sites. L’entreprise est poussée par le développement de la consommation de masse et le groupe profite du cash-flow généré pour faire de la croissance externe...
En 1954, Gaby meurt et l’entreprise est rachetée par Maurice Bugnon avec son frère Charles. C’est surtout eux qui contribueront à donner toute son envergure à l’entreprise en développant la marque dans toute l’Europe. Tout en assurant le développement commercial de cette activité qui devient de plus en plus florissante, ils se diversifient dans le rachat d’une marque de maillots de bain (Rasurel), puis quelques années plus tard (1970) dans celui de la prestigieuse marque de collants Well ainsi que dans celui des chaussettes Stemm. A cette période, l’entreprise compte près de 1200 salariés répartis sur 8 sites. L’entreprise est poussée par le développement de la consommation de masse et le groupe profite du cash-flow généré pour faire de la croissance externe...
2. Traire la vache à lait en se battant sur les prix sans investir dans la recherche développement (1992-2008)
En pleine croissance, l’entreprise est revendue en 1992 à un groupe anglais, Hartstone, qui, confronté à la guerre des prix décidera de délocaliser partiellement la fabrication vers la Tunisie. En 2000, l’entreprise Lejaby est revendue à un groupe Américain Warnaco. Mais cinq ans après, le groupe se retrouve en faillite. C’est alors un groupe autrichien Palmers Textil AG qui rachète l’entreprise. L’entreprise ne compte alors plus que 650 salariés.
En 2003, 3 usines ferment et l’entreprise comme beaucoup d’autres dans le secteur ne laisse plus que 40% de la production en France répartie sur Rillieux la Pape avec 250 salariés, Yssingeaux avec une centaine de salariés, Bourg en Bresse avec 88 salariés et Bellegarde sur Valserine avec 47 salariés, Le Teil avec 60 salariés.
Au fil des ans, l’entreprise, confrontée à la concurrence de plus en plus forte des pays en développement, est contrainte de délocaliser de plus en plus en Tunisie, Maroc et Chine, ne laissant plus que 10% en France de sa production.
En 2003, 3 usines ferment et l’entreprise comme beaucoup d’autres dans le secteur ne laisse plus que 40% de la production en France répartie sur Rillieux la Pape avec 250 salariés, Yssingeaux avec une centaine de salariés, Bourg en Bresse avec 88 salariés et Bellegarde sur Valserine avec 47 salariés, Le Teil avec 60 salariés.
Au fil des ans, l’entreprise, confrontée à la concurrence de plus en plus forte des pays en développement, est contrainte de délocaliser de plus en plus en Tunisie, Maroc et Chine, ne laissant plus que 10% en France de sa production.
3. L'explosion du groupe Lejaby (2008-2011)
Fin 2011, l’entreprise est mise en redressement judiciaire puis liquider quelques temps après. En Décembre de la même année, cinq offres de reprises sont faite au tribunal de commerce de Lyon qui revend l’entreprise par appartement à différents repreneurs.
Pour Rillieux la Pape où se trouve le siège social historique, elle choisit Alain Prost qui a notamment travaillé 5 ans chez un concurrent " le Groupe Chantelle ") ainsi que deux ans chez un fabricant italien de lingerie de Luxe " La Perla ", où il a occupé les fonctions de PDG. Il parvient à réunir un capital de 7 millions d’Euros et s’associe avec le fils de l’ancien propriétaire Christian Bugnon et Michel Desmurs, PDG de la filiale tunisienne. Il met en place une stratégie de reconquête en modernisant la marque et en la repositionnant sur des segments bien différenciés :
- Maison Lejaby Plage pour les maillots de bains (anciennement Rasurel)
- Maison Lejaby élixir pour la lingerie pour les femmes rondes
- Maison Lejaby Couture pour une collection de lingerie haut de gamme
Avec cette stratégie, le dirigeant vise un CA de 24 millions qu’il espère doubler en 5 ans alors qu’il était de 70 millions en 2007. Cette double stratégie se traduira, cependant, par le licenciement de 255 salariés. Alain Prost ne gardera, en France, que 80 personnes dédiées à la recherche des dessins et modèles, aux services administratifs et commerciaux et une vingtaine de corsetières très expérimentées pour une production de luxe mettant en avant le made in France et le fait main. Tout le reste de la fabrication, soit 95% se fera à Sfax en Tunisie.
Le site de Bourg en Bresse, fermé en 2010, est courageusement racheté par la commune qui louera les locaux aux dirigeantes d’une marque de soutien-gorges bien reconnue Princess tam.tam. Tout en se consacrant à lancer une nouvelle marque haut de gamme " Monette " avec une quinzaine d’ouvrières, elles consolident leur portefeuille d'activité avec une licence Nina Ricci. Les dirigeantes, là aussi, grâce aux savoir-faire français espèrent prendre une place dans la lingerie de luxe en s'efforcant de concilier l'originalité des modèles avec " une qualité exceptionnelle de soie qui vient de Lyon et peut se laver en machine ".
Le site d’Yssingeaux, après toute sorte de péripéties, sera finalement repris par un maroquinier auvergnat Sofema, sous-traitant du groupe Louis Vuitton qui reprendra 88 ouvrières sur 93 en leur proposant de transférer leur savoir-faire dans un autre métier : celui de la maroquinerie.
A Villeurbanne, une de vingtaine de corsetières ont créé un atelier " Les Atelières " sous la forme d’une SCIC qui réunit des partenaires institutionnels et des fonds privés obtenus en grande partie à partir d’un appel lancé sur Facebook. Cette entité travaille essentiellement en sous-traitance pour le siège tout en développant une collection spécifique.
Pour Rillieux la Pape où se trouve le siège social historique, elle choisit Alain Prost qui a notamment travaillé 5 ans chez un concurrent " le Groupe Chantelle ") ainsi que deux ans chez un fabricant italien de lingerie de Luxe " La Perla ", où il a occupé les fonctions de PDG. Il parvient à réunir un capital de 7 millions d’Euros et s’associe avec le fils de l’ancien propriétaire Christian Bugnon et Michel Desmurs, PDG de la filiale tunisienne. Il met en place une stratégie de reconquête en modernisant la marque et en la repositionnant sur des segments bien différenciés :
- Maison Lejaby Plage pour les maillots de bains (anciennement Rasurel)
- Maison Lejaby élixir pour la lingerie pour les femmes rondes
- Maison Lejaby Couture pour une collection de lingerie haut de gamme
Avec cette stratégie, le dirigeant vise un CA de 24 millions qu’il espère doubler en 5 ans alors qu’il était de 70 millions en 2007. Cette double stratégie se traduira, cependant, par le licenciement de 255 salariés. Alain Prost ne gardera, en France, que 80 personnes dédiées à la recherche des dessins et modèles, aux services administratifs et commerciaux et une vingtaine de corsetières très expérimentées pour une production de luxe mettant en avant le made in France et le fait main. Tout le reste de la fabrication, soit 95% se fera à Sfax en Tunisie.
Le site de Bourg en Bresse, fermé en 2010, est courageusement racheté par la commune qui louera les locaux aux dirigeantes d’une marque de soutien-gorges bien reconnue Princess tam.tam. Tout en se consacrant à lancer une nouvelle marque haut de gamme " Monette " avec une quinzaine d’ouvrières, elles consolident leur portefeuille d'activité avec une licence Nina Ricci. Les dirigeantes, là aussi, grâce aux savoir-faire français espèrent prendre une place dans la lingerie de luxe en s'efforcant de concilier l'originalité des modèles avec " une qualité exceptionnelle de soie qui vient de Lyon et peut se laver en machine ".
Le site d’Yssingeaux, après toute sorte de péripéties, sera finalement repris par un maroquinier auvergnat Sofema, sous-traitant du groupe Louis Vuitton qui reprendra 88 ouvrières sur 93 en leur proposant de transférer leur savoir-faire dans un autre métier : celui de la maroquinerie.
A Villeurbanne, une de vingtaine de corsetières ont créé un atelier " Les Atelières " sous la forme d’une SCIC qui réunit des partenaires institutionnels et des fonds privés obtenus en grande partie à partir d’un appel lancé sur Facebook. Cette entité travaille essentiellement en sous-traitance pour le siège tout en développant une collection spécifique.
4. L'analyse du point d'inflexion stratégique
Dès 1992, l’entreprise Lejaby a pris le virage de la compétitivité prix. Cela s’est traduit par une délocalisation de 40% de sa production en Tunisie. En 1996, c’est le groupe américain de textile Warnaco (sous-vêtements Calvin Klein et les maillots de bain Speedo) qui rachètera l’entreprise ; ce qui lui l’ouvrira le marché américain et lui permettra réaliser ainsi près de 50% de son CA à l’export.
5 ans plus tard en 2001, le groupe Warnaco en faillite est dans l’obligation de vendre Lejaby qui cette année-là annonce, pour la première fois de son histoire une perte de 294000 euros. C’est le groupe autrichien Palmer Textiles qui prendra la succession pour 45 millions d’euros. En 2003, continuant le processus de délocalisation vers les pays à bas coût de main d’œuvre c’est 3 usines du groupe sur les 8 qui disparaissent du territoire français. Cette décision permettra à l’Entreprise de retrouver une certaine rentabilité. Mais à partir de 2006, malgré de gros efforts de gestion, le groupe voit son chiffre d’affaire s’éroder et perdre définitivement sa capacité à équilibrer ses charges. En 2011, cette situation se conclut par une perte de 11 937 300 millions d’Euros, malgré semble t- il une redéfinition de la période de l’exercice comptable qui a été faite début 2009 pour sans doute tenter de retarder l’échéance fatale.
La chute brutale du chiffre d'affaires en 2008
5 ans plus tard en 2001, le groupe Warnaco en faillite est dans l’obligation de vendre Lejaby qui cette année-là annonce, pour la première fois de son histoire une perte de 294000 euros. C’est le groupe autrichien Palmer Textiles qui prendra la succession pour 45 millions d’euros. En 2003, continuant le processus de délocalisation vers les pays à bas coût de main d’œuvre c’est 3 usines du groupe sur les 8 qui disparaissent du territoire français. Cette décision permettra à l’Entreprise de retrouver une certaine rentabilité. Mais à partir de 2006, malgré de gros efforts de gestion, le groupe voit son chiffre d’affaire s’éroder et perdre définitivement sa capacité à équilibrer ses charges. En 2011, cette situation se conclut par une perte de 11 937 300 millions d’Euros, malgré semble t- il une redéfinition de la période de l’exercice comptable qui a été faite début 2009 pour sans doute tenter de retarder l’échéance fatale.
La chute brutale du chiffre d'affaires en 2008
Andrew Grove rappelle qu’ " un " point d'inflexion stratégique " représente des moments de métamorphose, où ce qui était vrai, avant, ne l'est plus. Et où, donc, il convient de changer de stratégie pour...survivre ". Une entreprise peut-être en phase avec son environnement pendant longtemps et brusquement pour de nombreuses raisons internes ou externes, par exemple des événements qui surviennent brutalement dans l’environnement, se dé positionner et perdre de vue le besoin des clients. C’est ce qui est arrivé à l’entreprise Lejaby qui n’a pas pu prendre en compte les signaux faibles qui dès 2003 ont commencé à se manifester :
- La montée des marques distributeurs qui représentent en 2011, 41% de vente de lingerie,
- Un positionnement moyen de gamme des collections qui ne rencontre pas vraiment le marché qui se développe essentiellement sur deux niveaux bien distincts : le haut de gamme avec les marques comme Chantelle), Lou) et les petits prix
- Le développement de la concurrence lié à la mondialisation : le 1 ° Janvier 2005, c’est la fin des quotas d’importation. Toutes les entreprises du secteur textile sont confrontées à la déferlante des produits chinois
- Le développement d’Internet qui permet à de nouvelles marques bien différenciées d’émerger, réduisant les parts de marché disponibles et entrainant également une saturation de l’offre.
- L’agressivité commerciale de plus en plus forte des concurrents sur un marché en maturité ou les possibilités de progression passe par le fait de prendre des parts de marché aux concurrents qui sont en France au nombre environs de 70 (- Chantelle, Aubade, Lise Charmel, Barbara), etc…-)
- Un ralentissement dans les investissements en recherche, notamment liés à la réduction des marges
La chute brutale du résultat net en 2008
- La montée des marques distributeurs qui représentent en 2011, 41% de vente de lingerie,
- Un positionnement moyen de gamme des collections qui ne rencontre pas vraiment le marché qui se développe essentiellement sur deux niveaux bien distincts : le haut de gamme avec les marques comme Chantelle), Lou) et les petits prix
- Le développement de la concurrence lié à la mondialisation : le 1 ° Janvier 2005, c’est la fin des quotas d’importation. Toutes les entreprises du secteur textile sont confrontées à la déferlante des produits chinois
- Le développement d’Internet qui permet à de nouvelles marques bien différenciées d’émerger, réduisant les parts de marché disponibles et entrainant également une saturation de l’offre.
- L’agressivité commerciale de plus en plus forte des concurrents sur un marché en maturité ou les possibilités de progression passe par le fait de prendre des parts de marché aux concurrents qui sont en France au nombre environs de 70 (- Chantelle, Aubade, Lise Charmel, Barbara), etc…-)
- Un ralentissement dans les investissements en recherche, notamment liés à la réduction des marges
La chute brutale du résultat net en 2008
En 2011, l'entreprise Lejaby va se retrouver dans une situation comparable à celle du Titanic dont le capitaine sous-estimant les informations qui lui arrivaient par télex pour le prévenir des dangers d’icebergs réagit trop tardivement pour changer sa route, entrainant ainsi la mort de plusieurs milliers de passagers. Il faut dire que l’entreprise Lejaby n’était pas la seule dans le secteur du textile à être confrontée à une véritable mutation des règles du marché. La chute des emplois en témoigne : le nombre de salariés est passé de 1990 à 2009 de 589000 à 73000 (Source UIT).
La somnolence du groupe Warnaco dénoncée par les salariés
La somnolence du groupe Warnaco dénoncée par les salariés
5. La résilience : un concept utile pour éclairer l'expérience des restructrations d'entreprise
Le cas " Lejaby " n’est pas un cas unique. Il est devenu emblématique surtout par la médiatisation dont il a fait l’objet. Les nombreux reportages réalisés nous permettent aujourd’hui d’avoir une vue d’ensemble utile à l’identification de facteurs clés de succès de ce que nous pourrions appelé un cas de résilience stratégique.
Le terme de résilience été largement popularisé par les travaux de Borys Cyrulnik. Il la définit comme " la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépits d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères (Cyrulnik, 2001) ". Il a développé ce concept en accompagnant des survivants revenant des camps de concentration, des enfants ayant séjournés dans des orphelinats roumains et boliviens issus de la rue. A cette occasion, il a constaté que certains d’entre pouvaient plus facilement que d’autres se reconstruire et s’engager dans l’existence sans rester fixer aux événements traumatiquesdu passé.
Ce concept est indissociable de celui de névrose traumatique car avant la résilience, il y a la rencontre brutale avec des événements intrusifs perturbants. Selon Horowitz (1986,1993), le système d’assimilation et d’accommodation du sujet qui se trouve confronté à " un nombre excessif d’informations qu’il ne parvient pas à intégrer dans ses schémas cognitifs antérieurs ".
Stefan Vanistendael pose l'hypothèse que la capacité de résilience reposerait sur 3 fondements : Le sens, le lien, la loi symbolique. Lorsque l’individu est confronté à un traumatisme, la première question qu’il se pose, c’est pourquoi : " Pourquoi cela m’arrive-t-il ? ". Il lui est parfois impossible de répondre à cette question. Un événement traumatique peut également mettre en péril le lien avec autrui dans la mesure où l’individu se trouve confrontée à une situation extrême qui compromet les bases du lien social qui repose sur de "constants accommodements et accords tacites entre les acteurs " (Foucart, 2010). Enfin, ce type d’expérience type peut entraîner une disparition des repères structurant l’identité. L’individu est confronté à l’impensable, l’irreprésentable. Il n’y a pas de mots pour le dire.
Kübler Ross a aussi largement apporté sa contribution sur ces questions à travers l’identification de 5 étapes dans le deuil qu’on retrouve dans toutes les expériences de perte :
1. Au départ les acteurs sont placés dans une phase de sidération, c’est la phase dite de déni. Le sujet ne parvient pas à se représenter la réalité de la situation. Il est confronté à l’impensable, à l’irreprésentable.
2. Prenant conscience de la disparition de l’objet, le sujet peut ressentir de la colère, voire de l’indignation.
3. Cette phase de colère peut être suivie d’une phase de marchandage pour tenter d’atténuer la brutalité de l’évènement.
4. Quand le sujet prend conscience de la réalité de la perte, le sujet ressent alors de la tristesse.
5. Au bout d’un certain temps l’évènement perd de son intensité émotionnelle et le sujet réorganise peu à peu son existence en intégrant la perte de l’objet
Ces travaux sont particulièrement intéressants pour comprendre les processus mis en œuvre dans le cadre des restructurations d’entreprise. Dans le cas Lejaby, on y retrouve toutes les étapes décrites par ces auteurs.
Le terme de résilience été largement popularisé par les travaux de Borys Cyrulnik. Il la définit comme " la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépits d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères (Cyrulnik, 2001) ". Il a développé ce concept en accompagnant des survivants revenant des camps de concentration, des enfants ayant séjournés dans des orphelinats roumains et boliviens issus de la rue. A cette occasion, il a constaté que certains d’entre pouvaient plus facilement que d’autres se reconstruire et s’engager dans l’existence sans rester fixer aux événements traumatiquesdu passé.
Ce concept est indissociable de celui de névrose traumatique car avant la résilience, il y a la rencontre brutale avec des événements intrusifs perturbants. Selon Horowitz (1986,1993), le système d’assimilation et d’accommodation du sujet qui se trouve confronté à " un nombre excessif d’informations qu’il ne parvient pas à intégrer dans ses schémas cognitifs antérieurs ".
Stefan Vanistendael pose l'hypothèse que la capacité de résilience reposerait sur 3 fondements : Le sens, le lien, la loi symbolique. Lorsque l’individu est confronté à un traumatisme, la première question qu’il se pose, c’est pourquoi : " Pourquoi cela m’arrive-t-il ? ". Il lui est parfois impossible de répondre à cette question. Un événement traumatique peut également mettre en péril le lien avec autrui dans la mesure où l’individu se trouve confrontée à une situation extrême qui compromet les bases du lien social qui repose sur de "constants accommodements et accords tacites entre les acteurs " (Foucart, 2010). Enfin, ce type d’expérience type peut entraîner une disparition des repères structurant l’identité. L’individu est confronté à l’impensable, l’irreprésentable. Il n’y a pas de mots pour le dire.
Kübler Ross a aussi largement apporté sa contribution sur ces questions à travers l’identification de 5 étapes dans le deuil qu’on retrouve dans toutes les expériences de perte :
1. Au départ les acteurs sont placés dans une phase de sidération, c’est la phase dite de déni. Le sujet ne parvient pas à se représenter la réalité de la situation. Il est confronté à l’impensable, à l’irreprésentable.
2. Prenant conscience de la disparition de l’objet, le sujet peut ressentir de la colère, voire de l’indignation.
3. Cette phase de colère peut être suivie d’une phase de marchandage pour tenter d’atténuer la brutalité de l’évènement.
4. Quand le sujet prend conscience de la réalité de la perte, le sujet ressent alors de la tristesse.
5. Au bout d’un certain temps l’évènement perd de son intensité émotionnelle et le sujet réorganise peu à peu son existence en intégrant la perte de l’objet
Ces travaux sont particulièrement intéressants pour comprendre les processus mis en œuvre dans le cadre des restructurations d’entreprise. Dans le cas Lejaby, on y retrouve toutes les étapes décrites par ces auteurs.
6. Les facteurs clés de succès de la résilience stratégique et organisationnelle
Une économie schumpétérienne se caractérise par une accélération des processus de destruction et de reconstruction d’activités. Ce phénomène appelé " destruction créatrice " passe nécessairement par une optimisation des capacités de résilience des individus comme des organisations. Au cours d’une vie professionnelle, par exemple, les identités individuelles passent par des transformations plus nombreuses, les individus devant changer plusieurs fois de métiers, d’entreprises, de lieux ; les organisations de configurations, de statuts, de stratégies. En d’autres termes, il s’agit de favoriser la mobilité des individus et l’agilité des organisations. L’analyse d’expériences comme celles de Lejaby permet de mettre en évidence un certain nombre de points clés pouvant faciliter ou freiner une plus grande adaptabilité des esprits et des systèmes.
6.1 La détermination des salariés appuyés par les syndicats
Le premier facteur qui semble déterminant est la capacité d’indignation des acteurs. C’est parce qu’ils ont su " s’opposer aux circonstances ", que la mutation a été possible. Soutenus par les syndicats, les salariés ont fait savoir par la presse leur colère et leur volonté de continuer à exister. Sartre dans son livre L’existentialisme est un humanisme rappel que dans toute situation les individus ont une relative liberté : ils peuvent subir ou créer l’histoire. Subir passe par le renoncement tandis que créer demande de s’affronter au réel pour tenter de le transformer. Comte-Sponville résume bien cette posture " actantielle " par la formule suivante : " vivre c’est résister, exister c’est insister ". Sur tous les sites les salariés ont refusé ce qui leur était présenté comme une fatalité.
6.2 Le patriotisme économique
Cette obstination collective à survivre a fait écho aux enjeux des acteurs politiques qui peu avant les élections avaient besoin de mettre en scène leur patriotisme économique. La France s’est aperçue qu’elle possédait des savoir-faire historiques qu’il fallait non seulement conserver mais aussi promouvoir. Il faut plus de 10 ans pour faire une corsetière et le made in France est un argument de vente pour les marchés étrangers quand il s’agit de produits traditionnels associés à l’image de marque du pays. Ce patriotisme économique s’est aussi manifesté pour les ouvrières qui ont fondé les Atelières avec des fonds privés mobilisés sur Facebook (Jusqu’à 600 000 Euros comprenant de nombreux petits apports).
6.3 Découper un problème en petits problèmes : la vente par appartement
Tous les sites sauf celui du Teil ont trouvé un acquéreur (Sofama et LVMH pour Yssingeaux ; Alain Prost pour Rillieux la Pape - Princesse Tam-Tam pour Bourg en Bresse) tandis qu’une partie des ouvrières de Rillieux ont créé une SCIC. Quand on est confronté à un gros problème, une des techniques consistent à le réduire en problèmes plus petits.
6.4 Repositionnement stratégique sur le haut de gamme et ouverture vers l’International
Tous les sites se sont repositionnés sur le haut de gamme en considérant, à juste titre, que dans les industries de luxe (Mode, maroquinerie, cosmétique) que le Made in France constitue un avantage concurrentiel évident.
Le discours des ouvrières de la boutique située à Bellegarde sur Valserine résume parfaitement cette orientation : " On réalisera la création du prototype, la gamme de montage et la fabrication. Le client aura son produit clef en mains, avec le label " made in France ", qui a de la valeur. Sur le papier, ça fonctionne, on est sur une " niche porteuse ".
Alain Prost le repreneur du site de Rillieux la Pape a lancé une nouvelle activité de lingerie fine sur mesure de luxe en ouvrant un magasin à Paris. Cependant 95% de la production est encore sur le bas de gamme….
" Monette " sur Bourg en Bresse lance une nouvelle marque haut de gamme " Monette ". Assya Hiridjee, la dirigeante du site, ex directrice fondatrice de Princess Tam Tam vendu à un groupe Japonais, réaffirme aussi sa conviction que la différenciation est la clé du succès quand elle déclare : " Il fallait qu’on se démarque avec une qualité supérieure et des produits qu’on ne trouve pas partout ". " Ce qu’on vend, ce n’est pas simplement du " made in France ", c’est de la fabrication française. Tout est stylé, coupé, fabriqué et conditionné ici et non à l'étranger comme le font d'autres concurrents. "
" A Bourg-en-Bresse, nous étions déjà un site pilote à qui l’on confiait le travail un peu délicat, les compétences existaient, explique Françoise Névoret. Beaucoup de couturières s’étaient reconverties, mais certaines souhaitaient revenir et d’autres n’avaient pas retrouvé de travail. Pour elles, c’était inespéré. "
Les Atelières ne se contentent pas de faire de la sous-traitance pour La Maison Lejaby, elles lancent également leur propre marque de luxe.
Quant au site d’Yssingeaux, la reprise se fait aussi dans l’industrie du luxe à travers une activité de sous-traitance en maroquinerie de luxe pour Louis Vuitton.
Toutes ces entités aujourd’hui indépendantes les unes des autres font du made in France un avantage concurrentiel pour vendre à une clientèle fortunée à l’internationale.
6.5 Capitaliser sur les savoir-faire
Si les entreprises Lejaby étaient encore capables de susciter un intérêt et une espérance, c’est non seulement à cause de la notoriété de la marque mais c’est aussi grâce aux savoir-faire accumulés. La nouvelle DRH laura Gandolf met clairement en évidence dans une récente interview combien cette expertise se construit dans le temps : " Pour monter un soutien-gorge, il y a énormément de pièces à mettre ensemble, donc cela demande une dextérité des doigts qui est spécifique au métier ". On compte en effet près de 27 opérations pour fabriquer un soutien-gorge " à la française ". Seules des ouvrières très expérimentées peuvent le faire.
6.6 De nouvelles formes de gouvernance
La mise en liquidation prononcé par le tribunal de commerce de Lyon a entrainé la dissolution des anciennes structures juridiques et la création de nouvelles, notamment de deux SCOP (Bellegarge sur Valserine) ou d'une SCIC (Villeurbanne).
6.1 La détermination des salariés appuyés par les syndicats
Le premier facteur qui semble déterminant est la capacité d’indignation des acteurs. C’est parce qu’ils ont su " s’opposer aux circonstances ", que la mutation a été possible. Soutenus par les syndicats, les salariés ont fait savoir par la presse leur colère et leur volonté de continuer à exister. Sartre dans son livre L’existentialisme est un humanisme rappel que dans toute situation les individus ont une relative liberté : ils peuvent subir ou créer l’histoire. Subir passe par le renoncement tandis que créer demande de s’affronter au réel pour tenter de le transformer. Comte-Sponville résume bien cette posture " actantielle " par la formule suivante : " vivre c’est résister, exister c’est insister ". Sur tous les sites les salariés ont refusé ce qui leur était présenté comme une fatalité.
6.2 Le patriotisme économique
Cette obstination collective à survivre a fait écho aux enjeux des acteurs politiques qui peu avant les élections avaient besoin de mettre en scène leur patriotisme économique. La France s’est aperçue qu’elle possédait des savoir-faire historiques qu’il fallait non seulement conserver mais aussi promouvoir. Il faut plus de 10 ans pour faire une corsetière et le made in France est un argument de vente pour les marchés étrangers quand il s’agit de produits traditionnels associés à l’image de marque du pays. Ce patriotisme économique s’est aussi manifesté pour les ouvrières qui ont fondé les Atelières avec des fonds privés mobilisés sur Facebook (Jusqu’à 600 000 Euros comprenant de nombreux petits apports).
6.3 Découper un problème en petits problèmes : la vente par appartement
Tous les sites sauf celui du Teil ont trouvé un acquéreur (Sofama et LVMH pour Yssingeaux ; Alain Prost pour Rillieux la Pape - Princesse Tam-Tam pour Bourg en Bresse) tandis qu’une partie des ouvrières de Rillieux ont créé une SCIC. Quand on est confronté à un gros problème, une des techniques consistent à le réduire en problèmes plus petits.
6.4 Repositionnement stratégique sur le haut de gamme et ouverture vers l’International
Tous les sites se sont repositionnés sur le haut de gamme en considérant, à juste titre, que dans les industries de luxe (Mode, maroquinerie, cosmétique) que le Made in France constitue un avantage concurrentiel évident.
Le discours des ouvrières de la boutique située à Bellegarde sur Valserine résume parfaitement cette orientation : " On réalisera la création du prototype, la gamme de montage et la fabrication. Le client aura son produit clef en mains, avec le label " made in France ", qui a de la valeur. Sur le papier, ça fonctionne, on est sur une " niche porteuse ".
Alain Prost le repreneur du site de Rillieux la Pape a lancé une nouvelle activité de lingerie fine sur mesure de luxe en ouvrant un magasin à Paris. Cependant 95% de la production est encore sur le bas de gamme….
" Monette " sur Bourg en Bresse lance une nouvelle marque haut de gamme " Monette ". Assya Hiridjee, la dirigeante du site, ex directrice fondatrice de Princess Tam Tam vendu à un groupe Japonais, réaffirme aussi sa conviction que la différenciation est la clé du succès quand elle déclare : " Il fallait qu’on se démarque avec une qualité supérieure et des produits qu’on ne trouve pas partout ". " Ce qu’on vend, ce n’est pas simplement du " made in France ", c’est de la fabrication française. Tout est stylé, coupé, fabriqué et conditionné ici et non à l'étranger comme le font d'autres concurrents. "
" A Bourg-en-Bresse, nous étions déjà un site pilote à qui l’on confiait le travail un peu délicat, les compétences existaient, explique Françoise Névoret. Beaucoup de couturières s’étaient reconverties, mais certaines souhaitaient revenir et d’autres n’avaient pas retrouvé de travail. Pour elles, c’était inespéré. "
Les Atelières ne se contentent pas de faire de la sous-traitance pour La Maison Lejaby, elles lancent également leur propre marque de luxe.
Quant au site d’Yssingeaux, la reprise se fait aussi dans l’industrie du luxe à travers une activité de sous-traitance en maroquinerie de luxe pour Louis Vuitton.
Toutes ces entités aujourd’hui indépendantes les unes des autres font du made in France un avantage concurrentiel pour vendre à une clientèle fortunée à l’internationale.
6.5 Capitaliser sur les savoir-faire
Si les entreprises Lejaby étaient encore capables de susciter un intérêt et une espérance, c’est non seulement à cause de la notoriété de la marque mais c’est aussi grâce aux savoir-faire accumulés. La nouvelle DRH laura Gandolf met clairement en évidence dans une récente interview combien cette expertise se construit dans le temps : " Pour monter un soutien-gorge, il y a énormément de pièces à mettre ensemble, donc cela demande une dextérité des doigts qui est spécifique au métier ". On compte en effet près de 27 opérations pour fabriquer un soutien-gorge " à la française ". Seules des ouvrières très expérimentées peuvent le faire.
6.6 De nouvelles formes de gouvernance
La mise en liquidation prononcé par le tribunal de commerce de Lyon a entrainé la dissolution des anciennes structures juridiques et la création de nouvelles, notamment de deux SCOP (Bellegarge sur Valserine) ou d'une SCIC (Villeurbanne).
Tableau de synthèse
La résilience : un nouveau concept utile aux managers
Dans un monde mouvant et incertain, ce sont visiblement des aptitudes bien différentes que celles exigées par les 30 glorieuses qu'il faut mobiliser. Parmi celles-ci, la capacité à se recomposer constitue certainement une des plus nécessaires. Cela soulève de réelles questions en matière d'éducation, de formation et de management. Dans tous les cas, les apprentissages qui sont encore, à ce jour, recompensés ont besoin d'être revisités.
Vidéographie
A Yssingeaux, la colère des ouvrières de Lejaby
A Rillieux la Pape, la colère des salariés
Début de résilience : les ouvrières de Lejaby lèvent la tête
Bourg en bresse : les ex lejaby se lancent dans le pari de la soie
Villeurbanne : Le nouveau combat des ouvrières de Lejaby : créer leur entreprise en Scop en faisant appel à Facebook pour trouver des sources de financement indépendantes des banques
Nicolas Sarkozy et Laurent Wauquiez à Issengeaux
Ségolène Royal au Teil en Ardèche
Arnaud Montebourg, lui aussi à Issengeaux
Sur France Culture : une série de 4 émissions sur le cas Lejaby (Les pieds sur terre). Dans ce reportage, les ouvières nous expliqent comment, dans les deux dernières années, les managers gestionnaires ont mis en place des systèmes de stimulation des rendements avec des pratiques culpabilisantes quand les ouvrières ne parvenaient pas à faire leur quota. On retrouve ici des comportements qui témoignent de l'enfermement paradigmatique dans lequel la plupart des managers du secteur sont restés enfermés (Cf. Le cas Maryflo).
A Rillieux la Pape, la colère des salariés
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Bourg en bresse : les ex lejaby se lancent dans le pari de la soie
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Nicolas Sarkozy et Laurent Wauquiez à Issengeaux
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Arnaud Montebourg, lui aussi à Issengeaux
Sur France Culture : une série de 4 émissions sur le cas Lejaby (Les pieds sur terre). Dans ce reportage, les ouvières nous expliqent comment, dans les deux dernières années, les managers gestionnaires ont mis en place des systèmes de stimulation des rendements avec des pratiques culpabilisantes quand les ouvrières ne parvenaient pas à faire leur quota. On retrouve ici des comportements qui témoignent de l'enfermement paradigmatique dans lequel la plupart des managers du secteur sont restés enfermés (Cf. Le cas Maryflo).