Présentation de l'auteur
Michel Godet, né en 1948, est Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (titulaire de la Chaire de Prospective Industrielle) où il dirige aussi le LIPSOR (Laboratoire d’Investigation en Prospective, Stratégie et Organisation). Il participe activement à la réflexion publique au sein du Conseil d'Analyse Economique (Cae) rattaché au Premier Ministre, du Conseil Economique de la Nation rattaché au Ministre de l’Economie.
Depuis 2003 il s’est lancé, avec l’appui de 50 organismes partenaires du Cercle des Entrepreneurs du Futur, dans la mise à disposition mondiale en trois langues des méthodes de prospective (Ateliers, jeux d’acteurs, scénarios), organise, dans ce cadre, les Mercredis de l’Initiative, le Grand Prix de la réflexion pertinente et impertinente et soutient l’entrepreneuriat. Cf. www.laprospective.fr (rubrique Cercle des Entrepreneurs).
Michel Godet a publié une quinzaine d’ouvrages traduits en plusieurs langues. Son livre : Emploi : le grand mensonge aux éditions Pocket a été vendu à plus de 45 000 exemplaires. Ce livre a reçu en 1997 le Grand Prix du livre sur la mutation du travail. Il a aussi publié en 2007 chez Dunod la troisième édition du Manuel de prospective stratégique en deux tomes “ Une indiscipline intellectuelle ” et " L’art et la méthode ”. Une version adaptée au monde anglo-saxon : " Creating Futures : Scenario-planning as a strategic management tool ” a été publiée chez Economica-Brookings, deuxième édition 2006. Le choc de 2006 publié chez Odile Jacob a obtenu le Prix du livre d'économie. La troisième édition est sortie en poche janvier 2006. En 2007, il a publié aussi : Le Courage du bon sens pour construire l’avenir autrement, chez Odile Jacob.
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Depuis 2003 il s’est lancé, avec l’appui de 50 organismes partenaires du Cercle des Entrepreneurs du Futur, dans la mise à disposition mondiale en trois langues des méthodes de prospective (Ateliers, jeux d’acteurs, scénarios), organise, dans ce cadre, les Mercredis de l’Initiative, le Grand Prix de la réflexion pertinente et impertinente et soutient l’entrepreneuriat. Cf. www.laprospective.fr (rubrique Cercle des Entrepreneurs).
Michel Godet a publié une quinzaine d’ouvrages traduits en plusieurs langues. Son livre : Emploi : le grand mensonge aux éditions Pocket a été vendu à plus de 45 000 exemplaires. Ce livre a reçu en 1997 le Grand Prix du livre sur la mutation du travail. Il a aussi publié en 2007 chez Dunod la troisième édition du Manuel de prospective stratégique en deux tomes “ Une indiscipline intellectuelle ” et " L’art et la méthode ”. Une version adaptée au monde anglo-saxon : " Creating Futures : Scenario-planning as a strategic management tool ” a été publiée chez Economica-Brookings, deuxième édition 2006. Le choc de 2006 publié chez Odile Jacob a obtenu le Prix du livre d'économie. La troisième édition est sortie en poche janvier 2006. En 2007, il a publié aussi : Le Courage du bon sens pour construire l’avenir autrement, chez Odile Jacob.
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Plan de l'article
1° La prospective, une indiscipline intellectuelle
1.1 De l’anticipation à l’action par l’appropriation.
1.2 Le risque de la démagogie participative.
1.3 Trop de scénarios et pas assez de projets endogènes.
1.4 La surestimation des changements techniques et des ruptures.
1.5 La sous estimation des inerties.
1.6 Vraies questions, faux problèmes : se méfier des consensus et des idées reçues.
2° Trois clefs pour la compétitivité : anticiper, innover et motiver
2.1 Innovation compétitive : la technologie n’est pas l’essentiel.
2.2 Société de la connaissance et mirage technologique.
2.3 Les magiciens de la croissance.
2.4 L’homme au cœur de la différence.
2.5 " Gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre ".
2.6 De la vertu des ruptures et des facteurs briseurs d’habitudes.
2.7 Le développement durable, un levier pour l’innovation.
2.8 La croissance en quête de sens et de développement durable.
1.1 De l’anticipation à l’action par l’appropriation.
1.2 Le risque de la démagogie participative.
1.3 Trop de scénarios et pas assez de projets endogènes.
1.4 La surestimation des changements techniques et des ruptures.
1.5 La sous estimation des inerties.
1.6 Vraies questions, faux problèmes : se méfier des consensus et des idées reçues.
2° Trois clefs pour la compétitivité : anticiper, innover et motiver
2.1 Innovation compétitive : la technologie n’est pas l’essentiel.
2.2 Société de la connaissance et mirage technologique.
2.3 Les magiciens de la croissance.
2.4 L’homme au cœur de la différence.
2.5 " Gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre ".
2.6 De la vertu des ruptures et des facteurs briseurs d’habitudes.
2.7 Le développement durable, un levier pour l’innovation.
2.8 La croissance en quête de sens et de développement durable.
1° La prospective, une indiscipline intellectuelle
L'avenir est une page presque blanche qui reste à écrire. L'avenir est ouvert et toute forme de prédiction est une imposture. C’est à chacun de prendre son avenir en main, c’est-à-dire de conspirer pour un futur désiré. Le déterminisme ne résiste pas à la détermination et le hasard, comme le disait Pasteur ne favorise que les esprits bien préparés. Pour construire cet avenir, il faut la force et l’union des hommes rassemblés autour de projets mobilisateurs. Pour comprendre comment les crises que nous vivons peuvent être porteuses d’espoir, il faut se souvenir que, dans un monde qui change de la même manière pour tous, ce qui fait la différence, c’est la capacité des hommes et des organisations à adapter leurs projets pour construire l’avenir autrement. En d’autres termes, les facteurs de développement sont endogènes et contingents.
Pour Gaston Berger la prospective doit " voir loin, large, profond, penser à l'homme, prendre des risques " (Berger, 1959). Depuis les années 70 nous avons milité pour rajouter trois caractéristiques négligées par des précurseurs proches des princes dans une société jacobine : voir autrement (se méfier des idées reçues), voir ensemble (appropriation) et utiliser des méthodes aussi rigoureuses et participatives que possible pour réduire les inévitables incohérences collectives.
La prospective c’est aussi une indiscipline intellectuelle , une vision globale qui regarde chaque problème local en le replaçant dans son contexte .Un peu comme le fait le médecin généraliste par rapport aux spécialistes qui ne voient le corps que par le petit bout de la lorgnette. Pour ce généraliste, les antécédents et accidents personnels et familiaux (l’héritage génétique) sont fondamentaux : pas de prospective sans rétrospective, sans retour sur le temps long passé et sur la connaissance de soi. Les événements futurs dépendront autant des chocs de tendances contradictoires et du hasard des ruptures que de la volonté et de la capacité des acteurs à s’appuyer sur la connaissance de leurs forces et de leurs faiblesses.
L’anticipation n’est guère répandue chez les dirigeants, car, lorsque tout va bien, ils peuvent s’en passer et, lorsque tout va mal, il est trop tard pour voir plus loin que le bout de son nez : il faut réagir et vite ! Cependant, la réactivité n'est pas une fin en soi; souhaitable à court terme, elle ne mène nulle part si elle n'est pas orientée vers les objectifs à long terme de l'entreprise car “ il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va " (Sénèque). L’attitude prospective ne consiste pas à attendre le changement pour réagir ; elle vise à maîtriser le changement attendu (pré activité) et à provoquer un changement souhaité (pro activité). C’est le désir, force productive d’avenir.
Conclusion pratique pour les décideurs : dorénavant lorsque vous ferez un plan d'action, ouvrez trois colonnes, pour la réactivité, la pré activité et la pro activité. Aucune ne doit être trop vide ou trop remplie. Naturellement, dans un contexte de crise, la réactivité l'emporte sur le reste et dans un contexte de croissance normale, il faut anticiper les changements et les provoquer notamment par l'innovation.
L’innovation est bien une forme de pro activité et, de son coté, le développement durable impose une anticipation responsable vis-à-vis des générations futures. C’est dire que prospective, innovation et développement durables sont des concepts cousins. Il n’est donc pas surprenant de les voir réunis dans le débat en même temps que la participation car l’appropriation est indispensable pour réussir le passage de l’anticipation à l’action : les hommes ont tendance à rejeter ce qui leur est imposé.
Pour Gaston Berger la prospective doit " voir loin, large, profond, penser à l'homme, prendre des risques " (Berger, 1959). Depuis les années 70 nous avons milité pour rajouter trois caractéristiques négligées par des précurseurs proches des princes dans une société jacobine : voir autrement (se méfier des idées reçues), voir ensemble (appropriation) et utiliser des méthodes aussi rigoureuses et participatives que possible pour réduire les inévitables incohérences collectives.
La prospective c’est aussi une indiscipline intellectuelle , une vision globale qui regarde chaque problème local en le replaçant dans son contexte .Un peu comme le fait le médecin généraliste par rapport aux spécialistes qui ne voient le corps que par le petit bout de la lorgnette. Pour ce généraliste, les antécédents et accidents personnels et familiaux (l’héritage génétique) sont fondamentaux : pas de prospective sans rétrospective, sans retour sur le temps long passé et sur la connaissance de soi. Les événements futurs dépendront autant des chocs de tendances contradictoires et du hasard des ruptures que de la volonté et de la capacité des acteurs à s’appuyer sur la connaissance de leurs forces et de leurs faiblesses.
L’anticipation n’est guère répandue chez les dirigeants, car, lorsque tout va bien, ils peuvent s’en passer et, lorsque tout va mal, il est trop tard pour voir plus loin que le bout de son nez : il faut réagir et vite ! Cependant, la réactivité n'est pas une fin en soi; souhaitable à court terme, elle ne mène nulle part si elle n'est pas orientée vers les objectifs à long terme de l'entreprise car “ il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va " (Sénèque). L’attitude prospective ne consiste pas à attendre le changement pour réagir ; elle vise à maîtriser le changement attendu (pré activité) et à provoquer un changement souhaité (pro activité). C’est le désir, force productive d’avenir.
Conclusion pratique pour les décideurs : dorénavant lorsque vous ferez un plan d'action, ouvrez trois colonnes, pour la réactivité, la pré activité et la pro activité. Aucune ne doit être trop vide ou trop remplie. Naturellement, dans un contexte de crise, la réactivité l'emporte sur le reste et dans un contexte de croissance normale, il faut anticiper les changements et les provoquer notamment par l'innovation.
L’innovation est bien une forme de pro activité et, de son coté, le développement durable impose une anticipation responsable vis-à-vis des générations futures. C’est dire que prospective, innovation et développement durables sont des concepts cousins. Il n’est donc pas surprenant de les voir réunis dans le débat en même temps que la participation car l’appropriation est indispensable pour réussir le passage de l’anticipation à l’action : les hommes ont tendance à rejeter ce qui leur est imposé.
De l’anticipation à l’action par l’appropriation
Les managers savent que les meilleures idées ne sont pas celles que l’on a mais celle que l’on suscite. Dans la logique du triangle grec, le bleu de l'anticipation ne peut se transformer en vert de l'action qu'avec le jaune de l'appropriation par les acteurs concernés.
Puisque la dimension humaine et organisationnelle de l’appropriation est déterminante pour la compétitivité, il convient donc de tirer le meilleur parti des nouvelles technologies de l’information et des réseaux de communication. Nous sommes entrés dans l’ère de l’économie de la diversité. La tendance future est à la production en masse de la variété et à petite échelle de production rentable. Cette évolution technico-économique est en concordance avec la transformation des besoins et des aspirations des individus vers plus d’autonomie et de différenciation. Pour les entreprises, cela signifie mettre en place des petites équipes autonomes d’intra-preneurs responsables. Et toute l’organisation est touchée par cette “ révolution mentale ” que souhaitait déjà F. W. Taylor dans sa Direction scientifique des entreprises . En 1988, Antoine Riboud retrouvait des conclusions semblables : " Les travailleurs ne prendront part positivement à la mise en œuvre de la technologie nouvelle que s’ils se la sont approprié et ils ne se l’approprieront que pour autant qu’ils auront participé à sa conception ".
Les managers savent que les meilleures idées ne sont pas celles que l’on a mais celle que l’on suscite. Dans la logique du triangle grec, le bleu de l'anticipation ne peut se transformer en vert de l'action qu'avec le jaune de l'appropriation par les acteurs concernés.
Puisque la dimension humaine et organisationnelle de l’appropriation est déterminante pour la compétitivité, il convient donc de tirer le meilleur parti des nouvelles technologies de l’information et des réseaux de communication. Nous sommes entrés dans l’ère de l’économie de la diversité. La tendance future est à la production en masse de la variété et à petite échelle de production rentable. Cette évolution technico-économique est en concordance avec la transformation des besoins et des aspirations des individus vers plus d’autonomie et de différenciation. Pour les entreprises, cela signifie mettre en place des petites équipes autonomes d’intra-preneurs responsables. Et toute l’organisation est touchée par cette “ révolution mentale ” que souhaitait déjà F. W. Taylor dans sa Direction scientifique des entreprises . En 1988, Antoine Riboud retrouvait des conclusions semblables : " Les travailleurs ne prendront part positivement à la mise en œuvre de la technologie nouvelle que s’ils se la sont approprié et ils ne se l’approprieront que pour autant qu’ils auront participé à sa conception ".
Le risque de la démagogie participative
Pour réussir le passage de l’anticipation à l’action, il y a deux erreurs symétriques à éviter. La première consiste à penser d'en haut avec des experts au service de l'action du prince en oubliant l'appropriation. C'est une mauvaise idée que de vouloir imposer une bonne idée. La seconde consiste à chasser les experts et la matière bleue des expertises pour donner la parole au peuple et privilégier la matière jaune des consensus du présent. Sans prospective cognitive, la prospective participative tourne à vide et en rond sur le présent. Le rêve consensuel des générations présentes est souvent un accord momentané pour que rien ne change et pour transmettre aux générations futures le fardeau de nos irresponsabilités collectives. Une telle prospective a beau être participative, elle est contraire à la définition-même du développement durable. Elle consacre le triomphe des égoïsmes individuels à court terme (seules sont injustes les inégalités dont on ne profite pas !) au détriment des intérêts collectifs à long terme. Les décisions courageuses à prendre face à l'avenir sont rarement consensuelles, et si la prospective doit être participative, la stratégie qui s'en inspire revient aux responsables élus ou nommés, il leur appartient de faire preuve de volonté et de courage pour éviter le piège de la démagogie participative.
Pour réussir le passage de l’anticipation à l’action, il y a deux erreurs symétriques à éviter. La première consiste à penser d'en haut avec des experts au service de l'action du prince en oubliant l'appropriation. C'est une mauvaise idée que de vouloir imposer une bonne idée. La seconde consiste à chasser les experts et la matière bleue des expertises pour donner la parole au peuple et privilégier la matière jaune des consensus du présent. Sans prospective cognitive, la prospective participative tourne à vide et en rond sur le présent. Le rêve consensuel des générations présentes est souvent un accord momentané pour que rien ne change et pour transmettre aux générations futures le fardeau de nos irresponsabilités collectives. Une telle prospective a beau être participative, elle est contraire à la définition-même du développement durable. Elle consacre le triomphe des égoïsmes individuels à court terme (seules sont injustes les inégalités dont on ne profite pas !) au détriment des intérêts collectifs à long terme. Les décisions courageuses à prendre face à l'avenir sont rarement consensuelles, et si la prospective doit être participative, la stratégie qui s'en inspire revient aux responsables élus ou nommés, il leur appartient de faire preuve de volonté et de courage pour éviter le piège de la démagogie participative.
Trop de scénarios et pas assez de projets endogènes
Le développement d'une entreprise ou d’un territoire est d'abord le fruit de son dynamisme propre. C'est la multiplicité des initiatives locales et leur fécondation mutuelle qui stimulent l'activité et l'emploi. Les contraintes extérieures, la mondialisation, les changements techniques sont moins des obstacles à surmonter que des opportunités. La prospective participative utilisant des méthodes simples et appropriables est aussi un puissant levier de dynamique des entreprises et des territoires.
Le recours systématique et abusif aux scénarios en prospective au détriment des leçons à tirer de l'histoire et des comparaisons entre entreprises et territoires pour bâtir des projets de développement est un biais courant.
Tout d'abord, prospective et scénarios ne sont pas synonymes ; ces derniers n'ont guère d'intérêt si ils ne sont ni pertinents (se poser les bonnes questions), ni cohérents, ni vraisemblables. Certes, la construction collective de scénarios souhaités peut jouer un rôle de thérapie collective, mais dans ce cas le résultat (le scénario) est moins important que le processus collectif qui y a conduit. Quitte à réfléchir à l'avenir ensemble, autant se poser les bonnes questions, à commencer par celles qui ne sont pas consensuelles parce qu'elles bousculent les habitudes et l'ordre établi.
Si les processus de prospective et stratégie sont liés, ils restent distincts et il convient de bien séparer :
Le développement d'une entreprise ou d’un territoire est d'abord le fruit de son dynamisme propre. C'est la multiplicité des initiatives locales et leur fécondation mutuelle qui stimulent l'activité et l'emploi. Les contraintes extérieures, la mondialisation, les changements techniques sont moins des obstacles à surmonter que des opportunités. La prospective participative utilisant des méthodes simples et appropriables est aussi un puissant levier de dynamique des entreprises et des territoires.
Le recours systématique et abusif aux scénarios en prospective au détriment des leçons à tirer de l'histoire et des comparaisons entre entreprises et territoires pour bâtir des projets de développement est un biais courant.
Tout d'abord, prospective et scénarios ne sont pas synonymes ; ces derniers n'ont guère d'intérêt si ils ne sont ni pertinents (se poser les bonnes questions), ni cohérents, ni vraisemblables. Certes, la construction collective de scénarios souhaités peut jouer un rôle de thérapie collective, mais dans ce cas le résultat (le scénario) est moins important que le processus collectif qui y a conduit. Quitte à réfléchir à l'avenir ensemble, autant se poser les bonnes questions, à commencer par celles qui ne sont pas consensuelles parce qu'elles bousculent les habitudes et l'ordre établi.
Si les processus de prospective et stratégie sont liés, ils restent distincts et il convient de bien séparer :
- le temps de l’anticipation, c’est-à-dire de la prospective des changements possibles et souhaitables,
- le temps de la préparation de l’action, c’est-à-dire l’élaboration et l’évaluation des choix stratégiques possibles pour se préparer aux changements attendus (préactivité) et provoquer les changements souhaitables (pro activité).
Il faut d'autant moins confondre les scénarios de la prospective avec le choix des options stratégiques que ce ne sont pas nécessairement les mêmes acteurs internes qui sont en première ligne. La phase d'anticipation des mutations se doit d'être collective et suppose l'implication du plus grand nombre (démocratie participative). Elle fait par conséquent appel aux outils de la prospective pour organiser et structurer de manière transparente et efficace la réflexion collective sur les enjeux du futur et éventuellement l'évaluation des options stratégiques. En revanche, pour des raisons de confidentialité et/ou de responsabilité, la phase de choix stratégiques est du ressort d'un nombre limité de personnes, les élus (démocratie élective) ou les membres du Comité de direction de l'entreprise. Cette dernière phase a donc moins besoin de méthode spécifique, les décisions doivent être prises après concertation et consensus entre les dirigeants, compte tenu du mode de régulation propre à la culture de l'entreprise ou du territoire ainsi que du tempérament et de la personnalité de ses dirigeants. Les outils sont utiles pour préparer les choix, mais ils ne se doivent pas se substituer à la liberté de ces choix.
Last but not least, l'usage des scénarios est d'autant plus abusif que ces derniers portent sur le contexte futur en partant de la question " Que peut-il advenir ? " (Q1). Cette question prospective naturelle conduit généralement les territoires, comme les entreprises, à refaire le monde pour mieux oublier de se poser la question essentielle des projets en partant de leur identité, de leur histoire, de leurs forces et de leurs faiblesses et, finalement, du fameux " connais-toi toi-même " des Grecs anciens. La question Q1, doit être précédée par la question Q0 : " Qui suis-je ? ". Cette question préalable impose un retour aux sources sur ses racines de compétences, les leçons des échecs et succès passés. L'analyse stratégique redécouvre maintenant l'importance du “ Connais-toi, toi-même " socratique. Avant de se demander où l'on veut aller, ce qu'il peut advenir et ce que l'on peut faire, il faut savoir qui l'on est et bien se connaître. En effet, comme le soulignait Vauvenargues : " Le sentiment de nos forces les augmente, le sentiment de nos faiblesses les réduit ! "
La prospective seule est généralement centrée sur le " Que peut-il advenir ? " (Q1). Elle devient stratégique quand une organisation s’interroge sur le " Que puis-je faire ? " (Q2). Une fois ces deux questions traitées, la stratégie part du " Que puis-je faire ?" (Q2) pour s’en poser deux autres : " Que vais-je faire ? " (Q3) et " comment le faire ? " (Q4). D’où le chevauchement entre la prospective et la stratégie.
La prospective dans les territoires, comme dans les entreprises, a tendance à oublier la question Q0 (la connaissance de soi, de son histoire passée et de ses désirs pour l'avenir), qui est pourtant essentielle si l'on admet que les facteurs de développement sont endogènes, pour se focaliser sur la question Q1, la réflexion sur les scénarios de contexte. Cette réflexion n'est pas inutile ; il est bon de se préparer à faire face aux éventualités. Mais elle est forcément limitée, puisque l'avenir est imprévisible et reste à construire. Tous les territoires seront confrontés aux mêmes contraintes et opportunités. La différence viendra de la plus ou moins bonne capacité de certains à augmenter leurs forces et réduire leurs faiblesses. Compter sur soi, voilà le comportement le plus efficace et le plus à la portée des acteurs d'un territoire. Le diagnostic et les prescriptions ne suffisent pas pour passer à l'acte. La réussite du Q4 (" Comment faire ? ") passe par l'appropriation et, pour cela, rien de tel qu'une bonne prospective participative en amont.
La surestimation des changements techniques et des risques de rupture
Ce qui est technologiquement possible n'est pas nécessairement économiquement rentable. Ainsi, on a tendance à surestimer la rapidité des changements notamment techniques et à considérer que l’on vit une période de mutations sans précèdent, après laquelle rien d’aussi important ne se produira. Dans la foulée, certains vont même jusqu’à dire que l’on serait rentré dans l’ère d’un monde fini et que ce serait la fin de l’histoire ! Ce biais est naturel. Chaque génération considère que son époque est exceptionnelle. Forcement, puisque c’est la seule qu’elle vivra !
Cessons donc de nous faire peur et de nous impressionner les uns les autres en annonçant par exemple que les deux tiers des produits ou des connaissances de demain n'existent pas encore aujourd'hui ! Sur bien des plans l'Europe de 2020 ressemblera à celle d'aujourd'hui : les enfants iront dans les mêmes écoles où régneront toujours la craie et le tableau noir, malgré la banalisation des ordinateurs dans les cartables.
Les hommes de demain ne s'activeront pas moins que ceux d'aujourd'hui. Ils chercheront dans le travail au bureau comme dans la vie associative d'abord des lieux de reconnaissance mutuelle, de lien social sans lesquels la vie perd son sens et devient l'enfer de la solitude des individus branchés sur d'autant plus de réseaux informationnels qu'ils ont faim de chaleur humaine !
C'est le grand paradoxe des sociétés modernes : grâce aux technologies de l'information chacun est plus proche, branché sur le monde entier, mais n'a plus de prochain à qui parler. Certains payent même fort cher pour qu'un psychanalyste les écoute ! Du point de vue du contact humain, le travail à distance ne constitue pas non plus un progrès, c'est la raison pour laquelle, il restera marginal. En effet, il n'y a pas de réponse technique ou économique à des problèmes qui sont d'une autre nature : c’est comme si l’on donnait un bonbon à un enfant qui réclame de l’affection. Les grandes questions de demain sont d'abord liées aux fractures sociales et au vide spirituel d'une société où le tout économique ne suffit pas à donner un sens à la vie et à l’action.
Ce qui est technologiquement possible n'est pas nécessairement économiquement rentable. Ainsi, on a tendance à surestimer la rapidité des changements notamment techniques et à considérer que l’on vit une période de mutations sans précèdent, après laquelle rien d’aussi important ne se produira. Dans la foulée, certains vont même jusqu’à dire que l’on serait rentré dans l’ère d’un monde fini et que ce serait la fin de l’histoire ! Ce biais est naturel. Chaque génération considère que son époque est exceptionnelle. Forcement, puisque c’est la seule qu’elle vivra !
Cessons donc de nous faire peur et de nous impressionner les uns les autres en annonçant par exemple que les deux tiers des produits ou des connaissances de demain n'existent pas encore aujourd'hui ! Sur bien des plans l'Europe de 2020 ressemblera à celle d'aujourd'hui : les enfants iront dans les mêmes écoles où régneront toujours la craie et le tableau noir, malgré la banalisation des ordinateurs dans les cartables.
Les hommes de demain ne s'activeront pas moins que ceux d'aujourd'hui. Ils chercheront dans le travail au bureau comme dans la vie associative d'abord des lieux de reconnaissance mutuelle, de lien social sans lesquels la vie perd son sens et devient l'enfer de la solitude des individus branchés sur d'autant plus de réseaux informationnels qu'ils ont faim de chaleur humaine !
C'est le grand paradoxe des sociétés modernes : grâce aux technologies de l'information chacun est plus proche, branché sur le monde entier, mais n'a plus de prochain à qui parler. Certains payent même fort cher pour qu'un psychanalyste les écoute ! Du point de vue du contact humain, le travail à distance ne constitue pas non plus un progrès, c'est la raison pour laquelle, il restera marginal. En effet, il n'y a pas de réponse technique ou économique à des problèmes qui sont d'une autre nature : c’est comme si l’on donnait un bonbon à un enfant qui réclame de l’affection. Les grandes questions de demain sont d'abord liées aux fractures sociales et au vide spirituel d'une société où le tout économique ne suffit pas à donner un sens à la vie et à l’action.
La sous estimation des inerties
Si l’on surestime les changements, c’est aussi parce que l’on sous-estime les inerties, c’est-à-dire ce qui ne change pas ou très lentement. En réalité, le monde change mais les problèmes demeurent car ils sont liés à la nature humaine qui apparaît comme le grand invariant de l’histoire. Ce sont les mêmes pulsions de pouvoir, d’argent, d’amour et de haine qui animent les hommes d’aujourd’hui comme ceux de la Grèce ancienne. Les hommes politiques savent bien que la proportion de traîtres, aujourd’hui, n’a pas diminué depuis Judas. Seulement l’espérance de vie ayant augmenté, ce sont des amis de 20 ans qui les trahissent ! Tout ou presque, a déjà été dit ou entendu. Mais chacun a besoin de le redécouvrir par lui-même, pour se l’approprier et s’en persuader.
Il faut étudier et connaître la nature humaine pour comprendre ce qui se passe. Il faut retrouver la mémoire du passé pour éclairer l’avenir et se souvenir de ces propos tenus dans le film “ Le guépard ” : il faut que tout change pour que tout recommence ! Le monde change, mais les hommes conservent, au cours du temps, de troublantes similitudes de comportements qui les conduisent, placés devant des situations comparables, à réagir de manière quasi identique et par conséquent prévisible. En tant que consultant, j’ai pu vérifier plusieurs fois à quel point l’expertise acquise en un domaine ( énergie, technologie, agriculture, éducation, transport aérien, entrepreneuriat…) résistait à l’épreuve du temps. Ce qui est rassurant pour la compétence, il suffit généralement de prendre des chiffres récents pour retrouver les conclusions d’hier sur les mécanismes fondamentaux qui régissent les relations entre les variables et les acteurs.
Une innovation, c’est moins une idée nouvelle que l’abandon d’une idée ancienne. L’idée existait, mais elle n’arrivait pas à percer sur le marché en raison du poids des habitudes. Nous sommes dans une économie de la diversité. La tendance est à la production de masse de la variété à petite échelle. Il faut donc innover, oui, mais en ciblant des besoins assez simples qui correspondent aux grandes préoccupations de notre société : satisfaction des besoins de base ( se nourrir, se chauffer, se vêtir, se déplacer) mais aussi solitude grandissante, craintes pour la santé, la sécurité personnelle, développement durable… Les comportements humains et les besoins fondamentaux ne changent pas autant que le voudraient les spécialistes du marketing : l’innovation c’est souvent une nouvelle manière de répondre à un besoin ancien et négligé. Le cycle de la pomme est exemplaire à cet égard : ce qui est recherché maintenant ce sont les variétés rustiques oubliées, au calibre inégal : elles sont mêmes plus chères si certaines sont véreuses ce qui prouve qu’elles n’ont pas été traitées !
Retenons qu’il y a peu d’innovation de ruptures, la plupart sont incrémentales, progressives et à force de s’accumuler se traduisent par des ruptures. Il en est ainsi des grandes décisions qui finissent par s’imposer suite à des petites décisions qui les préparent et font qu’elles deviennent de moins en moins improbables . Il en est ainsi de la fracture numérique et son impact sur la presse quotidienne : la chute du lectorat d’une génération à l’autre a précédé l’arrivée d’internet et a seulement été accélérée par les TIC.
Si l’on surestime les changements, c’est aussi parce que l’on sous-estime les inerties, c’est-à-dire ce qui ne change pas ou très lentement. En réalité, le monde change mais les problèmes demeurent car ils sont liés à la nature humaine qui apparaît comme le grand invariant de l’histoire. Ce sont les mêmes pulsions de pouvoir, d’argent, d’amour et de haine qui animent les hommes d’aujourd’hui comme ceux de la Grèce ancienne. Les hommes politiques savent bien que la proportion de traîtres, aujourd’hui, n’a pas diminué depuis Judas. Seulement l’espérance de vie ayant augmenté, ce sont des amis de 20 ans qui les trahissent ! Tout ou presque, a déjà été dit ou entendu. Mais chacun a besoin de le redécouvrir par lui-même, pour se l’approprier et s’en persuader.
Il faut étudier et connaître la nature humaine pour comprendre ce qui se passe. Il faut retrouver la mémoire du passé pour éclairer l’avenir et se souvenir de ces propos tenus dans le film “ Le guépard ” : il faut que tout change pour que tout recommence ! Le monde change, mais les hommes conservent, au cours du temps, de troublantes similitudes de comportements qui les conduisent, placés devant des situations comparables, à réagir de manière quasi identique et par conséquent prévisible. En tant que consultant, j’ai pu vérifier plusieurs fois à quel point l’expertise acquise en un domaine ( énergie, technologie, agriculture, éducation, transport aérien, entrepreneuriat…) résistait à l’épreuve du temps. Ce qui est rassurant pour la compétence, il suffit généralement de prendre des chiffres récents pour retrouver les conclusions d’hier sur les mécanismes fondamentaux qui régissent les relations entre les variables et les acteurs.
Une innovation, c’est moins une idée nouvelle que l’abandon d’une idée ancienne. L’idée existait, mais elle n’arrivait pas à percer sur le marché en raison du poids des habitudes. Nous sommes dans une économie de la diversité. La tendance est à la production de masse de la variété à petite échelle. Il faut donc innover, oui, mais en ciblant des besoins assez simples qui correspondent aux grandes préoccupations de notre société : satisfaction des besoins de base ( se nourrir, se chauffer, se vêtir, se déplacer) mais aussi solitude grandissante, craintes pour la santé, la sécurité personnelle, développement durable… Les comportements humains et les besoins fondamentaux ne changent pas autant que le voudraient les spécialistes du marketing : l’innovation c’est souvent une nouvelle manière de répondre à un besoin ancien et négligé. Le cycle de la pomme est exemplaire à cet égard : ce qui est recherché maintenant ce sont les variétés rustiques oubliées, au calibre inégal : elles sont mêmes plus chères si certaines sont véreuses ce qui prouve qu’elles n’ont pas été traitées !
Retenons qu’il y a peu d’innovation de ruptures, la plupart sont incrémentales, progressives et à force de s’accumuler se traduisent par des ruptures. Il en est ainsi des grandes décisions qui finissent par s’imposer suite à des petites décisions qui les préparent et font qu’elles deviennent de moins en moins improbables . Il en est ainsi de la fracture numérique et son impact sur la presse quotidienne : la chute du lectorat d’une génération à l’autre a précédé l’arrivée d’internet et a seulement été accélérée par les TIC.
Vraies questions, faux problèmes : se méfier des consensus et des idées reçues
Il n’y a pas de bonne réponse à une mauvaise question. Et pour se poser les bonnes questions il faut se méfier des consensus et des idées reçues. Quand tout le monde est d’accord, c’est suspect et cela mérite d’être regardé de plus près. C’est ce réflexe de bon sens qui nous a conduit à beaucoup travailler ces trente dernières années pour presque à chaque fois conclure que les idées reçues sont erronées. Il y a peu de chances de prescrire les remèdes appropriés si l'on se trompe de diagnostic comme on risque de le faire en suivant les idées dominantes et à la mode. Mais comment se poser les bonnes questions ?
La lumière crée l'ombre
En prospective, les erreurs résultent plus des mauvaises questions que des mauvaises réponses. Ceci s’explique par " l’effet lampadaire ", en référence à l’ivrogne qui, ayant perdu sa clé, cherche sous le lampadaire parce que, là, c’est éclairé. Cet effet est parfois fortuit, mais souvent entretenu par les projecteurs de l’actualité. La lumière crée l’ombre et si certains problèmes sont mis en avant par les médias, c’est souvent pour en masquer ou en faire oublier d’autres.
Relevons des circonstances atténuantes : suivre la mode est un moyen d’être accepté par les autres, de s’intégrer à son groupe de référence. Comme le remarque si justement Jean-Noël Kapferer : " Les expériences montrent pourtant que la conformité au groupe exerce une influence considérable sur nos opinions, elle nous conduit parfois à dire l’inverse de ce que nous pensons et à douter de nos propres convictions ".
Maurice Allais précise à ce propos que " ce n’est que par la constante remise en cause des vérités établies et par la floraison d’idées nouvelles suggérées par l’intuition créatrice que la science peut progresser. Mais tout progrès scientifique réel se heurte à la tyrannie des idées dominantes des establishments dont elles émanent. Plus les idées dominantes sont répandues, plus elles se trouvent, en quelque sorte enracinées dans la psychologie des hommes, et plus il est difficile de faire admettre une conception nouvelle, si féconde qu’elle puisse se révéler ultérieurement ".
Pour réussir à construire l’avenir autrement, il faut commencer par évacuer les faux problèmes et poser les vraies questions. Tant pis si les réponses dérangent. La chasse aux idées reçues est un sport passionnant. Certains pourraient interpréter ce sport intellectuel comme une fâcheuse tendance au " touche-à-tout " ou, encore, comme un exercice facile : il suffirait de prendre le contre-pied des idées dominantes pour garantir le succès médiatique. La réalité est tout autre : ramer à contre-courant impose des efforts considérables. La difficulté provient, naturellement, de la diversité des sujets abordés : de l’énergie à l’éducation, en passant par la technologie, l’emploi, la croissance ou la démographie ; mais aussi des barrières à l’entrée mises en place par les experts patentés d’un domaine. La variété du tableau de chasse témoigne de la curiosité à laquelle incite la vision globale de la prospective avec, pour seules armes, le bon sens et l’analyse des faits.
Bref, la chasse aux idées reçues est un exercice risqué pour la réputation intellectuelle. Généralement, les idées à contre-courant sont très appréciées par ceux qui ne vivent pas du courant en question, mais dès que l’on se mêle de leurs affaires, cela devient vite intolérable. C’est ainsi que les journaux ont publié, sans difficulté, une centaine de mes articles à contre-courant depuis vingt ans, sauf celui concernant la propre sclérose des médias. Autre exemple : en 1979, l’article intitulé " La banque pourrait être la sidérurgie de demain " a fait la fortune d’une expression et suscité un débat (il y a même eu des grèves dans les banques à la suite de cet article) ; mais il a fallu à son auteur attendre dix ans avant d’intervenir à nouveau dans ce milieu. La même histoire pourrait être évoquée à propos des articles sur la " surabondance d’énergie " en 1978, au moment où le lobby des nucléocrates était dominant. Nous avons republié cet article presque mot pour mot vingt ans plus tard ; une chose avait changé le prix du pétrole passé de $12 à $45 le baril et les réserves prouvées de 30 à 47 ans ! En 2007, avec un pétrole proche de $100 le baril on a probablement plus d’un siècle voire deux de réserves prouvées. Mais aucun chiffre ne circule car cela remettrait en cause l’alarmisme ambiant et l’intérêt des énergies de substitution dont les biocarburants. On commence à se rendre compte que le développement inconsidéré de ces derniers a conduit à indexer tous les prix des matières premières agricoles sur l’énergie. Résultat les produits alimentaires voient leur prix flamber et le spectre des pénuries et des famines resurgit : nous n’avons à l’échelle de la planète que deux mois de consommation de céréales devant nous. Et il faudrait consacrer 29% des terres cultivables pour produire l’équivalent en biomasse de 10% des carburants fossiles consommés. L’augmentation des prix à la pompe et les réglementations en faveur des économies d’énergie dans le transport et l’habitat sont certainement de meilleures voies à suivre. Il n’était pas non plus facile de dénoncer trop fortement la " japanosclérose " et certaines " japoniaiseries " sur le management dans les années 80 , ni même la maladie du diplôme en 1988 . Au tournant du XXIe siècle, au moment de la flambée de la nouvelle économie et de la déraison des marchés, il fallait beaucoup de bon sens, et un peu de mémoire, pour se rendre compte que la nouvelle croissance était une vieille lune (2000) .
Les mirages collectifs, les aveuglements et les refus de voir ne datent pas d’hier. Et l’époque moderne n’échappe pas à ce constat. Tout se passe comme si les sociétés humaines passaient d’un mirage à l’autre, pour mieux se cacher la forêt des vrais problèmes qui sont de nature sociale et organisationnelle. Les mirages technologique et éducatif ne doivent pas faire oublier les autres clichés qui sévissent régulièrement. Il en est ainsi du mythe de la taille critique des entreprises, alors qu’il y a toujours des entreprises plus petites et plus performantes dans un secteur donné. Ce mythe a pris, ces dernières années, les habits de la mondialisation, et s'est traduit par des méga-fusions d'entreprises qui ont donné l'impression de batailles de titans à l'échelle planétaire. Maintenant que certains de ces géants aux pieds d'argile se sont effondrés, il est utile de rappeler la réalité historique : plus d'une fusion sur deux, voire deux sur trois, conduisent à des échecs (essentiellement parce que l'on a négligé le facteur humain et fait l'impasse sur les cultures d'entreprise) et que, finalement, seulement une sur dix est créatrice de valeur pour l'acquéreur .
Les clichés des années 2000 portent désormais sur la mondialisation, les délocalisations, la société de la connaissance , l’innovation ou le réchauffement de la planète ; leur remise en cause suppose aussi une bonne dose de témérité et comme toujours une part de risque pour la réputation intellectuelle future.
Il n’y a pas de bonne réponse à une mauvaise question. Et pour se poser les bonnes questions il faut se méfier des consensus et des idées reçues. Quand tout le monde est d’accord, c’est suspect et cela mérite d’être regardé de plus près. C’est ce réflexe de bon sens qui nous a conduit à beaucoup travailler ces trente dernières années pour presque à chaque fois conclure que les idées reçues sont erronées. Il y a peu de chances de prescrire les remèdes appropriés si l'on se trompe de diagnostic comme on risque de le faire en suivant les idées dominantes et à la mode. Mais comment se poser les bonnes questions ?
La lumière crée l'ombre
En prospective, les erreurs résultent plus des mauvaises questions que des mauvaises réponses. Ceci s’explique par " l’effet lampadaire ", en référence à l’ivrogne qui, ayant perdu sa clé, cherche sous le lampadaire parce que, là, c’est éclairé. Cet effet est parfois fortuit, mais souvent entretenu par les projecteurs de l’actualité. La lumière crée l’ombre et si certains problèmes sont mis en avant par les médias, c’est souvent pour en masquer ou en faire oublier d’autres.
Relevons des circonstances atténuantes : suivre la mode est un moyen d’être accepté par les autres, de s’intégrer à son groupe de référence. Comme le remarque si justement Jean-Noël Kapferer : " Les expériences montrent pourtant que la conformité au groupe exerce une influence considérable sur nos opinions, elle nous conduit parfois à dire l’inverse de ce que nous pensons et à douter de nos propres convictions ".
Maurice Allais précise à ce propos que " ce n’est que par la constante remise en cause des vérités établies et par la floraison d’idées nouvelles suggérées par l’intuition créatrice que la science peut progresser. Mais tout progrès scientifique réel se heurte à la tyrannie des idées dominantes des establishments dont elles émanent. Plus les idées dominantes sont répandues, plus elles se trouvent, en quelque sorte enracinées dans la psychologie des hommes, et plus il est difficile de faire admettre une conception nouvelle, si féconde qu’elle puisse se révéler ultérieurement ".
Pour réussir à construire l’avenir autrement, il faut commencer par évacuer les faux problèmes et poser les vraies questions. Tant pis si les réponses dérangent. La chasse aux idées reçues est un sport passionnant. Certains pourraient interpréter ce sport intellectuel comme une fâcheuse tendance au " touche-à-tout " ou, encore, comme un exercice facile : il suffirait de prendre le contre-pied des idées dominantes pour garantir le succès médiatique. La réalité est tout autre : ramer à contre-courant impose des efforts considérables. La difficulté provient, naturellement, de la diversité des sujets abordés : de l’énergie à l’éducation, en passant par la technologie, l’emploi, la croissance ou la démographie ; mais aussi des barrières à l’entrée mises en place par les experts patentés d’un domaine. La variété du tableau de chasse témoigne de la curiosité à laquelle incite la vision globale de la prospective avec, pour seules armes, le bon sens et l’analyse des faits.
Bref, la chasse aux idées reçues est un exercice risqué pour la réputation intellectuelle. Généralement, les idées à contre-courant sont très appréciées par ceux qui ne vivent pas du courant en question, mais dès que l’on se mêle de leurs affaires, cela devient vite intolérable. C’est ainsi que les journaux ont publié, sans difficulté, une centaine de mes articles à contre-courant depuis vingt ans, sauf celui concernant la propre sclérose des médias. Autre exemple : en 1979, l’article intitulé " La banque pourrait être la sidérurgie de demain " a fait la fortune d’une expression et suscité un débat (il y a même eu des grèves dans les banques à la suite de cet article) ; mais il a fallu à son auteur attendre dix ans avant d’intervenir à nouveau dans ce milieu. La même histoire pourrait être évoquée à propos des articles sur la " surabondance d’énergie " en 1978, au moment où le lobby des nucléocrates était dominant. Nous avons republié cet article presque mot pour mot vingt ans plus tard ; une chose avait changé le prix du pétrole passé de $12 à $45 le baril et les réserves prouvées de 30 à 47 ans ! En 2007, avec un pétrole proche de $100 le baril on a probablement plus d’un siècle voire deux de réserves prouvées. Mais aucun chiffre ne circule car cela remettrait en cause l’alarmisme ambiant et l’intérêt des énergies de substitution dont les biocarburants. On commence à se rendre compte que le développement inconsidéré de ces derniers a conduit à indexer tous les prix des matières premières agricoles sur l’énergie. Résultat les produits alimentaires voient leur prix flamber et le spectre des pénuries et des famines resurgit : nous n’avons à l’échelle de la planète que deux mois de consommation de céréales devant nous. Et il faudrait consacrer 29% des terres cultivables pour produire l’équivalent en biomasse de 10% des carburants fossiles consommés. L’augmentation des prix à la pompe et les réglementations en faveur des économies d’énergie dans le transport et l’habitat sont certainement de meilleures voies à suivre. Il n’était pas non plus facile de dénoncer trop fortement la " japanosclérose " et certaines " japoniaiseries " sur le management dans les années 80 , ni même la maladie du diplôme en 1988 . Au tournant du XXIe siècle, au moment de la flambée de la nouvelle économie et de la déraison des marchés, il fallait beaucoup de bon sens, et un peu de mémoire, pour se rendre compte que la nouvelle croissance était une vieille lune (2000) .
Les mirages collectifs, les aveuglements et les refus de voir ne datent pas d’hier. Et l’époque moderne n’échappe pas à ce constat. Tout se passe comme si les sociétés humaines passaient d’un mirage à l’autre, pour mieux se cacher la forêt des vrais problèmes qui sont de nature sociale et organisationnelle. Les mirages technologique et éducatif ne doivent pas faire oublier les autres clichés qui sévissent régulièrement. Il en est ainsi du mythe de la taille critique des entreprises, alors qu’il y a toujours des entreprises plus petites et plus performantes dans un secteur donné. Ce mythe a pris, ces dernières années, les habits de la mondialisation, et s'est traduit par des méga-fusions d'entreprises qui ont donné l'impression de batailles de titans à l'échelle planétaire. Maintenant que certains de ces géants aux pieds d'argile se sont effondrés, il est utile de rappeler la réalité historique : plus d'une fusion sur deux, voire deux sur trois, conduisent à des échecs (essentiellement parce que l'on a négligé le facteur humain et fait l'impasse sur les cultures d'entreprise) et que, finalement, seulement une sur dix est créatrice de valeur pour l'acquéreur .
Les clichés des années 2000 portent désormais sur la mondialisation, les délocalisations, la société de la connaissance , l’innovation ou le réchauffement de la planète ; leur remise en cause suppose aussi une bonne dose de témérité et comme toujours une part de risque pour la réputation intellectuelle future.
Société de la connaissance et mirage technologique
Au sommet de Lisbonne en 2000, l’Europe s’est entichée du concept de société ou d’économie de la connaissance, pour lequel elle s’était même fixée un objectif de leadership mondial. L’Europe vieillissante se rassurait pour l’avenir, s’imaginant peuplée de cheveux gris savants, jeunes d’esprit et champions de l’innovation. Après la société de l’information des années 80, la nouvelle économie des années 90, les abonnés du mirage technologique ont lancé un nouveau concept, la société de la connaissance, pour dire la même chose ou presque.
Société de la connaissance, économie de la connaissance, knowledge management Pesqueux, 2006… autant de concepts actuellement en vogue, tant dans le milieu des entreprises et des institutions, qu’en sciences de gestion. Certes, la capacité des organisations à " apprendre à apprendre " est devenue un facteur-clé de compétitivité, mais les entreprises développent des pratiques contraires : l’urgence et la réactivité prévalent sur l’anticipation et le projet. La pollution informationnelle par Internet ne suffit pas, il faut plus que jamais apprendre à trier le bon grain de l’ivraie. Hélas, la mémoire des idées est ignorée, voire détruite. Ainsi, en 2002, Schlumberger a racheté la Sema, temple de la matière grise du conseil en entreprises des années 60-70, et envoyé toute la documentation, ouvrages introuvables et rapports d’études archivés depuis 40 ans, à la benne à ordure. La mise à la casse des travailleurs âgés de plus de 55 ans, qui sont porteurs de ce fameux capital humain, tant vanté par ailleurs, témoigne du même gâchis. Le management par la connaissance ne peut se faire sans management de la connaissance. Pour aller dans le sens de l’économie de la connaissance, il faut certainement respecter la connaissance et non la maltraiter.
La société de la connaissance est un beau défi, à condition de commencer par faire en sorte qu'il n'y ait plus 20 % des enfants qui entrent en sixième sans savoir correctement lire, écrire et compter. Car il n’est de richesses que d’hommes éduqués ! L ’homme se comporte vite comme un animal sauvage dans une société barbare . La civilisation est fragile et ne tient qu’au fil fragile de l’éducation.
Au sommet de Lisbonne en 2000, l’Europe s’est entichée du concept de société ou d’économie de la connaissance, pour lequel elle s’était même fixée un objectif de leadership mondial. L’Europe vieillissante se rassurait pour l’avenir, s’imaginant peuplée de cheveux gris savants, jeunes d’esprit et champions de l’innovation. Après la société de l’information des années 80, la nouvelle économie des années 90, les abonnés du mirage technologique ont lancé un nouveau concept, la société de la connaissance, pour dire la même chose ou presque.
Société de la connaissance, économie de la connaissance, knowledge management Pesqueux, 2006… autant de concepts actuellement en vogue, tant dans le milieu des entreprises et des institutions, qu’en sciences de gestion. Certes, la capacité des organisations à " apprendre à apprendre " est devenue un facteur-clé de compétitivité, mais les entreprises développent des pratiques contraires : l’urgence et la réactivité prévalent sur l’anticipation et le projet. La pollution informationnelle par Internet ne suffit pas, il faut plus que jamais apprendre à trier le bon grain de l’ivraie. Hélas, la mémoire des idées est ignorée, voire détruite. Ainsi, en 2002, Schlumberger a racheté la Sema, temple de la matière grise du conseil en entreprises des années 60-70, et envoyé toute la documentation, ouvrages introuvables et rapports d’études archivés depuis 40 ans, à la benne à ordure. La mise à la casse des travailleurs âgés de plus de 55 ans, qui sont porteurs de ce fameux capital humain, tant vanté par ailleurs, témoigne du même gâchis. Le management par la connaissance ne peut se faire sans management de la connaissance. Pour aller dans le sens de l’économie de la connaissance, il faut certainement respecter la connaissance et non la maltraiter.
La société de la connaissance est un beau défi, à condition de commencer par faire en sorte qu'il n'y ait plus 20 % des enfants qui entrent en sixième sans savoir correctement lire, écrire et compter. Car il n’est de richesses que d’hommes éduqués ! L ’homme se comporte vite comme un animal sauvage dans une société barbare . La civilisation est fragile et ne tient qu’au fil fragile de l’éducation.
2° Trois clefs pour la compétitivité : anticiper, innover et motiver
Quelles que soient les incertitudes de l’avenir, les entreprises seront confrontées aux mêmes tendances et devront faire face aux mêmes ruptures. Comme toujours, les structures, les comportements et la qualité des hommes feront la différence entre les gagnants et les perdants, raison pour laquelle l’on trouve des entreprises performantes dans des secteurs dits en déclin ou, au contraire, en perte dans des secteurs dits porteurs. Ainsi, lorsqu'une entreprise est en difficulté, il ne sert à rien de la subventionner en cherchant un bouc émissaire dans les mutations technologiques ou dans la concurrence déloyale. Tout s'explique, le plus souvent, par un défaut de qualité du management incapable d'anticiper, d'innover et de motiver les hommes. Le même constat s'applique aux territoires en difficulté : avant de les aider, il faut d’abord changer les dirigeants .
Innovation compétitive : la technologie n’est pas l’essentiel
Valoriser ou innover ? Les entreprises ont trop souvent tendance à privilégier l’une de ces dimensions au détriment de l’autre. Pourtant les deux voies sont complémentaires et nécessaires. Il faut, tout à la fois, valoriser ce qui peut l’être, par réduction des coûts et amélioration des performances et, innover pour toujours faire plus, mieux et différent, par rapport aux concurrents. Ce ne sont d’ailleurs pas les mêmes hommes qui doivent être charge de la valorisation : l’un doit réduire les coûts , l’autre doit investir et prendre des risques .
De son côté, l’innovation (littéralement, “ l’introduction d’une nouveauté ”) ne se réduit pas aux volets technologiques (innovation de process, de produits) reliant la Recherche et Développement à la production et au marché. Il ne faut pas négliger les innovations de distribution (lien entre la production et le marché) qui, tout autant que les précédentes, peuvent être profitables : songeons au conditionnement de l’eau minérale en petites bouteilles de 50 cl ; de nouveaux marchés très rentables se sont ainsi ouverts.
Si les trois pôles (recherche, production et marché) définissent bien un “ triangle de l’innovation ”, celui-ci n’est qu’une partie des dix faces de ce que Marc Giget a baptisé le " Diamant de l’innovation ". En effet, il faut tenir compte de toutes les ressources fondamentales de l’entreprise et relier les trois pôles précédents aux deux ressources manquantes : humaines et financières.
Ainsi, c’est innover financièrement que de transformer ses lecteurs en actionnaires comme l’a fait le journal Le Monde. C’est encore innover que de diffuser ses produits par quelques clients relais tel Tupperware. Au total, il y a dix axes possibles d’innovation à explorer dans le diamant de Marc Giget. Aucun d’entre eux n’est préférable a priori, il faut évaluer les coûts, les risques et les perspectives de chaque axe avant de privilégier tel(s) ou tel(s). Retenons l’idée : l’innovation n’est pas synonyme de technologie. La connaissance est bien le moteur de l’innovation. Ce n’est pas une raison pour cultiver le mirage technologique et la fuite en avant dans les dépenses de R&D. L’innovation n’est pas uniquement technique, mais aussi commerciale, organisationnelle et financière. La technologie, bien qu'importante, ne saurait constituer l'essentiel.
Cessons de considérer que la dépense de R&D est le principal indicateur porteur d'espoir pour l'avenir. Plus que le montant, compte l'efficacité de la dépense. Les comparaisons internationales montrent que les entreprises les plus performantes dans un secteur sont celles qui font un effort moyen en R&D et qui, donc, agissent en dépensant moins. Le cabinet américain de conseil en stratégie Booz Allen Hamilton a même montré, en analysant les 1 000 premières entreprises mondiales, selon leur budget R&D, qu’il n’y avait pas de lien direct entre le montant des dépenses de recherche et développement engagé et le succès de ces entreprises, qu’il soit mesuré en termes de croissance du chiffre d’affaires, de rentabilité ou de retour sur investissements pour les actionnaires . Le même constat se vérifie au sujet des États : les petits pays comme l’Irlande ont un effort de R&D moindre que les grands, mais une croissance du PIB supérieure !
A la lumière de ce diagnostic, faut-il vraiment, comme le préconisent tant de rapports officiels, s’inspirer du pays leader, les États-Unis, et lancer des grands projets de recherche dans les secteurs de haute technologie (technologies de l'information, armement, aéronautique) et développer l'enseignement supérieur long ?
Qu'il soit permis de douter de ce remède éternellement avancé. Les États-Unis ne sont pas aussi performants qu'on le dit, à en juger par leur déficit extérieur abyssal (700 milliards de dollars !) ; ils vivent, grâce à leur rente impériale, bien au-dessus de leurs moyens et cela n'est pas durable. La France, contrairement à l'Allemagne, investit déjà beaucoup trop dans les secteurs " recherchivores " (40 % des dépenses publiques de recherche sont concentrés dans le nucléaire, l'espace et le militaire et profitent d'abord à quelques grandes entreprises) et pas assez pour stimuler les recherches dans les secteurs de moyenne ou basse technologie et dans les PME ; ces dernières bénéficient de moins de 10 % de l'effort public de recherche. La France a, aussi, presque deux fois plus de diplômés de l'enseignement supérieur que l'Allemagne, cinq fois moins d'apprentis et son solde extérieur en bien d’équipements est trois fois plus faible ! Cherchez l’erreur !
Comparée à l’Allemagne, la France manque surtout de grandes PMI, en raison du coût capitalistique très élevé et des problèmes liés à la transmission du patrimoine. Il n'y a, en France, que 2 000 entreprises industrielles de plus de 250 salariés. Elles comptent pour 65 % de la valeur ajoutée du secteur et assurent les quatre cinquièmes des exportations. 25 % de la valeur ajoutée revient aux 20 000 entreprises ayant entre 50 et 250 employés. Et il n'y a que 1 % des créateurs, soit 2 000 par an, qui se lancent dans l'industrie.
La clé de la compétitivité ne consiste pas à baser sa stratégie sur les technologies, mais à intégrer au mieux ces technologies dans une stratégie, pour atteindre des objectifs souhaités avec des équipes motivées. En effet, c'est le management et les hommes qui font la différence… Un bon département de R et D ne doit pas être gigantesque. Il doit simplement être certes capable d'inventer mais surtout de capter les idées beaucoup plus nombreuses venues de l'extérieur. Mais pour copier, il faut savoir lire ! D’où l’importance qu’il y a à recruter des chercheurs de haut niveau , reconnus par des pairs, prêts à montrer leur copie pour être reconnus.. Il faut de plus mettre les chercheurs en relation avec les hommes du marketing et de la vente qui sont au plus près des attentes des clients et fournisseurs dont on sait qu’ils sont à l’origine des deux tiers des innovations.
Quand à la recherche universitaire il faut lui laisser ses degrés de liberté mais récompenser plus clairement dans leurs rémunérations et dans leur carrière les chercheurs tournés vers les applications industrielles et économiques de leurs idées ainsi que ceux qui entendent répondre aux questions que pose la société au travers du développement durable notamment. Il ne faut pas non plus trop protéger les chercheurs universitaires par un statut : la meilleure des sécurités c’est la compétence. Et si un chercheur n’est pas renouvelé dans son Institut, il finira bien par se faire recruter dans une entreprise, ce qui est aussi une manière très efficace d’assurer les transferts de compétences et de technologies du laboratoire à l’entreprise et d’un secteur à l’autre.
Les magiciens de la croissance
Henry Ford l'avait bien dit : " Prenez-moi tout, mais laissez-moi les hommes et je recommencerai tout ". La mobilisation de l’intelligence créative est d’autant plus efficace qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un projet explicite et connu de tous. C’est par l’appropriation que passe la réussite. Motivation interne et stratégie externe sont donc deux objectifs indissociables qui ne peuvent être atteints séparément.
La croissance compétitive de longue période tient à l'innovation et à la prise de risque. Les entrepreneurs en sont bien les magiciens. Hélas, le déficit d'entrepreneurs est aussi l'un des traits fondamentaux de l'exception française. Ces mêmes élites, souvent issues de l’administration, se comportent en gestionnaires de l'existant. Or la gestion ne doit pas être confondue avec la stratégie : la première minimise les risques, la seconde les optimise.
Au lieu de se battre de manière défensive sur les marchés existants, l'entrepreneur part à la conquête du futur. Il ne se limite pas à la réactivité, mais se projette délibérément dans l'action offensive grâce notamment à l’anticipation et à l'innovation. En effet, l'entrepreneur innovant change les règles au lieu de s'y soumettre. On le sait, c'est l'activité qui crée l'emploi. C'est donc l'esprit d'entreprise qu'il faut encourager au sein des sociétés existantes (intrapreneur-ship) ou créées en vue de nouveaux développements.
Pour muscler les entreprises face à la compétition internationale, il n’y a pas d’autre voie à suivre que celle de la spécialisation dans les productions innovantes et à haute valeur ajoutée. Il n’y a pas de secteurs condamnés, ni de fatalité dans les difficultés des entreprises ; il n’y a que des managers défaillants et des entrepreneurs qui ont cessé de remettre en cause leur production, alors qu’il faut innover pour gagner dans un monde en perpétuel changement. Les entreprises qui se contentent de vendre ce qu’elles produisent sont condamnées. Pour conquérir les marchés, il faut produire ce qui se vend, c'est-à-dire des biens et des services répondant à des besoins réels ou latents. Les entrepreneurs innovants sont bien les magiciens de la croissance.
L'homme au cœur de la différence
Pour nombre d'entreprises et de territoires en difficulté, le naufrage s'explique plus par les insuffisances internes de management que par la tempête qui sévit à l'extérieur. Sans bon capitaine, point d'équipe gagnante. Le chef idéal doit savoir anticiper, susciter l'adhésion et l'enthousiasme, agir avec ténacité et réagir sans précipitation. Le bon cap ne suffit pas à assurer une stratégie, il y faut aussi un équipage préparé et motivé à la manœuvre. Ainsi, pour une entreprise, le front extérieur et le front intérieur constituent un seul et même combat. La bataille sera gagnée sur les deux fronts à la fois ou sur aucun. En d’autres termes, face aux mutations de l’environnement stratégique, l’avenir d’une entreprise ou d'un territoire dépend en grande partie de ses forces et faiblesses internes. Et, ces dernières ne seront valorisées et surmontées que dans le cadre de projets individuels et collectifs au sein d’espaces solidaires.
Il faut bien distinguer le " strategic gap " du " performance gap " et ne pas oublier le " management gap ". Par exemple, faut-il absolument devenir plus gros pour être rentable ? Il se pourrait bien que " l’effet d’échelle soit de plus en plus souvent indépendant de la taille ", notamment grâce aux organisations en réseaux. En réalité, il existe toujours dans le même secteur des entreprises plus petites et plus performantes. La bonne question à se poser est donc : comment être rentable à la taille où l'on se trouve ? Et la réponse à cette dernière question passe souvent par une décroissance provisoire. Comme pour les arbres, une fois élagués, ils repoussent mieux !
Le " strategic gap " (écart par rapport aux objectifs de croissance en volume) est peut-être moins important que le " performance gap " : ce qui compte c’est d’être rentable au niveau où l’on se trouve. Une des conditions pour combler le "performance gap" est bien sûr de rattraper le " management gap ". Ce dernier pose la question de l’adaptation des structures et des comportements au sein de l’entreprise. Le principal facteur limitant au développement des entreprises est le facteur humain, le temps nécessaire pour former les hommes et les motiver autour de projets. En effet, l'action qui n'a pas de but n'a pas de sens. C'est l'anticipation qui éclaire l'action et lui donne un sens avec le double sens du mot sens : direction et signification.
" Gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre "
Les hommes ne font vraiment bien que ce qu’ils comprennent. Comme le soulignait Henri Fayol : " Si gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre. " Le fameux dirigeant de première classe, dont parle Mary Parker Follett, n’est pas celui qui donne des ordres à ses collaborateurs, mais celui qui, sachant asseoir son autorité sur la compétence et sur l’animation, suscite des initiatives allant dans le sens des ordres qu’il aurait pu leur donner.
Un responsable sachant asseoir son autorité sur sa compétence et sur l’animation peut laisser ses collaborateurs prendre des initiatives. Il n’a même plus à négocier des objectifs, ceux-ci sont, naturellement, suscités. En France, on est plus loin de ce nouvel idéal qu'ailleurs, peut-être en raison du mode de formation et de sélection des dirigeants des grandes entreprises.
Les modes managériales se succèdent avec toujours un point commun. Il s'agit de motiver les hommes en leur lançant de nouveaux défis, étant entendu que le processus d'implication est l'objectif recherché ; il s'obtient avec ou sans le résultat. C'est en ce sens que les analyses stratégiques partagées peuvent produire la synthèse de l'engagement collectif, contrairement à ce qu'avance Henry Mintzberg (1994). Le plus difficile n'est pas de faire les bons choix, mais d'être sûr que l'on réussisse à ce que chacun se pose les vraies questions. Un problème bien posé, et collectivement partagé par ceux qui sont concernés, est déjà presque résolu. N'est-ce pas ce que signifie Michel Crozier lorsqu'il déclare : " le problème, c'est le problème ! "
Au-delà des modes, il y a des acquis et des convergences car si le monde change, les problèmes liés à la nature humaine sont récurrents.. Pour s’en convaincre, rien de tel qu’un retour aux fondateurs de la pensée managériale du début de ce siècle (Fayol, Taylor, Mary Parker Follett). Il faudrait aussi remonter aux sources de la pensée stratégique militaire (Sun Tzu, Clausewitz, Général Beaufre, etc.) et considérer les modèles d'organisation qui ont résisté à l'épreuve du temps, comme l'Eglise. Ils sont partis à douze et cela dure depuis 2000 ans! La longévité de l’Eglise catholique a plusieurs explications : un engagement individuel au service d’un projet collectif, l’adhésion à une communauté très structurée mais avec le principe de subsidiarité et un nombre limité de niveaux hiérarchiques (le curé, l’évêque, le pape) pour une organisation si variée et de masse.
De la vertu des ruptures et des facteurs briseurs d’habitudes
Si le principal facteur de compétitivité et d’excellence des entreprises est bien le facteur humain et organisationnel et s’il faut toujours des processus pour impliquer les hommes et susciter leur motivation, la question reste posée de savoir pourquoi ces processus changent au cours du temps, diffèrent d’un pays à l’autre et apportent, suivant les cas, des succès ou des échecs, brefs sont contingents ? Le constat de la contingence des clefs de l’excellence et de la fragilité des modes managériales serait désespérant s’il n’était possible d’en tirer un principe de management résistant bien à l’épreuve du temps.
Les 1 001 clés de l’excellence et le principe de contingence
Le principe de contingence affleure régulièrement dans la littérature dès 1968. P. Lawrence et J. Lorsch écrivaient : " Il n’y a pas une structure qui est meilleure mais plutôt différentes structures qui sont les meilleures dans différentes conditions ". Les facteurs clés de succès, universels, valables en toutes circonstances, n’existent pas. Le zéro stock et les flux tendus ont été des objectifs rentables pour certaines entreprises mais aussi très coûteux pour d’autres. Les théoriciens du management devraient se rappeler les leçons de la statistique et ne pas confondre corrélation avec causalité. Il faut donc reconnaître le principe de contingence et admettre qu’il y a des combinaisons humaines, organisationnelles, techniques et financières qui sont efficaces, dans un contexte donné et qui ne le sont plus dans d’autres. Ces combinaisons sont multiples et changeantes au cours du temps.
Les facteurs briseurs d’habitudes et le principe de changement
Une autre caractéristique peut être avancée, c’est le principe de changement " source de diversité ". L’on sait bien que " l’ennui naît de l’uniformité ". La variété est un stimulant indispensable à la motivation ; sans elle l’efficacité s’étiole, avec elle tout est possible. Souvenons-nous des expériences d’ Elton Mayo, dans les années 1930, qui en augmentant, puis en diminuant, l’intensité de la lumière dans les ateliers de Western Electric améliorait chaque fois le rendement.
D’où une conclusion paradoxale, la clef universelle de l’excellence n’existe pas ! Elle doit être remodelée en permanence, au gré des évolutions de l’environnement, et contre les habitudes qui figent les organisations dans un sommeil parfois mortel. Il y a mille et une clés pour l’excellence (principe de contingence) et il faut sans arrêt en changer (principe de changement).
Comme dans le sport, les hommes ont besoin de facteurs " briseurs d'habitudes " pour rester motivés et la compétition sportive est organisée en ce sens. Les joueurs doivent relever des défis sans cesse renouvelés, ne serait-ce que par la succession toujours singulière des victoires et des défaites. Le management avisé est celui qui introduit régulièrement de tels facteurs dont l’homme a besoin pour rester motivé, diverti, être stimulé par des enjeux d’autant plus mobilisateurs qu’ils sont nouveaux, d’autant plus pertinents qu’ils s’inscrivent dans une trajectoire cohérente.
C’est dans la logique de cette courbe enveloppe qu’il faut comprendre la succession des modes en management. Toutes sont marquées par des succès et des échecs, et le flacon ne suffit pas à communiquer l’ivresse de la motivation, celle-ci cessant une fois le processus d’implication achevé. Il faut alors trouver un nouveau défi, comme le développement durable, pour relancer l’ardeur des hommes, au cœur de la différence.
Le développement durable, un levier pour l’innovation
Le développement durable est trop souvent perçu dans sa seule dimension environnementale , ce qui est une erreur. Les changements auxquels nous sommes confrontés sont bien connus : ils ont pour nom mondialisation, vieillissement des populations, déséquilibres économiques et sociaux, réchauffement de la planète, l’épuisement de certaines ressources naturelles minérales, végétales, animales… Ils engagent la responsabilité des entreprises dans leur action au service de la croissance et de l’emploi.
L’ensemble ces changements s’inscrit dans la problématique du développement durable dont la formulation date de 1987 (Rapport Brundtland) : " un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ". L’homme est au cœur du développement durable, il n’ y a pas de développement durable sans enfant et pas de croissance sans berceaux.
On distingue classiquement les trois piliers (environnemental, économique et social ) du développement durable :
Innovation compétitive : la technologie n’est pas l’essentiel
Valoriser ou innover ? Les entreprises ont trop souvent tendance à privilégier l’une de ces dimensions au détriment de l’autre. Pourtant les deux voies sont complémentaires et nécessaires. Il faut, tout à la fois, valoriser ce qui peut l’être, par réduction des coûts et amélioration des performances et, innover pour toujours faire plus, mieux et différent, par rapport aux concurrents. Ce ne sont d’ailleurs pas les mêmes hommes qui doivent être charge de la valorisation : l’un doit réduire les coûts , l’autre doit investir et prendre des risques .
De son côté, l’innovation (littéralement, “ l’introduction d’une nouveauté ”) ne se réduit pas aux volets technologiques (innovation de process, de produits) reliant la Recherche et Développement à la production et au marché. Il ne faut pas négliger les innovations de distribution (lien entre la production et le marché) qui, tout autant que les précédentes, peuvent être profitables : songeons au conditionnement de l’eau minérale en petites bouteilles de 50 cl ; de nouveaux marchés très rentables se sont ainsi ouverts.
Si les trois pôles (recherche, production et marché) définissent bien un “ triangle de l’innovation ”, celui-ci n’est qu’une partie des dix faces de ce que Marc Giget a baptisé le " Diamant de l’innovation ". En effet, il faut tenir compte de toutes les ressources fondamentales de l’entreprise et relier les trois pôles précédents aux deux ressources manquantes : humaines et financières.
Ainsi, c’est innover financièrement que de transformer ses lecteurs en actionnaires comme l’a fait le journal Le Monde. C’est encore innover que de diffuser ses produits par quelques clients relais tel Tupperware. Au total, il y a dix axes possibles d’innovation à explorer dans le diamant de Marc Giget. Aucun d’entre eux n’est préférable a priori, il faut évaluer les coûts, les risques et les perspectives de chaque axe avant de privilégier tel(s) ou tel(s). Retenons l’idée : l’innovation n’est pas synonyme de technologie. La connaissance est bien le moteur de l’innovation. Ce n’est pas une raison pour cultiver le mirage technologique et la fuite en avant dans les dépenses de R&D. L’innovation n’est pas uniquement technique, mais aussi commerciale, organisationnelle et financière. La technologie, bien qu'importante, ne saurait constituer l'essentiel.
Cessons de considérer que la dépense de R&D est le principal indicateur porteur d'espoir pour l'avenir. Plus que le montant, compte l'efficacité de la dépense. Les comparaisons internationales montrent que les entreprises les plus performantes dans un secteur sont celles qui font un effort moyen en R&D et qui, donc, agissent en dépensant moins. Le cabinet américain de conseil en stratégie Booz Allen Hamilton a même montré, en analysant les 1 000 premières entreprises mondiales, selon leur budget R&D, qu’il n’y avait pas de lien direct entre le montant des dépenses de recherche et développement engagé et le succès de ces entreprises, qu’il soit mesuré en termes de croissance du chiffre d’affaires, de rentabilité ou de retour sur investissements pour les actionnaires . Le même constat se vérifie au sujet des États : les petits pays comme l’Irlande ont un effort de R&D moindre que les grands, mais une croissance du PIB supérieure !
A la lumière de ce diagnostic, faut-il vraiment, comme le préconisent tant de rapports officiels, s’inspirer du pays leader, les États-Unis, et lancer des grands projets de recherche dans les secteurs de haute technologie (technologies de l'information, armement, aéronautique) et développer l'enseignement supérieur long ?
Qu'il soit permis de douter de ce remède éternellement avancé. Les États-Unis ne sont pas aussi performants qu'on le dit, à en juger par leur déficit extérieur abyssal (700 milliards de dollars !) ; ils vivent, grâce à leur rente impériale, bien au-dessus de leurs moyens et cela n'est pas durable. La France, contrairement à l'Allemagne, investit déjà beaucoup trop dans les secteurs " recherchivores " (40 % des dépenses publiques de recherche sont concentrés dans le nucléaire, l'espace et le militaire et profitent d'abord à quelques grandes entreprises) et pas assez pour stimuler les recherches dans les secteurs de moyenne ou basse technologie et dans les PME ; ces dernières bénéficient de moins de 10 % de l'effort public de recherche. La France a, aussi, presque deux fois plus de diplômés de l'enseignement supérieur que l'Allemagne, cinq fois moins d'apprentis et son solde extérieur en bien d’équipements est trois fois plus faible ! Cherchez l’erreur !
Comparée à l’Allemagne, la France manque surtout de grandes PMI, en raison du coût capitalistique très élevé et des problèmes liés à la transmission du patrimoine. Il n'y a, en France, que 2 000 entreprises industrielles de plus de 250 salariés. Elles comptent pour 65 % de la valeur ajoutée du secteur et assurent les quatre cinquièmes des exportations. 25 % de la valeur ajoutée revient aux 20 000 entreprises ayant entre 50 et 250 employés. Et il n'y a que 1 % des créateurs, soit 2 000 par an, qui se lancent dans l'industrie.
La clé de la compétitivité ne consiste pas à baser sa stratégie sur les technologies, mais à intégrer au mieux ces technologies dans une stratégie, pour atteindre des objectifs souhaités avec des équipes motivées. En effet, c'est le management et les hommes qui font la différence… Un bon département de R et D ne doit pas être gigantesque. Il doit simplement être certes capable d'inventer mais surtout de capter les idées beaucoup plus nombreuses venues de l'extérieur. Mais pour copier, il faut savoir lire ! D’où l’importance qu’il y a à recruter des chercheurs de haut niveau , reconnus par des pairs, prêts à montrer leur copie pour être reconnus.. Il faut de plus mettre les chercheurs en relation avec les hommes du marketing et de la vente qui sont au plus près des attentes des clients et fournisseurs dont on sait qu’ils sont à l’origine des deux tiers des innovations.
Quand à la recherche universitaire il faut lui laisser ses degrés de liberté mais récompenser plus clairement dans leurs rémunérations et dans leur carrière les chercheurs tournés vers les applications industrielles et économiques de leurs idées ainsi que ceux qui entendent répondre aux questions que pose la société au travers du développement durable notamment. Il ne faut pas non plus trop protéger les chercheurs universitaires par un statut : la meilleure des sécurités c’est la compétence. Et si un chercheur n’est pas renouvelé dans son Institut, il finira bien par se faire recruter dans une entreprise, ce qui est aussi une manière très efficace d’assurer les transferts de compétences et de technologies du laboratoire à l’entreprise et d’un secteur à l’autre.
Les magiciens de la croissance
Henry Ford l'avait bien dit : " Prenez-moi tout, mais laissez-moi les hommes et je recommencerai tout ". La mobilisation de l’intelligence créative est d’autant plus efficace qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un projet explicite et connu de tous. C’est par l’appropriation que passe la réussite. Motivation interne et stratégie externe sont donc deux objectifs indissociables qui ne peuvent être atteints séparément.
La croissance compétitive de longue période tient à l'innovation et à la prise de risque. Les entrepreneurs en sont bien les magiciens. Hélas, le déficit d'entrepreneurs est aussi l'un des traits fondamentaux de l'exception française. Ces mêmes élites, souvent issues de l’administration, se comportent en gestionnaires de l'existant. Or la gestion ne doit pas être confondue avec la stratégie : la première minimise les risques, la seconde les optimise.
Au lieu de se battre de manière défensive sur les marchés existants, l'entrepreneur part à la conquête du futur. Il ne se limite pas à la réactivité, mais se projette délibérément dans l'action offensive grâce notamment à l’anticipation et à l'innovation. En effet, l'entrepreneur innovant change les règles au lieu de s'y soumettre. On le sait, c'est l'activité qui crée l'emploi. C'est donc l'esprit d'entreprise qu'il faut encourager au sein des sociétés existantes (intrapreneur-ship) ou créées en vue de nouveaux développements.
Pour muscler les entreprises face à la compétition internationale, il n’y a pas d’autre voie à suivre que celle de la spécialisation dans les productions innovantes et à haute valeur ajoutée. Il n’y a pas de secteurs condamnés, ni de fatalité dans les difficultés des entreprises ; il n’y a que des managers défaillants et des entrepreneurs qui ont cessé de remettre en cause leur production, alors qu’il faut innover pour gagner dans un monde en perpétuel changement. Les entreprises qui se contentent de vendre ce qu’elles produisent sont condamnées. Pour conquérir les marchés, il faut produire ce qui se vend, c'est-à-dire des biens et des services répondant à des besoins réels ou latents. Les entrepreneurs innovants sont bien les magiciens de la croissance.
L'homme au cœur de la différence
Pour nombre d'entreprises et de territoires en difficulté, le naufrage s'explique plus par les insuffisances internes de management que par la tempête qui sévit à l'extérieur. Sans bon capitaine, point d'équipe gagnante. Le chef idéal doit savoir anticiper, susciter l'adhésion et l'enthousiasme, agir avec ténacité et réagir sans précipitation. Le bon cap ne suffit pas à assurer une stratégie, il y faut aussi un équipage préparé et motivé à la manœuvre. Ainsi, pour une entreprise, le front extérieur et le front intérieur constituent un seul et même combat. La bataille sera gagnée sur les deux fronts à la fois ou sur aucun. En d’autres termes, face aux mutations de l’environnement stratégique, l’avenir d’une entreprise ou d'un territoire dépend en grande partie de ses forces et faiblesses internes. Et, ces dernières ne seront valorisées et surmontées que dans le cadre de projets individuels et collectifs au sein d’espaces solidaires.
Il faut bien distinguer le " strategic gap " du " performance gap " et ne pas oublier le " management gap ". Par exemple, faut-il absolument devenir plus gros pour être rentable ? Il se pourrait bien que " l’effet d’échelle soit de plus en plus souvent indépendant de la taille ", notamment grâce aux organisations en réseaux. En réalité, il existe toujours dans le même secteur des entreprises plus petites et plus performantes. La bonne question à se poser est donc : comment être rentable à la taille où l'on se trouve ? Et la réponse à cette dernière question passe souvent par une décroissance provisoire. Comme pour les arbres, une fois élagués, ils repoussent mieux !
Le " strategic gap " (écart par rapport aux objectifs de croissance en volume) est peut-être moins important que le " performance gap " : ce qui compte c’est d’être rentable au niveau où l’on se trouve. Une des conditions pour combler le "performance gap" est bien sûr de rattraper le " management gap ". Ce dernier pose la question de l’adaptation des structures et des comportements au sein de l’entreprise. Le principal facteur limitant au développement des entreprises est le facteur humain, le temps nécessaire pour former les hommes et les motiver autour de projets. En effet, l'action qui n'a pas de but n'a pas de sens. C'est l'anticipation qui éclaire l'action et lui donne un sens avec le double sens du mot sens : direction et signification.
" Gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre "
Les hommes ne font vraiment bien que ce qu’ils comprennent. Comme le soulignait Henri Fayol : " Si gouverner c’est prévoir, obéir c’est comprendre. " Le fameux dirigeant de première classe, dont parle Mary Parker Follett, n’est pas celui qui donne des ordres à ses collaborateurs, mais celui qui, sachant asseoir son autorité sur la compétence et sur l’animation, suscite des initiatives allant dans le sens des ordres qu’il aurait pu leur donner.
Un responsable sachant asseoir son autorité sur sa compétence et sur l’animation peut laisser ses collaborateurs prendre des initiatives. Il n’a même plus à négocier des objectifs, ceux-ci sont, naturellement, suscités. En France, on est plus loin de ce nouvel idéal qu'ailleurs, peut-être en raison du mode de formation et de sélection des dirigeants des grandes entreprises.
Les modes managériales se succèdent avec toujours un point commun. Il s'agit de motiver les hommes en leur lançant de nouveaux défis, étant entendu que le processus d'implication est l'objectif recherché ; il s'obtient avec ou sans le résultat. C'est en ce sens que les analyses stratégiques partagées peuvent produire la synthèse de l'engagement collectif, contrairement à ce qu'avance Henry Mintzberg (1994). Le plus difficile n'est pas de faire les bons choix, mais d'être sûr que l'on réussisse à ce que chacun se pose les vraies questions. Un problème bien posé, et collectivement partagé par ceux qui sont concernés, est déjà presque résolu. N'est-ce pas ce que signifie Michel Crozier lorsqu'il déclare : " le problème, c'est le problème ! "
Au-delà des modes, il y a des acquis et des convergences car si le monde change, les problèmes liés à la nature humaine sont récurrents.. Pour s’en convaincre, rien de tel qu’un retour aux fondateurs de la pensée managériale du début de ce siècle (Fayol, Taylor, Mary Parker Follett). Il faudrait aussi remonter aux sources de la pensée stratégique militaire (Sun Tzu, Clausewitz, Général Beaufre, etc.) et considérer les modèles d'organisation qui ont résisté à l'épreuve du temps, comme l'Eglise. Ils sont partis à douze et cela dure depuis 2000 ans! La longévité de l’Eglise catholique a plusieurs explications : un engagement individuel au service d’un projet collectif, l’adhésion à une communauté très structurée mais avec le principe de subsidiarité et un nombre limité de niveaux hiérarchiques (le curé, l’évêque, le pape) pour une organisation si variée et de masse.
De la vertu des ruptures et des facteurs briseurs d’habitudes
Si le principal facteur de compétitivité et d’excellence des entreprises est bien le facteur humain et organisationnel et s’il faut toujours des processus pour impliquer les hommes et susciter leur motivation, la question reste posée de savoir pourquoi ces processus changent au cours du temps, diffèrent d’un pays à l’autre et apportent, suivant les cas, des succès ou des échecs, brefs sont contingents ? Le constat de la contingence des clefs de l’excellence et de la fragilité des modes managériales serait désespérant s’il n’était possible d’en tirer un principe de management résistant bien à l’épreuve du temps.
Les 1 001 clés de l’excellence et le principe de contingence
Le principe de contingence affleure régulièrement dans la littérature dès 1968. P. Lawrence et J. Lorsch écrivaient : " Il n’y a pas une structure qui est meilleure mais plutôt différentes structures qui sont les meilleures dans différentes conditions ". Les facteurs clés de succès, universels, valables en toutes circonstances, n’existent pas. Le zéro stock et les flux tendus ont été des objectifs rentables pour certaines entreprises mais aussi très coûteux pour d’autres. Les théoriciens du management devraient se rappeler les leçons de la statistique et ne pas confondre corrélation avec causalité. Il faut donc reconnaître le principe de contingence et admettre qu’il y a des combinaisons humaines, organisationnelles, techniques et financières qui sont efficaces, dans un contexte donné et qui ne le sont plus dans d’autres. Ces combinaisons sont multiples et changeantes au cours du temps.
Les facteurs briseurs d’habitudes et le principe de changement
Une autre caractéristique peut être avancée, c’est le principe de changement " source de diversité ". L’on sait bien que " l’ennui naît de l’uniformité ". La variété est un stimulant indispensable à la motivation ; sans elle l’efficacité s’étiole, avec elle tout est possible. Souvenons-nous des expériences d’ Elton Mayo, dans les années 1930, qui en augmentant, puis en diminuant, l’intensité de la lumière dans les ateliers de Western Electric améliorait chaque fois le rendement.
D’où une conclusion paradoxale, la clef universelle de l’excellence n’existe pas ! Elle doit être remodelée en permanence, au gré des évolutions de l’environnement, et contre les habitudes qui figent les organisations dans un sommeil parfois mortel. Il y a mille et une clés pour l’excellence (principe de contingence) et il faut sans arrêt en changer (principe de changement).
Comme dans le sport, les hommes ont besoin de facteurs " briseurs d'habitudes " pour rester motivés et la compétition sportive est organisée en ce sens. Les joueurs doivent relever des défis sans cesse renouvelés, ne serait-ce que par la succession toujours singulière des victoires et des défaites. Le management avisé est celui qui introduit régulièrement de tels facteurs dont l’homme a besoin pour rester motivé, diverti, être stimulé par des enjeux d’autant plus mobilisateurs qu’ils sont nouveaux, d’autant plus pertinents qu’ils s’inscrivent dans une trajectoire cohérente.
C’est dans la logique de cette courbe enveloppe qu’il faut comprendre la succession des modes en management. Toutes sont marquées par des succès et des échecs, et le flacon ne suffit pas à communiquer l’ivresse de la motivation, celle-ci cessant une fois le processus d’implication achevé. Il faut alors trouver un nouveau défi, comme le développement durable, pour relancer l’ardeur des hommes, au cœur de la différence.
Le développement durable, un levier pour l’innovation
Le développement durable est trop souvent perçu dans sa seule dimension environnementale , ce qui est une erreur. Les changements auxquels nous sommes confrontés sont bien connus : ils ont pour nom mondialisation, vieillissement des populations, déséquilibres économiques et sociaux, réchauffement de la planète, l’épuisement de certaines ressources naturelles minérales, végétales, animales… Ils engagent la responsabilité des entreprises dans leur action au service de la croissance et de l’emploi.
L’ensemble ces changements s’inscrit dans la problématique du développement durable dont la formulation date de 1987 (Rapport Brundtland) : " un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ". L’homme est au cœur du développement durable, il n’ y a pas de développement durable sans enfant et pas de croissance sans berceaux.
On distingue classiquement les trois piliers (environnemental, économique et social ) du développement durable :
- les problématiques environnementales (milieux naturels, pollutions, ressources, risques, qualité de la vie …)
- le "développement" (économique et social, notamment dans les PVD)
- la responsabilité sociale des entreprises (notamment dans les pays développés,
- notations, …
En organisant les assises de l’environnement et non celle du développement durable dans sa globalité, le nouveau gouvernement révèle son caractère de néophyte en la matière ce qui est inquiétant. En effet, poussées à l’extrême les revendications environnementalistes animées par le principe de précaution peuvent paralyser l’action. Il y a des freins réglementaires croissants à l’innovation notamment en matière d’expérimentation animale ou végétale. On peut s’interroger sur les OGM et la recherche médicale sans pour autant les retarder chez nous, alors qu’ils se développeront de toutes façons ailleurs.
Le développement durable est une extraordinaire chance à saisir par les entreprises : toute contrainte est une opportunité. Tous les défis de recyclage de retraitement, d’économie d’énergie sont porteurs de réponses innovantes et profitables. Dans le domaine alimentaire comme dans l’éthique de production, la traçabilité va s’imposer et entraîner le renforcement de la proximité et du raccourcissement des chaînes qui vont du producteur au consommateur.
Bref, le développement durable va dans le sens d’une production locale (pourquoi produire ailleurs ce qui peut l’être ici sans coût de transport et émission de CO2 ?) , c’est aussi une barrière non tarifaire aux importations lointaines de pays à bas coût.
La croissance en quête de sens et de développement durable
Les hommes ont besoin de projets pour donner sens à leur vie. Marchant ainsi vers l'avenir autrement, ils trouvent, en chemin, l'essentiel de ce qu'ils cherchent dans la vie : le lien social et la reconnaissance mutuelle que procure toute aventure en commun. C'est bien ce que signifie le proverbe allemand : Der Weg ist das Ziel, " le chemin est le but ".
Dans bien des domaines, l’accumulation de quantité a entraîné la baisse de qualité. Songeons aux relations humaines: la multiplication des moyens de communication n’empêche pas la solitude et l’isolement de se développer plus que jamais. Une croissance plus riche en qualité pourrait aussi signifier plus de bien être. Qui a dit qu’il fallait consommer toujours plus de biens matériels pour être plus heureux ? La croissance c’est un peu comme la boisson: plutôt que de consommer toujours plus du même vin ordinaire, le progrès consiste à consommer autant voire moins d’un grand crû. Une entreprise " citoyenne " ne peut se contenter de créer des richesses matérielles. Elle doit aussi contribuer à l'épanouissement personnel de l'homme. Il n'y a pas d'entreprise d'excellence sans un environnement d'excellence. Pour que des salariés soient performants, il faut qu'ils vivent dans un environnement de qualité, notamment au plan architectural. Pour être heureux dans la cité, l’homme doit aussi s’épanouir au travail et réciproquement : le bonheur est indissociable. Il est global où il n’est pas.
Que diraient les écologistes si depuis vingt ans le taux de fécondité des baleines était divisé par deux pour se situer à la moitié du seuil de renouvellement ? Ils alerteraient certainement l'opinion internationale et les médias. C'est bien pourtant ce qui se passe pour les Catalans et les Lombards dont la variété culturelle mérite d'être préservée. L'espèce humaine dans son ensemble n'est pas menacée de disparition, mais la diversité des cultures contribue à la richesse de son patrimoine.
Compte tenu des enjeux, le principe de précaution, si souvent évoqué en matière écologique devrait aussi s’imposer en matière démographique. Il faudrait traiter le lien démographie-croissance économique comme on le fait pour les activités humaines et le réchauffement de la planète : lancer des études et des recherches pour tester les hypothèses de causalités et en attendant prendre des mesures conservatoires en faveur de la natalité. Protéger l'héritage de la planète, c'est bien, mais à condition de ne pas oublier les héritiers ! Qui dénonce cet oubli ? Personne, ou presque, il est " politiquement incorrect ", à notre époque, de défendre les enfants aussi bien que les baleines.
Quand au principe de précaution son application maximaliste pourrait s’avérer dangereuse et être un frein à l’innovation. Si avant d’agir ou de lancer un produit voire une recherche ou une expérimentation on doit prouver que cela ne comporte aucun risque , on va forcément paralyser l’action . Il n’y a pas d’action et dans bien des cas le plus risqué serait de ne pas agir. Si on appliquait le principe de précaution on ne ferait pas d’enfants !