Présentation de l'auteur
Matar Mbaye est Docteur en Sociologie. Il a été consultant avant d'être professeur en management puis directeur de programme au groupe ESC de Clermont et à l'ESCIP School of International Business de Lille..
Son approche résolument anthropologique vise à mettre en évidence " l'impensé " du management. A travers cette lecture érudite, le lecteur découvrira que nos pratiques et nos attitudes de tous les jours renvoient à des modèles de gouvernance politique plus ou moins avancée. On découvrira qu'il y a encore du chemin à faire pour accéder à la cité démocratique dans l'entreprise. Mais c'est une utopie praticable... En tout cas elle est tellement espérée qu'il est bon d'en parler !
Son approche résolument anthropologique vise à mettre en évidence " l'impensé " du management. A travers cette lecture érudite, le lecteur découvrira que nos pratiques et nos attitudes de tous les jours renvoient à des modèles de gouvernance politique plus ou moins avancée. On découvrira qu'il y a encore du chemin à faire pour accéder à la cité démocratique dans l'entreprise. Mais c'est une utopie praticable... En tout cas elle est tellement espérée qu'il est bon d'en parler !
L’idée que le développement économique doit se faire dans un cadre moralisé, " en répondant aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs " et en contribuant à " repriser le tissu social là où il s’effrite " constitue une demande de plus en plus pressante et partagée par tous les différents stakeholders de l’entreprise. Elle produit un nouvel enjeu qui invite l’entreprise à démontrer son " supplément d’âme ".
Ce novum organum constitue pour nous un cadre expérimental intéressant à considérer pour aborder la question du sens dans le management. En effet, dans l’hypothèse où un nouvel ethos gestionnaire doit émerger, notre position est que cet ajustement s’accomplira d’abord en faisant perdre à cette morale son caractère hétéronome. C’est en substituant aux attentes extérieures une volonté interne animée par son propre moteur symbolique, autrement dit, en élaborant les conditions d’une appropriation individuelle et collective que l’entreprise assumera pleinement sa responsabilité sociale. Cela représente dans l’immédiat deux enjeux imbriqués : recouvrer le lien social et l’animer sur un mode renouvelé qui dépasse le cadre contractuel ordinaire. Nous pensons qu’un ethos managérial appuyé sur le " sens managérial " peut y concourir significativement.
Notre texte s’ouvre sur la présentation des contours du nouveau paradigme de l’entreprise et de quelques éléments du débat auquel il donne lieu. L’évocation problématique de la responsabilité de l’entreprise se prolonge dans le constat que le modèle sociétaire qui a de tout temps servi à dire la nature du lien dans l’entreprise n’est guère plus opératoire. Le " sens managérial " que nous faisons intervenir participe de cette volonté de rendre compte de ce renouvellement de perspective. Pour le définir, nous montrons qu’il existe un sens propre à l’entreprise dont le manager n’est pas seulement le garant, mais aussi l’animateur. Dans le nouveau contexte moral de l’entreprise, ce dernier est amené à investir des rôles et à développer des qualités de " passeur de sens ". Ce caractère du manager étant absent des typologies les plus répandues, nous avons élaboré une typologie de profils managériaux pour en rendre compte.
Ce novum organum constitue pour nous un cadre expérimental intéressant à considérer pour aborder la question du sens dans le management. En effet, dans l’hypothèse où un nouvel ethos gestionnaire doit émerger, notre position est que cet ajustement s’accomplira d’abord en faisant perdre à cette morale son caractère hétéronome. C’est en substituant aux attentes extérieures une volonté interne animée par son propre moteur symbolique, autrement dit, en élaborant les conditions d’une appropriation individuelle et collective que l’entreprise assumera pleinement sa responsabilité sociale. Cela représente dans l’immédiat deux enjeux imbriqués : recouvrer le lien social et l’animer sur un mode renouvelé qui dépasse le cadre contractuel ordinaire. Nous pensons qu’un ethos managérial appuyé sur le " sens managérial " peut y concourir significativement.
Notre texte s’ouvre sur la présentation des contours du nouveau paradigme de l’entreprise et de quelques éléments du débat auquel il donne lieu. L’évocation problématique de la responsabilité de l’entreprise se prolonge dans le constat que le modèle sociétaire qui a de tout temps servi à dire la nature du lien dans l’entreprise n’est guère plus opératoire. Le " sens managérial " que nous faisons intervenir participe de cette volonté de rendre compte de ce renouvellement de perspective. Pour le définir, nous montrons qu’il existe un sens propre à l’entreprise dont le manager n’est pas seulement le garant, mais aussi l’animateur. Dans le nouveau contexte moral de l’entreprise, ce dernier est amené à investir des rôles et à développer des qualités de " passeur de sens ". Ce caractère du manager étant absent des typologies les plus répandues, nous avons élaboré une typologie de profils managériaux pour en rendre compte.
1. Des habits neufs pour le lien social en entreprise
a. Lien communautaire versus lien sociétaire
La tradition sociologique reconnaît deux types idéaux de relations sociales : le lien communautaire et le lien sociétaire. La communauté renvoie à une socialité bâtie sur des attaches traditionnelles fondées sur des liens de parenté, sur le partage de valeurs, de représentations communes et l’indistinction des sphères de la vie sociale ; elle participe de la tradition. La société constitue le cadre immanent de la modernité tant elle marque la fin des rapports vicinaux et renvoie à des types d’obligations fondées sur le choix volontaire, le calcul rationnel et l’adhésion conditionnelle. Elle véhicule le postulat implicite d’une autonomie permettant à l’individu de réaliser les échanges et les transactions au mieux de ses intérêts. Cet individu s’incarne parfaitement à travers l’homoeconomicus. En fondant théoriquement ses rapports avec ses interlocuteurs sur la base du contrat et en objectivant la séparation des sphères de l’activité sociale, l’entreprise s’illustre chez les théoriciens de la modernisation comme le modèle achevé des rapports sociaux modernes tandis que les phénomènes qui procèdent de son activité tendent à l’ériger en institution centrale de la modernité.
Mais affirmer la nature sociétaire du lien pose la question du sens. Qu’est-ce qui procure le sens dans le contexte de " désenchantement du monde ", c’est-à-dire face à la séparation des individus et des sphères d’activités et face à la relativité des valeurs ? L’évacuation des formes du lien social intégrant des dimensions identitaires au profit d’une gestion individualisée des ressources humaines n’est-elle pas contradictoire avec la référence, dans les pratiques managériales, à des notions qui ressortent du lien communautaire (culture d’entreprise, knowledge management) ?
b. La " communauté politique " pour inscrire une nouvelle modernité sociale dans l’entreprise
Nous pensons comme J-L. Laville que la montée en puissance de la dynamique sociétaire conduit effectivement à une " vacance de sens ". Dans la mesure où la relation au monde " n’obéit à aucune détermination et [que] la rationalité morale pratique devient post-conventionnelle au sens où elle n’admet plus de normes obligatoires ", tout le procès historique se trouve arrimé à être interprété à travers l’intérêt individuel. L’utilitarisme pose un prisme qui fait reposer toutes les finalités sociales (de justice, de cohésion sociale) sur des activités instrumentales et stratégiques d’où une forme de réductionnisme dans lequel l’action, sa finalité et son aune propre se confondent dans un même élan.
En suivant l’auteur, il nous semble que cette caractérisation du lien social moderne pèche par excès du fait qu’elle oblitère la persistance du fait communautaire dans les rapports sociaux contemporains et leur dimension intersubjective. En effet, si le jeu de l’utilitarisme met en scène des individus rationnalisateurs, ceux-ci ne peuvent exister que dans une communauté politique. La communauté politique est une notion dérivée de la théorie de l’agir communicationnel. Elle s’analyse comme un monde vécu, c’est-à-dire un savoir d’arrière-plan qui structure l’interaction entre des sujets et rend possible leur compréhension réciproque. C’est une expérience commune passée au cours de laquelle, des individus entretenant des relations stabilisées inventent des procédures de coordination, de décision, de distribution du pouvoir mettant en jeu des passions et des intérêts. Dans un second temps, la communauté politique réfère à une communauté communicationnelle dans laquelle l’interaction sociale se bâtit dans un espace public segmenté, certes ; mais où des processus argumentaires viennent articuler les volontés individuelles et construire un accord favorisant le vivre ensemble. La communauté politique réalise donc les conditions d’une socialisation et d’une individuation des sujets. En effet, si les individus arrivent à s’insérer dans le jeu social, c’est qu’ils ont pu former au préalable leur identité et leur volonté dans un espace donné. La communauté politique structure un " habitus ", c’est-à-dire " un système de dispositions durables et transposables qui, en intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement de tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schémas permettant de résoudre les problèmes de même forme et grâce aux corrections incessantes des résultats obtenus, dialectiquement produites par ces résultats." En tant que caractère social qui permet de reconnaître que les compétences, les valeurs, les représentations et les rapports sociaux sont sans cesse alimentés, aménagés par des classes de situations objectives dans lesquelles elles sont mises à contribution, "l’habitus" aménage une marge d’autonomie de décision et d’action aux individus et fait reconnaître leur libre choix pratique.
Le renouvellement de l’approche du lien social qui s’opère à travers la communauté politique représente pour nous un enseignement essentiel. La communauté politique nous délivre en effet du réductionnisme sociétaire qui postule la segmentation et la disparition graduelle du lien communautaire, tout comme " l’habitus " a réussi à moduler le déterminisme social auquel conduit inexorablement l’approche structuraliste. Elle ouvre donc la possibilité de penser la modernité du lien social comme une interaction dynamique entre le sociétaire et le communautaire, une interaction dans laquelle les relations bâties sur le contrat coexistent avec des rémanences de la communauté traditionnelle et une pluralité de communautés partielles. Elle fait reconnaître une propriété dynamique du lien qui s’envisage ainsi comme un échange intersubjectif où la communication joue un rôle essentiel. Pour nous qui nous intéressons à la question du sens, cela invite à reconnaître que le champ du management ne se circonscrit pas au seul contrat mais qu’il intègre par ailleurs la construction et la garantie d’un cadre permettant l’expression de la volonté et de la capacité des individus à prendre en mains les processus d’interaction et d’ajustement mutuel des positions. Le second apport s’énonce avec l’idée que le dialogue est le modus operandi de l’animation et de la reproduction du lien.
Si la modernité des rapports sociaux dans l’entreprise s’incarne dans le cadre relationnel qui reconnaît la liberté des interlocuteurs et se profile comme le cadre pragmatique de construction de la confiance, le détour par l’état du lien dans l’entreprise qui suit nous ramène à la dure réalité et donne une idée de l’étendue du chantier qui s’annonce pour le management.
a. Lien communautaire versus lien sociétaire
La tradition sociologique reconnaît deux types idéaux de relations sociales : le lien communautaire et le lien sociétaire. La communauté renvoie à une socialité bâtie sur des attaches traditionnelles fondées sur des liens de parenté, sur le partage de valeurs, de représentations communes et l’indistinction des sphères de la vie sociale ; elle participe de la tradition. La société constitue le cadre immanent de la modernité tant elle marque la fin des rapports vicinaux et renvoie à des types d’obligations fondées sur le choix volontaire, le calcul rationnel et l’adhésion conditionnelle. Elle véhicule le postulat implicite d’une autonomie permettant à l’individu de réaliser les échanges et les transactions au mieux de ses intérêts. Cet individu s’incarne parfaitement à travers l’homoeconomicus. En fondant théoriquement ses rapports avec ses interlocuteurs sur la base du contrat et en objectivant la séparation des sphères de l’activité sociale, l’entreprise s’illustre chez les théoriciens de la modernisation comme le modèle achevé des rapports sociaux modernes tandis que les phénomènes qui procèdent de son activité tendent à l’ériger en institution centrale de la modernité.
Mais affirmer la nature sociétaire du lien pose la question du sens. Qu’est-ce qui procure le sens dans le contexte de " désenchantement du monde ", c’est-à-dire face à la séparation des individus et des sphères d’activités et face à la relativité des valeurs ? L’évacuation des formes du lien social intégrant des dimensions identitaires au profit d’une gestion individualisée des ressources humaines n’est-elle pas contradictoire avec la référence, dans les pratiques managériales, à des notions qui ressortent du lien communautaire (culture d’entreprise, knowledge management) ?
b. La " communauté politique " pour inscrire une nouvelle modernité sociale dans l’entreprise
Nous pensons comme J-L. Laville que la montée en puissance de la dynamique sociétaire conduit effectivement à une " vacance de sens ". Dans la mesure où la relation au monde " n’obéit à aucune détermination et [que] la rationalité morale pratique devient post-conventionnelle au sens où elle n’admet plus de normes obligatoires ", tout le procès historique se trouve arrimé à être interprété à travers l’intérêt individuel. L’utilitarisme pose un prisme qui fait reposer toutes les finalités sociales (de justice, de cohésion sociale) sur des activités instrumentales et stratégiques d’où une forme de réductionnisme dans lequel l’action, sa finalité et son aune propre se confondent dans un même élan.
En suivant l’auteur, il nous semble que cette caractérisation du lien social moderne pèche par excès du fait qu’elle oblitère la persistance du fait communautaire dans les rapports sociaux contemporains et leur dimension intersubjective. En effet, si le jeu de l’utilitarisme met en scène des individus rationnalisateurs, ceux-ci ne peuvent exister que dans une communauté politique. La communauté politique est une notion dérivée de la théorie de l’agir communicationnel. Elle s’analyse comme un monde vécu, c’est-à-dire un savoir d’arrière-plan qui structure l’interaction entre des sujets et rend possible leur compréhension réciproque. C’est une expérience commune passée au cours de laquelle, des individus entretenant des relations stabilisées inventent des procédures de coordination, de décision, de distribution du pouvoir mettant en jeu des passions et des intérêts. Dans un second temps, la communauté politique réfère à une communauté communicationnelle dans laquelle l’interaction sociale se bâtit dans un espace public segmenté, certes ; mais où des processus argumentaires viennent articuler les volontés individuelles et construire un accord favorisant le vivre ensemble. La communauté politique réalise donc les conditions d’une socialisation et d’une individuation des sujets. En effet, si les individus arrivent à s’insérer dans le jeu social, c’est qu’ils ont pu former au préalable leur identité et leur volonté dans un espace donné. La communauté politique structure un " habitus ", c’est-à-dire " un système de dispositions durables et transposables qui, en intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement de tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schémas permettant de résoudre les problèmes de même forme et grâce aux corrections incessantes des résultats obtenus, dialectiquement produites par ces résultats." En tant que caractère social qui permet de reconnaître que les compétences, les valeurs, les représentations et les rapports sociaux sont sans cesse alimentés, aménagés par des classes de situations objectives dans lesquelles elles sont mises à contribution, "l’habitus" aménage une marge d’autonomie de décision et d’action aux individus et fait reconnaître leur libre choix pratique.
Le renouvellement de l’approche du lien social qui s’opère à travers la communauté politique représente pour nous un enseignement essentiel. La communauté politique nous délivre en effet du réductionnisme sociétaire qui postule la segmentation et la disparition graduelle du lien communautaire, tout comme " l’habitus " a réussi à moduler le déterminisme social auquel conduit inexorablement l’approche structuraliste. Elle ouvre donc la possibilité de penser la modernité du lien social comme une interaction dynamique entre le sociétaire et le communautaire, une interaction dans laquelle les relations bâties sur le contrat coexistent avec des rémanences de la communauté traditionnelle et une pluralité de communautés partielles. Elle fait reconnaître une propriété dynamique du lien qui s’envisage ainsi comme un échange intersubjectif où la communication joue un rôle essentiel. Pour nous qui nous intéressons à la question du sens, cela invite à reconnaître que le champ du management ne se circonscrit pas au seul contrat mais qu’il intègre par ailleurs la construction et la garantie d’un cadre permettant l’expression de la volonté et de la capacité des individus à prendre en mains les processus d’interaction et d’ajustement mutuel des positions. Le second apport s’énonce avec l’idée que le dialogue est le modus operandi de l’animation et de la reproduction du lien.
Si la modernité des rapports sociaux dans l’entreprise s’incarne dans le cadre relationnel qui reconnaît la liberté des interlocuteurs et se profile comme le cadre pragmatique de construction de la confiance, le détour par l’état du lien dans l’entreprise qui suit nous ramène à la dure réalité et donne une idée de l’étendue du chantier qui s’annonce pour le management.
2. La situation du lien social dans l'entreprise
Quelques phénomènes en profondeur modifient singulièrement les conditions d’exercice de l’entreprise et affectent de manière sensible le rapport managérial. Il s’agit de tendances que l’on enregistre par rapport à la dynamique économique globale qui s’accompagnent de transformations significatives dans le contexte socioculturel.
a. Changement d’horizons et de temporalités pour l’entreprise
L’accélération de l’information et l’intégration des marchés accréditent plus que jamais l’idée du "village planétaire ". En contribuant à l’émergence de culturalités transnationales promues par un marketing particulièrement efficace (mode, musique, sport), les grandes multinationales diffusent leurs valeurs et se révèlent comme des appareils idéologiques irrésistibles. L’uniformisation des produits et de modes de consommation à laquelle elles concourent a d’abord une conséquence sur la production en tant qu’elle impose de nouveaux rythmes et de nouveaux horizons commerciaux. De manière inversement proportionnelle, le cycle de vie des produits s’est réduit alors que la diversité de l’offre a augmenté. Par rapport à des frontières techniques sans cesse repoussées, le changement technique devient une seconde nature. Les firmes multiplient les changements de process, initient de nouvelles politiques commerciales (CRM, qualité de service, etc.), modifient leur structure juridique.
Simultanément au temps de la production qui s’accélère, l’horizon de gestion tend plutôt à se raccourcir et génère de nouvelles pratiques. Au niveau de la gestion des ressources humaines, de nouvelles formes de contractualisation (CDD, intérim, sous-traitance intégrale, travail en régie, contrat de mission actuellement à l’étude) sont à l’œuvre. Le recours au second marché du travail vient ainsi prolonger des politiques salariales néo-tayloriennes qui avaient entrepris de démanteler les solidarités professionnelles traditionnelles à partir de la fin des années 1980. La fonction Ressources Humaines recouvre une légitimité nouvelle dans l’entreprise en devenant le nouveau terrain d’élection des cost killers. Si les formes de management social (direction par objectif, groupes autonomes, cercles de qualité) diffusées quelques années auparavant se maintiennent, la gestion technique des collectifs privilégie les formes précaires du contrat, aidés en cela par une évolution de la réglementation. Par ailleurs, la rationalisation des processus de production sous forme de normalisation de la qualité, d’économies d’échelle, de mise en place de dispositifs techniques sophistiqués comme la supply chain management ou l’ERP ou la SAP induite par le contexte sert à légitimer une approche pragmatique de la relation managériale . Outre une soumission à la logique temporelle des progiciels, on doit aussi se rendre à l’évidence que " l’entreprise n’est pas une oeuvre philanthropique " et que " l’on ne peut plus faire carrière toute sa vie dans la même entreprise ". Il va sans dire que ces politiques vont avoir un réel impact sur la perception que les salariés ont de leur engagement et les amener à questionner la loyauté du rapport salarial.
b. Les stratégies des individus au travail désignent un délitement du lien social
Ce qui ressemble fort à une régression dans la conception du rapport managérial, outre de susciter perplexité et interrogations, a contribué, à notre sens et nous ne sommes pas seuls à le penser, à enraciner des stratégies de contestation et de repli chez les salariés. Pour certains sociologues du travail, cet état de fait est imputable à l’évolution des mentalités et à la formation de la conscience des salariés. Ceux parmi eux (ouvriers peu qualifiés, immigrés) qui se sont satisfaits à un moment donné de leur condition dans le salariat, en ce qu’elle leur ouvrait comme perspective d’accomplissement déchantent. Le système de l’emploi ne leur présente finalement que de trop rares opportunités de quitter leur rang. C’est donc dans un même mouvement qu’ils rejettent l’autoritarisme des " petits chefs " et le paternalisme des organisations syndicales, préférant mettre en oeuvre des stratégies individualisées. La crise du syndicalisme peut ainsi s’appréhender aussi bien comme le produit de l’ingénierie initiée par les directions, mais aussi comme une résultante de la désaffiliation d’une frange importante de salariés par rapport à l’idéologie même du travail comme vecteur de l’intégration et de la mobilité sociale.
D’autre part, les collaborateurs de tout niveau manifestent des velléités qui défient le modèle de l’adhésion naturelle à l’entreprise. Les accents de leurs revendications ne portent plus exclusivement sur le salaire, mais aussi sur l’instauration d’un véritable partenariat, sur la formation, sur la qualité de vie. Cet exercice du libre choix donne à voir ses effets dans de nombreux secteurs d’activité où le renouvellement de la population des professionnels d’activités s’avère d’ores et déjà problématique du fait de conditions de travail devenues aujourd’hui insupportables pour les générations entrant sur le marché de la formation et/ou de l’emploi et du fait de stratégies familiales de mobilité sociale. Dans le cadre même du rapport managérial, les salariés exigent une évolution du mode d’exercice de l’autorité. Sans doute parce qu’ils peuvent se prévaloir de niveaux de formation plus élevés et qu’ils sont mieux outillés pour intégrer les enjeux de l’entreprise (du fait d’une circulation rapide de l’information et du fait d’une accessibilité facilitée par les NTIC et les exigences des marchés financiers et commerciaux), ils aspirent à plus d’écoute, à plus de reconnaissance et à plus de responsabilité. Il semble que les réponses du management ne soient pas souvent à la hauteur des espérances, au point de contribuer à légitimer des attitudes de défiance et des stratégies de défense vis-à-vis de l’organisation.
En somme, le lien dans l’entreprise est on ne peut plus distendu du fait que l’entreprise vit un paradoxe entre la volatilité des cadres et la tendance à l’atomisation du corps social d’une part, et la nécessité de s’inscrire dans le long terme et de s’appuyer sur une dynamique collective d’autre part. L’éclatement juridique de l’entreprise (avec la multiplication et l’intensification des mouvements de fusion, de restructuration, d’externalisation) et les modes de gestion sociale qui l’ont accompagné ont obscurci beaucoup de ressorts conceptuels et rhétoriques mobilisés au quotidien et fondés sur les notions d’identité, de motivation, d’implication ou de responsabilité. Ils amènent du reste à s’interroger sur les chances de réussite des politiques managériales telles que le knowledge management qui requièrent de s’appuyer sur des collectifs solidaires. Comment mobiliser des individus autonomes au-delà de la rhétorique de l’efficacité ? Comment construire une adhésion durable en prenant congé des processus motivationnels néo-tayloriens ? Sur quelles formes sociales adosser le nouvel imperium de l’entreprise ? Pour nous, il semble utile de mobiliser le sens. La notion de sens possède en effet quelques ressorts heuristiques et pragmatiques que l’on peut mobiliser dans l’optique d’édifier un cadre renouvelé du rapport managérial se réclamant d’un lien fort et de communautés impliquées.
La totalité de l'article est accessible seulement à nos abonnés payants
Quelques phénomènes en profondeur modifient singulièrement les conditions d’exercice de l’entreprise et affectent de manière sensible le rapport managérial. Il s’agit de tendances que l’on enregistre par rapport à la dynamique économique globale qui s’accompagnent de transformations significatives dans le contexte socioculturel.
a. Changement d’horizons et de temporalités pour l’entreprise
L’accélération de l’information et l’intégration des marchés accréditent plus que jamais l’idée du "village planétaire ". En contribuant à l’émergence de culturalités transnationales promues par un marketing particulièrement efficace (mode, musique, sport), les grandes multinationales diffusent leurs valeurs et se révèlent comme des appareils idéologiques irrésistibles. L’uniformisation des produits et de modes de consommation à laquelle elles concourent a d’abord une conséquence sur la production en tant qu’elle impose de nouveaux rythmes et de nouveaux horizons commerciaux. De manière inversement proportionnelle, le cycle de vie des produits s’est réduit alors que la diversité de l’offre a augmenté. Par rapport à des frontières techniques sans cesse repoussées, le changement technique devient une seconde nature. Les firmes multiplient les changements de process, initient de nouvelles politiques commerciales (CRM, qualité de service, etc.), modifient leur structure juridique.
Simultanément au temps de la production qui s’accélère, l’horizon de gestion tend plutôt à se raccourcir et génère de nouvelles pratiques. Au niveau de la gestion des ressources humaines, de nouvelles formes de contractualisation (CDD, intérim, sous-traitance intégrale, travail en régie, contrat de mission actuellement à l’étude) sont à l’œuvre. Le recours au second marché du travail vient ainsi prolonger des politiques salariales néo-tayloriennes qui avaient entrepris de démanteler les solidarités professionnelles traditionnelles à partir de la fin des années 1980. La fonction Ressources Humaines recouvre une légitimité nouvelle dans l’entreprise en devenant le nouveau terrain d’élection des cost killers. Si les formes de management social (direction par objectif, groupes autonomes, cercles de qualité) diffusées quelques années auparavant se maintiennent, la gestion technique des collectifs privilégie les formes précaires du contrat, aidés en cela par une évolution de la réglementation. Par ailleurs, la rationalisation des processus de production sous forme de normalisation de la qualité, d’économies d’échelle, de mise en place de dispositifs techniques sophistiqués comme la supply chain management ou l’ERP ou la SAP induite par le contexte sert à légitimer une approche pragmatique de la relation managériale . Outre une soumission à la logique temporelle des progiciels, on doit aussi se rendre à l’évidence que " l’entreprise n’est pas une oeuvre philanthropique " et que " l’on ne peut plus faire carrière toute sa vie dans la même entreprise ". Il va sans dire que ces politiques vont avoir un réel impact sur la perception que les salariés ont de leur engagement et les amener à questionner la loyauté du rapport salarial.
b. Les stratégies des individus au travail désignent un délitement du lien social
Ce qui ressemble fort à une régression dans la conception du rapport managérial, outre de susciter perplexité et interrogations, a contribué, à notre sens et nous ne sommes pas seuls à le penser, à enraciner des stratégies de contestation et de repli chez les salariés. Pour certains sociologues du travail, cet état de fait est imputable à l’évolution des mentalités et à la formation de la conscience des salariés. Ceux parmi eux (ouvriers peu qualifiés, immigrés) qui se sont satisfaits à un moment donné de leur condition dans le salariat, en ce qu’elle leur ouvrait comme perspective d’accomplissement déchantent. Le système de l’emploi ne leur présente finalement que de trop rares opportunités de quitter leur rang. C’est donc dans un même mouvement qu’ils rejettent l’autoritarisme des " petits chefs " et le paternalisme des organisations syndicales, préférant mettre en oeuvre des stratégies individualisées. La crise du syndicalisme peut ainsi s’appréhender aussi bien comme le produit de l’ingénierie initiée par les directions, mais aussi comme une résultante de la désaffiliation d’une frange importante de salariés par rapport à l’idéologie même du travail comme vecteur de l’intégration et de la mobilité sociale.
D’autre part, les collaborateurs de tout niveau manifestent des velléités qui défient le modèle de l’adhésion naturelle à l’entreprise. Les accents de leurs revendications ne portent plus exclusivement sur le salaire, mais aussi sur l’instauration d’un véritable partenariat, sur la formation, sur la qualité de vie. Cet exercice du libre choix donne à voir ses effets dans de nombreux secteurs d’activité où le renouvellement de la population des professionnels d’activités s’avère d’ores et déjà problématique du fait de conditions de travail devenues aujourd’hui insupportables pour les générations entrant sur le marché de la formation et/ou de l’emploi et du fait de stratégies familiales de mobilité sociale. Dans le cadre même du rapport managérial, les salariés exigent une évolution du mode d’exercice de l’autorité. Sans doute parce qu’ils peuvent se prévaloir de niveaux de formation plus élevés et qu’ils sont mieux outillés pour intégrer les enjeux de l’entreprise (du fait d’une circulation rapide de l’information et du fait d’une accessibilité facilitée par les NTIC et les exigences des marchés financiers et commerciaux), ils aspirent à plus d’écoute, à plus de reconnaissance et à plus de responsabilité. Il semble que les réponses du management ne soient pas souvent à la hauteur des espérances, au point de contribuer à légitimer des attitudes de défiance et des stratégies de défense vis-à-vis de l’organisation.
En somme, le lien dans l’entreprise est on ne peut plus distendu du fait que l’entreprise vit un paradoxe entre la volatilité des cadres et la tendance à l’atomisation du corps social d’une part, et la nécessité de s’inscrire dans le long terme et de s’appuyer sur une dynamique collective d’autre part. L’éclatement juridique de l’entreprise (avec la multiplication et l’intensification des mouvements de fusion, de restructuration, d’externalisation) et les modes de gestion sociale qui l’ont accompagné ont obscurci beaucoup de ressorts conceptuels et rhétoriques mobilisés au quotidien et fondés sur les notions d’identité, de motivation, d’implication ou de responsabilité. Ils amènent du reste à s’interroger sur les chances de réussite des politiques managériales telles que le knowledge management qui requièrent de s’appuyer sur des collectifs solidaires. Comment mobiliser des individus autonomes au-delà de la rhétorique de l’efficacité ? Comment construire une adhésion durable en prenant congé des processus motivationnels néo-tayloriens ? Sur quelles formes sociales adosser le nouvel imperium de l’entreprise ? Pour nous, il semble utile de mobiliser le sens. La notion de sens possède en effet quelques ressorts heuristiques et pragmatiques que l’on peut mobiliser dans l’optique d’édifier un cadre renouvelé du rapport managérial se réclamant d’un lien fort et de communautés impliquées.
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