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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.41 Les entreprises libérées ont elles une histoire : Est ce la fin de la féodalité managériale ? (1)


1.9 Jean-François Zobrist (1950 - ) : La confiance exclut le contrôle !

Pour comprendre comment s’est élaboré le modèle d’entreprise libérée de Jean François Zobrist, dirigeant de l’entreprise FAVI, il faut lire son premier livre « Un petit patron naïf et paresseux ». On y découvre un homme qui, dès le jeune âge, semble peu enclin à se soumettre à un système. Son vécu d’écolier semble en témoigner.

Passionné d’aviation, il s’inscrit à une préparation militaire pour apprendre à sauter en parachute; ce qui lui permettra de tisser de nouvelles relations et s’engager dans l’armée française pour accéder à la fonction de sous - lieutenant instructeur à l’école d’artillerie de Châlons sur Marne.

Après cette période, il rencontre son mentor « un grand patron d’industrie », un personnage visiblement haut en couleur privilégiant l’intuition et la confiance qui le nomme directeur d’une fonderie nommée FAVI située en Picardie.

Jean – François Zobrist passe 4 mois à observer et à tisser des liens avec les salariés jusqu’à ce que l’ancien directeur quitte le poste. Il constate de nombreuses lourdeurs de fonctionnement liées à des procédures de contrôle propres aux organisations hiérarchiques : Un exemple illustre les conséquences de cette conception : Pour changer de gants, l’ouvrier devait d’abord rencontrer son chef direct, remplir un bordereau, solliciter le responsable du magasin puis revenir sur son poste de travail qui était en arrêt durant le temps de ce renouvellement. En calculant le temps consacré, il en arrive à la conclusion qu’il est plus simple de laisser les salariés renouveler leurs outils comme ils l’entendent, bref de leur faire confiance.

On apprend également que Jean-François Zobrist à la même époque suit à Paris les cours du CNAM et de l’AFPIMM. Très régulièrement, il rédige des fiches de synthèse sur des méthodes d’organisation industrielle au fur et à mesure des problèmes qu’il rencontre. Fiches que d’ailleurs il publiera dans un livre en auto édition pour partager ses connaissances, fruits d’une confrontation permanente entre la théorie et l’expérience empirique quotidienne. Il rédige plus de 65 fiches qui portent sur des sujets aussi variés que la théorie X et Y de Mac Grégor, la socio-dynamique de JC Fauvet, la démarche Kaizen, les 5 S, le Pert, etc...

Dans un souci d’établir des relations égalitaires entre les salariés, il supprime du vocabulaire de l’entreprise le langage de classe comme les termes d’ouvrières et d’ouvriers qu’il remplace par ceux d’opérateurs et d’opératrices. Ce qui guide son action c’est la recherche permanente d’une certaine simplicité de façon à ce que tout le monde comprenne et intègre sans peine ces nouveaux outils dans l’action quotidienne.

Il s’adresse de façon très directe à ses troupes en les associant à l’élaboration de nouvelles méthodes de travail et à d’autres façons de concevoir les relations d’autorité. C’est ainsi qu’il s’exprima un jour au cours d’une réunion :
"Les pointeuses sont démontées, la porte du magasin dessoudée, les distributeurs de boissons rendus, les sonneries débranchées, ce qui est fait est fait, ce qui est dit est dit ! Nous ne pouvons plus faire marche arrière !
J’ai l’intime conviction qu’on ne pouvait pas continuer à travailler de façon si archaïque !
Que faire ? je n’en sais trop rien, les seules véritables expériences du maniement des hommes que j’ai pu connaître sont un peu pendant mon service militaire, comme sous-lieutenant, où il a fallu que je trouve des combines pour donner des ordres idiots à des gens intelligents, et davantage comme moniteur de colo quand à 17 ans j’ai eu la chance d’avoir à occuper des gamins de mineurs du Nord qui avaient 15 ans, des monstres qui me dépassaient pour la plupart d’une tête !
Voilà ce que je vous propose transformons-nous en moniteurs de colo !
Nous ne devons plus ordonner, nous devons animer !
Nous ne devons plus récompenser ou sanctionner, mais montrer le bon chemin !
Nous ne devons plus contrôler l’activité mais aider chacun à mesurer son propre résultat !
Comment ?
Je ne sais pas !
Ce que je sais c’est que nous avons une chance extraordinaire !
Nous avons un grand Patron qui nous laissera libres, totalement libres d’œuvrer comme nous l’entendons, du moment que l’on respecte les lois !
C’est une chance extraordinaire, rarissime, la plupart des entreprises sont coincées entre un siège social et des actionnaires qui veulent se mêler de tout, ou sont à la merci de leur banquier, ou d’une famille complète qui noyaute l’entreprise;
Nous, la seule chose que nous ayons à faire est de nous mettre d’accord, ensemble, sur ce que nous voulons faire ! Ce n’est quand même pas bien compliqué ! » (Chapitre 6 – Histoires d’un petit patron naïf et paresseux)
A l’issu de cette réunion, les cadres acceptèrent non sans scepticisme de supprimer les pointages et les primes. Contre toute attente, les cadences se mirent à augmenter de façon significative.

Le changement suivant porta sur les commerciaux qui devinrent en quelque sorte des managers de projet ayant le pouvoir de prendre toute décision visant à répondre à la demande des clients alors qu’avant ils devaient systématiquement soumettre les demandes des clients au Bureau d’étude pour faire les devis.

L’étape suivante consista à créer 21 groupes de 10 personnes environs qui devinrent des mini – usines au service les unes des autres. Ces mini-usines ne comportant que 2 niveaux hiérarchiques : le leader et les opérateurs. Il procéda par ailleurs à la suppression de certains services supports : Planning ; lancement, ordonnancement, méthodes, GPAO, Achat. et de certains niveaux hiérarchiques (Chef d'équipe, chef d'atelier, chef de service, chef de fabrication, directeur technique).

Petit à petit, d’autres zones de l’entreprise furent libérées comme la gestion des frais de déplacements directement assumée par les salariés eux - mêmes, les bons d’achat de 150 euros permettant à chacun d’acheter ce qu’il veut du moment que l’objet reste dans l’entreprise.

6 principes fondamentaux inspirent le système FAVI :
1°) "Chacun doit rechercher en permanence "L'amour" de son client"
Le dessinateur concepteur recherchera "l'amour" de l'outilleur qui fera le moule, l'outilleur "l'amour" du fondeur qui utilisera ce moule, le fondeur "l'amour" de son compagnon qui usinera et assemblera la pièce brute de fonderie et enfin tous ensemble "l'amour" d'abord de l'opérateur du client qui recevra et utilisera la pièce, et à travers lui l'amour du client final, qui, quelque part dans le monde utilisera des années durant le produit final.
2°) "L'autre est systématiquement considéré comme bon ! "L'homme "bon" ne fait pas exprès d'arriver en retard, donc les pointeuses sont superflues, l'homme n'est pas voleur donc les magasins sont en libre-service, l'homme est intelligent donc toute structure d'accompagnement est vexatoire…etc.
3°) "La performance vient des opératrices et opérateurs et d'eux seuls !"
4°) "Il n'y pas de performance sans bonheur !"
Forts de, et croyant en ces quatre principes ils ont collectivement développé un système de fonctionnement extrêmement simple :
5°) "Toujours plus et mieux pour moins cher pour chacun de nos clients, dans le respect de la terre de nos enfants"
6°) "Vivre et s’épanouir en Picardie dans notre village"

L’approche de Jean-François Zobrist semble naïve et parfois simpliste. Il faut entendre cette préoccupation comme l’expression d’une volonté réelle de mettre en œuvre un fonctionnement d’entreprise idéale sans se perdre dans les grandes idées. Cependant, il ne faut pas se laisser prendre par cette attitude de façade relativement provocatrice. En effet ce patron atypique a continuellement pratiqué tout au long de sa vie professionnelle une autodidaxie permanente au point de développer, auprès des institutions académiques les plus reconnues, des activités de formateur consultant en management alternatif. Comme d’autres entrepreneurs utopistes, il a l’ardent désir de diffuser son expérience auprès du plus grand nombre pour les convaincre d’adopter son modèle.

1.10 Dan Price, Nick Hanauer, Mark Bertolini : Réduire l’écart salarial entre les salariés et leurs dirigeants

Les théories controversées de l’économiste Thomas Piketty entrainent des émules chez les entrepreneurs américains qui ont fait fortune. Chiffres et statistiques à l’appui, l’économiste démontre que les inégalités de revenu et de patrimoine ont largement progressé au XXIe siècle dans les pays riches et en particulier dans les pays anglo-saxons. Celles – ci sont pour l’essentiel la conséquence de la concentration du capital dans quelques mains. Or, une trop forte concentration des richesses par un petit nombre pourrait, selon lui, compromettre la croissance économique dans sa globalité.

Les impôts et taxes devraient avoir pour fonction de réduire celles –ci. Or ce n’est pas ce qui se passe car le système fiscal est progressif pour les classes les plus pauvres et les classes moyennes pour devenir régressif pour les citoyens les plus riches. En d’autres termes, les plus pauvres paient en proportion plus d’impôts que les plus riches. Il plaide pour « une révolution fiscale » avec prélèvement de l’impôt à la source, des taux progressifs jusqu’à 60% pour les revenus supérieurs à 100 000 Euros, le maintien de l’impôt sur la fortune, des taux d’imposition équivalents entre les revenus du travail et les revenus du capital, une refonte du système de la protection sociale et du financement des retraites. Ces travaux ont eu un succès retentissant aux Etats – Unis où les inégalités ont encore beaucoup plus augmenté qu’en Europe au cours des trente dernières années et où la sensibilité à cette question est encore plus forte.

Dan Price qui a fondé aux états unis Gravity Payments, une société de service de paiement sur Internet a annoncé récemment à ses 120 salariés qu’il allait « mettre en place une politique salariale instituant un salaire minimum de 70 000 dollars » . Cette opération sera financée par une réduction de son propre salaire qui passera de 930 000 dollars à 70 000 dollars. En 2014, l’entreprise, qui n’est pas côtée en Bourse, a fait deux millions de dollars de bénéfices.

Le comportement généreux de ce jeune entrepreneur d’origine modeste fait actuellement la Une de tous les médias américains. Il a été inspiré par la lecture des travaux de Daniel Kahneman et Angus Deaton qui ont mené une enquête quotidienne sur près de 1000 salariés américains, sur le lien entre le sentiment de bonheur et le niveau des revenus annuels. L’enquête démontre clairement que jusqu’à 75000 dollars de revenu par an, le sentiment de bonheur s’accroit mais progresse plus difficilement au-delà de ce niveau. Un revenu inférieur s’accompagnait à l’inverse d’un faible sentiment de bien – être. L’étude a montré plus précisément qu’un faible niveau de revenu exacerbait la douleur émotionnelle associée à des événements comme le divorce, la maladie ou la solitude.

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