Par la rapidité de sa diffusion et les espérances qu'il peut susciter dans l'esprit des managers et des salariés, le mouvement des entreprises libérées apparaît, à l'évidence, comme un phénomène chargé d'imaginaire social.
Roland Barthes (2010) pourrait certainement le considérer comme une mythologie tandis que Gilbert Durand (1996) le percevrait comme la résurgence d' un mythe. La distinction entre mythologie et mythe n'est pas si évidente. Nous utiliserons tour à tour les deux termes pour faciliter la réflexion. Mircea Eliade lui - même est d'accord pour dire "qu'il est difficile de trouver une définition qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes" (1963:16).
Dans cet article nous nous appuierons sur les concepts et méthodes proposés par ces deux auteurs pour tenter de les déchiffrer. Cette entreprise est salutaire, car il est facile de tomber devant une apparition aussi soudaine que provocante dans le jugement de valeur.
Notre propos ne sera donc pas de rentrer dans la controverse "pour ou contre" "réalité ou fantasme" mais de tenter de comprendre les signifiants qui peuvent y être associés.
Roland Barthes (2010) pourrait certainement le considérer comme une mythologie tandis que Gilbert Durand (1996) le percevrait comme la résurgence d' un mythe. La distinction entre mythologie et mythe n'est pas si évidente. Nous utiliserons tour à tour les deux termes pour faciliter la réflexion. Mircea Eliade lui - même est d'accord pour dire "qu'il est difficile de trouver une définition qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes" (1963:16).
Dans cet article nous nous appuierons sur les concepts et méthodes proposés par ces deux auteurs pour tenter de les déchiffrer. Cette entreprise est salutaire, car il est facile de tomber devant une apparition aussi soudaine que provocante dans le jugement de valeur.
Notre propos ne sera donc pas de rentrer dans la controverse "pour ou contre" "réalité ou fantasme" mais de tenter de comprendre les signifiants qui peuvent y être associés.
1. Les entreprises libérées comme mythologie
Comment peut- on poser l'hypothèse que le phénomène des entreprises libérées relève d'une mythologie ?
Pour Roland Barthes, il faut commencer par en étudier la forme. Comme tout mythe, celui des entreprises libérées a un contour flou. Le concept est en construction et n'est pas tout à fait stabilisé. On ne peut encore le considérer comme un modèle reproductible.La libération des entreprises passe par des formes très diversifiées. Même s'il est possible de repérer des principes fondateurs communs, entre les expériences développées par Favi, Zappos, Semco ou Harley Davidson, les formes de libération sont encore très hétérogènes. Il y a des différences significatives qui ne sont pas transférables les unes aux autres.
Le phénomène des entreprises libérées relève d'un récit "fabuleux" qui prend souvent une apparence de légende: "L'entreprise était au bord du dépôt de bilan. Alors, le dirigeant a décidé de libérer le personnel en leur expliquant la situation. Les salariés ont trouvé des solutions et malgré la crise, aujourd'hui ça repart..." (Une consultante devenue ....militante).
L'objet mythologique, pris dans des processus imaginaires devient merveilleux. Il met en scène des transformations presque miraculeuses qui semblent relèver de la magie. Ce sont donc à la fois cette dimension narrative romancée et cette exaltation de l'imaginaire qui font penser qu'il s'agit d'une mythologie.
Mais attention au sens de Barthes, une mythologie ne veut pas dire "fiction". Elle s'appuie toujours sur du réel mais un réel qui est réenchanté. En ce sens "un mythologie est une parole" qui permet de refaire l'histoire.
Pour Roland Barthes, il faut commencer par en étudier la forme. Comme tout mythe, celui des entreprises libérées a un contour flou. Le concept est en construction et n'est pas tout à fait stabilisé. On ne peut encore le considérer comme un modèle reproductible.La libération des entreprises passe par des formes très diversifiées. Même s'il est possible de repérer des principes fondateurs communs, entre les expériences développées par Favi, Zappos, Semco ou Harley Davidson, les formes de libération sont encore très hétérogènes. Il y a des différences significatives qui ne sont pas transférables les unes aux autres.
Le phénomène des entreprises libérées relève d'un récit "fabuleux" qui prend souvent une apparence de légende: "L'entreprise était au bord du dépôt de bilan. Alors, le dirigeant a décidé de libérer le personnel en leur expliquant la situation. Les salariés ont trouvé des solutions et malgré la crise, aujourd'hui ça repart..." (Une consultante devenue ....militante).
L'objet mythologique, pris dans des processus imaginaires devient merveilleux. Il met en scène des transformations presque miraculeuses qui semblent relèver de la magie. Ce sont donc à la fois cette dimension narrative romancée et cette exaltation de l'imaginaire qui font penser qu'il s'agit d'une mythologie.
Mais attention au sens de Barthes, une mythologie ne veut pas dire "fiction". Elle s'appuie toujours sur du réel mais un réel qui est réenchanté. En ce sens "un mythologie est une parole" qui permet de refaire l'histoire.
- Un mythe n'est pas seulement une suite de faits (le signifié), il est chargé de significations (Le signifiant) qui demandent à être déchiffrées.
Pour Gilbert Durand (1996:163), un mythe reste longtemps dans la clandestinité avant de se manifester". C'est la "dénomination" qui lui permet de s'actualiser. Jusque là, il n'était que potentialisé c'est à dire caché car ce qu'il avait à dire ne pouvait être accepté par la société "bourgeoise" fondée sur la convention (Barthes, 1957). Qui, en effet aurait tolérer cette idée absurde de donner un pouvoir d'expression et un droit de penser à des salariés dans une conception scientifique du travail ?
Aujourd'hui le mythe des "Entreprises libérées" est à l'état d'explosion (Durand, 1996:161) Il fait irruption brusquement dans l'espace social, du moins celui des managers. Son intensité peut se comprendre comme l'expression cathartique d'un imaginaire resté trop longtemps séquestré dans les filets étroits des conventions normatives imposées par les pratiques gestionnaires exclusivement positivistes et le dressage pragmatique associé.
Pour se frayer un chemin , "le trajet anthropologique" (Durand, 1996) de l'entreprise libérée a été long et difficile. Il est passé par plusieurs phases et s'est inspiré de divers courants qui se sont entrelacés et enrichis au fil du temps:
- d'abord, avec celui des entreprises "dites utopiques" avec Charles Fourier, Jean - Baptiste Godin, Robert Owen, Adriano Olivetti, Tomas Bata, Jacques Benoit
- avec celui de l'Ecole des Relations Humaines (Elton Mayo, Mac Grégor), enrichie des travaux de psycho-sociologues sur la vie des groupes (Likert, Lewin)
- avec celui de la doctrine sociale de l'Eglise et de la philosophie personnaliste d'Emmanuel Mounier
- avec celui des théories managériales des années 90 (Tom Peters, Hervé Serieyx, Jan Carlzon) sans oublier quelques auteurs américains (Drücker, Blake, Mutton, Hersay, Blanchard, Hamel)
- avec celui des expérimentations alternatives comme Gerard Endenbourg (Sociocratie) ou Brian Robertson (Holacratie),
- Enfin, avec celui des pionniers comme Jean-François Zobrist, Michel Hervé, Stanislas Desjonquères , Alexandre Gerard, etc..;
Toutes ces approches et toutes celles qui sont dans la proximité constituent "un bassin sémantique" (Durand, 1996) qui ont façonné la nouvelle "topique" des Entreprises libérées. Il apparait clairement que celle - ci n'est pas née de façon spontanée, comme ses promoteurs peuvent parfois le laisser penser. Il s'agit bien "d'un précipité de l'histoire", c'est à dire d'une rencontre entre des idées et des besoins sociaux qui font que celui - ci est autorisé à exister.
L'émergence d'un nouveau modèle ne relève pas, en effet, d'une logique strictement chronologique mais d'un métissage désordonné d'un ensemble de théories. Il apparait quand il rencontre le désir qui traverse l'inconscient collectif à un moment donné. Cet instant, appelé "Kaïros" est le résultat d'une interaction entre des idéaux souterrains, généralement marginalisés, et un imaginaire social désenchanté durablement, c'est à dire en souffrance. Ce processus, nous dit Braudel, s'opère sur des périodes longues de 150 à 180 ans. Ce qui est tout à fait le cas de celui des Entreprises libérées.
"En gros l'imaginaire mythique fonctionne comme une lente noria qui, plein des énergies fondatrices se vide progressivement et se refoule automatiquement par les codifications et les conceptualisations puis replonge lentement - à travers les rôles marginalisés, contraints souvent à la dissidence - dans les rêveries remythifiantes portés par les désirs, les ressentiments, les frustrations et se replit à nouveau de l'eau vive du ruissellement d'images" (Durand, 1996:143)
Ce mythe a "une grandeur relative" car il est en train de bouleverser les équilibres établis dans le domaine du management. En prônant l'autonomie et la responsabilité des acteurs, il est porteur d'une intention: celle de bousculer les images représentant l'autorité.
Aujourd'hui le mythe des "Entreprises libérées" est à l'état d'explosion (Durand, 1996:161) Il fait irruption brusquement dans l'espace social, du moins celui des managers. Son intensité peut se comprendre comme l'expression cathartique d'un imaginaire resté trop longtemps séquestré dans les filets étroits des conventions normatives imposées par les pratiques gestionnaires exclusivement positivistes et le dressage pragmatique associé.
Pour se frayer un chemin , "le trajet anthropologique" (Durand, 1996) de l'entreprise libérée a été long et difficile. Il est passé par plusieurs phases et s'est inspiré de divers courants qui se sont entrelacés et enrichis au fil du temps:
- d'abord, avec celui des entreprises "dites utopiques" avec Charles Fourier, Jean - Baptiste Godin, Robert Owen, Adriano Olivetti, Tomas Bata, Jacques Benoit
- avec celui de l'Ecole des Relations Humaines (Elton Mayo, Mac Grégor), enrichie des travaux de psycho-sociologues sur la vie des groupes (Likert, Lewin)
- avec celui de la doctrine sociale de l'Eglise et de la philosophie personnaliste d'Emmanuel Mounier
- avec celui des théories managériales des années 90 (Tom Peters, Hervé Serieyx, Jan Carlzon) sans oublier quelques auteurs américains (Drücker, Blake, Mutton, Hersay, Blanchard, Hamel)
- avec celui des expérimentations alternatives comme Gerard Endenbourg (Sociocratie) ou Brian Robertson (Holacratie),
- Enfin, avec celui des pionniers comme Jean-François Zobrist, Michel Hervé, Stanislas Desjonquères , Alexandre Gerard, etc..;
Toutes ces approches et toutes celles qui sont dans la proximité constituent "un bassin sémantique" (Durand, 1996) qui ont façonné la nouvelle "topique" des Entreprises libérées. Il apparait clairement que celle - ci n'est pas née de façon spontanée, comme ses promoteurs peuvent parfois le laisser penser. Il s'agit bien "d'un précipité de l'histoire", c'est à dire d'une rencontre entre des idées et des besoins sociaux qui font que celui - ci est autorisé à exister.
L'émergence d'un nouveau modèle ne relève pas, en effet, d'une logique strictement chronologique mais d'un métissage désordonné d'un ensemble de théories. Il apparait quand il rencontre le désir qui traverse l'inconscient collectif à un moment donné. Cet instant, appelé "Kaïros" est le résultat d'une interaction entre des idéaux souterrains, généralement marginalisés, et un imaginaire social désenchanté durablement, c'est à dire en souffrance. Ce processus, nous dit Braudel, s'opère sur des périodes longues de 150 à 180 ans. Ce qui est tout à fait le cas de celui des Entreprises libérées.
"En gros l'imaginaire mythique fonctionne comme une lente noria qui, plein des énergies fondatrices se vide progressivement et se refoule automatiquement par les codifications et les conceptualisations puis replonge lentement - à travers les rôles marginalisés, contraints souvent à la dissidence - dans les rêveries remythifiantes portés par les désirs, les ressentiments, les frustrations et se replit à nouveau de l'eau vive du ruissellement d'images" (Durand, 1996:143)
Ce mythe a "une grandeur relative" car il est en train de bouleverser les équilibres établis dans le domaine du management. En prônant l'autonomie et la responsabilité des acteurs, il est porteur d'une intention: celle de bousculer les images représentant l'autorité.